Antifa le jeu : la liberté d’expression, c’est pour tout le monde <!-- --> | Atlantico.fr
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Le logo du jeu de société Antifa.
Le logo du jeu de société Antifa.
©Capture d'écran DR

Idéologie

Le jeu de société "Antifa" est au coeur d'une polémique en France. Les magasins Fnac avaient retiré momentanément ce jeu de ses rayons après des critiques d'un syndicat de police et d'élus du Rassemblement National.

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer est née en 1962. Elle est diplômée de l’ESSEC et a travaillé dans le secteur de la banque et l’assurance. Depuis 2015, elle tient Le Blog de Nathalie MP avec l’objectif de faire connaître le libéralisme et d’expliquer en quoi il constituerait une réponse adaptée aux problèmes actuels de la France aussi bien sur le plan des libertés individuelles que sur celui de la prospérité économique générale.
 
https://leblogdenathaliemp.com/

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Ainsi donc, et j’approuve, la FNAC a mis fin à son cafouillage initial en réintégrant dans son offre le jeu de société « Antifa Le Jeu » quelques heures après l’avoir retiré suite aux remarques peu amènes émises ce week-end sur Twitter par le Syndicat des Commissaires de la Police Nationale (SCPN) et un peu plus tard par le député du Rassemblement national (RN) Grégoire de Fournas.

Les premiers s’étonnaient qu’une enseigne grand public telle que la FNAC puisse « mettre en avant les antifas, qui cassent, incendient et agressent dans les manifestations » ; le second donnait son idée du jeu en ces termes :

Case 1 : « je bloque une fac »
Case 2 : « je tabasse un militant de droite »
Case 3 : « j’attaque un meeting du RN »
Case 4 : « je lance un cocktail Molotov sur les CRS »
La @Fnac vous n’avez pas honte ?


Avant de poursuivre, notons que le SCPN a précisé dans un second tweet qu’il était un syndicat apolitique dont le premier tweet n’avait pas pour objet de demander le retrait du jeu mais informer sur la réalité de l’univers antifa. Notons également que les « cases » évoquées par Grégoire de Fournas n’existent que dans son imagination et que le lancer de cocktail Molotov sur les CRS n’apparait nullement dans le jeu. Ce à quoi le député a répondu qu’il se voulait ironique…

C’est du reste en regardant de plus près en quoi consistait réellement ce jeu que la FNAC l’a remis en rayon, considérant qu’il ne contrevenait en rien aux lois en vigueur. Après tout, l’enseigne vend aussi du Soral, du Renaud Camus, du Hitler, etc.

On mentirait en disant qu’Antifa Le Jeu n’est pas furieusement militant : il fut à l’origine un support de formation du mouvement « méchamment antifasciste » La Horde et dans sa forme commerciale actuelle, il cible clairement l’extrême-droite, sa dirigeante héritière et sa politique de dédiabolisation, de même qu’il fait figurer parmi ses « événements » le cas d’un jeune des quartiers tué par la police. Mais on mentirait tout autant en disant qu’il constitue un appel caractérisé à la violence. L’action la plus audacieuse consiste apparemment (et fictivement) à s’habiller en noir et à fabriquer des « cacatovs » (autrement dit des excréments dans une bouteille).

Les faits étant posés, plusieurs remarques me viennent à l’esprit :

On observe une fois de plus que trop d’indignation mal goupillée tue l’indignation. Depuis qu’il est sous les projecteurs de la réprobation, « Antifa Le Jeu » est devenu le jeu à avoir et se trouve maintenant en rupture de stock chez son éditeur qui a toutes les raisons de remercier M. de Fournas en voyant comment un produit appelé initialement à une diffusion plutôt confidentielle auprès d’un groupe limité de sympathisants se retrouve maintenant au cœur du marché grand public et se transformera peut-être en grand succès du soft power antifa (ou pas, du fait de sa composante amusement pour tous).

On observe également une fois de plus que ce n’est pas parce qu’on est antifa, anticapitaliste et/ou anti-américain qu’on méprise Amazon lorsqu’il s’agit de diffuser ses produits. (Amazon où le jeu est en rupture de stock, comme partout.) Cohérence, cohérence…

La FNAC étant une librairie privée, le choix des livres, disques, jeux et magazines mis en vente dans ses magasins ou sur son site internet relève entièrement de sa propre politique de commercialisation – qui s’avère en l’occurrence des plus larges et des plus diversifiées. Ses décisions sur le retrait ou la réintégration de tel ou tel produit ne regarde personne.

On peut critiquer ses choix, certainement pas exiger qu’elle se conforme aux nôtres, et ce d’autant plus que dans notre monde encore un peu concurrentiel, le jeu en question est présent chez certains libraires, absent chez d’autres. Rien ne nous oblige à fréquenter un magasin ni à y acheter des ouvrages ouvertement opposés à nos propres sentiments.

Mais plus profondément, on observe que rien n’est plus complexe à manier que les concepts de liberté d’expression, de publication, d’édition. Un point semble clairement établi : toute personne souhaite que sa liberté d’expression soit respectée. Un point semble moins évident : tout le monde n’est pas prêt à accorder aux autres la liberté d’expression qu’il revendique pour lui-même. 

Or il me semble justement que la liberté d’expression n’est pas d’abord la possibilité qui m’est offerte de m’exprimer, elle est avant tout ma reconnaissance des possibilités d’expression des autres. C’est en effet dans l’acceptation de la confrontation des idées que la liberté d’expression devient véritablement féconde. Les interdictions, les demandes de retrait et toutes les autres procédures d’effacement et annulation, typiques d’une volonté de « cancel culture », sont à l’opposé d’une société du débat et de l’échange d’arguments. Plutôt chercher à convaincre que contraindre.

C’est précisément la raison pour laquelle cet article ne serait pas complet s’il n’en venait pas à rappeler que, oui, comme l’écrivaient les Commissaires de police dans leur premier tweet, les antifas ne sont pas des enfants de chœur. Non seulement la castagne matérielle et physique ne leur fait pas peur, mais ils ne répugnent nullement à se livrer à des atteintes gratuites aux biens et aux personnes et à cibler spécialement les policiers.

On se rappellera par exemple qu’à Nantes, en début d’année, une manifestation annoncée (y compris par un conseiller municipal EELV) comme une lumineuse marche aux flambeaux antifasciste contre les idées nauséabondes de l’extrême-droite s’est terminée dans les dégradations, la violence et les jets de projectiles sur les forces de l’ordre aux cris de « À mort l’État, les flics et les fachos ». 

Et puis, n’en déplaise aux éditorialistes de la presse de gauche qui ne voient de « cancel culture » qu’à droite et prennent la « tyrannie woke » pour un « fantasme », peut-être faudrait-il se souvenir par exemple qu’en 2019, la philosophe Sylviane Agacinski n’avait pu donner la conférence pour laquelle elle avait été invitée à l’Université de Bordeaux. Ses positions anti-PMA lui ont immédiatement valu d’être cataloguée comme « homophobe notoire » par des syndicats étudiants et des associations LGBT qui n’ont reculé devant aucune menace pour obtenir (avec succès) la déprogrammation de son intervention.

Peut-être faudrait-il se souvenir qu’en 2019 également, la pièce d’Eschyle Les Suppliantes qui devait être jouée à la Sorbonne dans le cadre d’un festival de théâtre antique n’a pas pu se tenir à la date prévue. Son crime ? Ne pas plaire au Conseil représentatif des associations noires et au syndicat étudiant UNEF en raison de l’utilisation d’un maquillage sombre qui relèverait selon eux du « blackface » en vogue dans les milieux ségrégationnistes et racistes américains. Et les militants offensés de bloquer l’entrée du spectacle.

Peut-être faudrait-il se souvenir aussi de la façon dont des étudiants syndicalistes de Sciences Po Grenoble ont orchestré en 2021 la mise au pilori de deux enseignants de l’école, accusés en toute simplicité de « fascisme » et « d’islamophobie » et comment ils faisaient régner un « climat de peur » sur les étudiants via des accusations non vérifiées de harcèlement sexuel diffusées nominativement sur les réseaux sociaux.

Etc. Etc. 

Alors oui, tant qu’elle ne contrevient pas aux lois en vigueur, la liberté d’expression, c’est pour tout le monde. C’est pour vous, c’est pour moi, c’est pour Marine Le Pen, c’est pour le jeu Antifa de l’association La Horde. Constatons cependant que l’idéal typiquement libéral de tolérance, d’articulation des idées et de recherche des faits que cela représente n’est pas encore tout à fait de ce monde. Amis libéraux, travaillons-y !

Cet article a été publié initialement sur le site de Nathalie MP : cliquez ICI

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