(Anti) productivité : ces entreprises qui renoncent à Slack<!-- --> | Atlantico.fr
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La diminution progressive et la modération de l’utilisation de Slack au sein de l’entreprise peut être un bon compromis.
La diminution progressive et la modération de l’utilisation de Slack au sein de l’entreprise peut être un bon compromis.
©Eric BARADAT / AFP

Logiciel collaboratif

Slack est assez similaire aux autres outils et logiciels collaboratifs. Des risques qui n’avaient pas été anticipés peuvent apparaître sur cet outil.

Caroline Diard

Caroline Diard

Caroline Diard est professeur associé au département Droit des Affaires et Ressources Humaines à la Toulouse Business School.

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Atlantico : Pourquoi les entreprises renoncent de plus en plus à Slack ? Pourquoi faudrait-il renoncer aux outils de travail collaboratif ? Quels sont les meilleurs conseils pour les entreprises qui songeraient à s'en passer ?

Caroline Diard : Au préalable, il convient de rappeler que les outils comme Slack sont utiles pour partager des informations, des conversations, regrouper des documents et suivre des travaux collaboratifs. Par ailleurs, l’argument qui a été mis en avant par l’éditeur de cet outil est que l’utilisation de Slack devait permettre d’être plus performant, de gagner en productivité, de pouvoir travailler plus et de gagner du temps. Slack permet de reconstituer un collectif de travail virtuellement, à distance, pour travailler plus vite. Les promesses sont-elles réellement au rendez-vous ? Slack est assez similaire aux autres outils et logiciels collaboratifs. Des risques ou des usages qui n’avaient pas été anticipés peuvent apparaître avec cet outil. Comme ce dispositif est collaboratif, en réseau et à distance pour faire fonctionner un collectif de travail, cela ne résoud pas le problème d’isolement des salariés lorsqu’ils travaillent à distance. Slack ne résout pas les difficultés rencontrées par les managers pour reconstituer un collectif de travail. (un des inconvénients du travail en mode hybride ou en full remote, est en effet de faire travailler les équipes ensemble). En effet, avec le télétravail il est difficile pour les collaborateurs de l’entreprise de se rencontraient. Les projets collectifs peinent parfois à avancer. Slack permet de résoudre en partie ce problème mais il ne remplace pas la communication de proximité, les échanges informels, la communication non verbale.

Il y a un piège avec les outils comme Slack. La plupart des personnes qui utilisent ces logiciels pensent que le fonctionnement de ces outils est en temps réel. Des fenêtres peuvent s’ouvrir sur plusieurs dossiers, projets et conversations en même temps. Cela est très pratique et permet de regrouper des informations et un suivi de documents, de projets au même endroit. Mais pour beaucoup de collaborateurs, il est compliqué de suivre ces différents éléments en même temps. Le salarié n’est plus dans l’instantané mais dans l'asynchrone. Il est possible de perdre le fil d’une conversation dans une fenêtre ouverte alors que le salarié se concentre sur une autre discussion sur un projet parallèle.

Contrairement aux e-mails, il est beaucoup plus facile malheureusement de perdre le fil. Les boîtes mails permettent de consulter et d’accéder à l’historique des contacts et au calendrier précis des envois des courriels. Dans les outils collaboratifs, ces étapes sont plus compliquées.

Derrière l’illusion d’un outil simple, facile à utiliser, instantané, des problèmes concrets se posent. Il est possible de perdre le fil d’une discussion ou de ne plus retrouver une information cruciale dans le flux des messages et des échanges. Ces outils donnent l’impression de se disperser et de ne pas être productif.

Quelles sont les meilleures solutions intermédiaires pour progressivement abandonner Slack sans désorganiser son entreprise ?

Les entreprises souhaitent être plus performantes. L’objectif non avoué derrière le choix d'une technologie collaborative concerne l'amélioration de la productivité.  Le travers de ces outils est de conduire à un comportement adictif et des difficultés à déconnecter. Les salariés sont poussés à suivre de multiples canaux de dialogues et d’échanges. Il y a une injonction à répondre dans l’instant avec ces outils qui  peut provoquer un stress chez les salariés. L’hyperconnectivité peut conduire au burn-out. Cela peut être très grave et des signaux alarmants en ce sens sont apparus avec les confinements lors de la crise sanitaire, durant la pandémie de Covid-19. Les travailleurs étaient focalisés sur leur écran. Les horaires de travail ont été élargis. Ils étaient connectés en permanence. Choisir un abandon progressif de ces technologies permettrait de protéger ses salariés. Cependant, revenir en arrière par rapport à ces outils au sein d’une entreprise est possible mais néanmoins complexe. Cela suppose de changer les usages et les habitudes de travail. Il conviendrait d'évoluer vers d'autres outils  permettant de collaborer en équipe également sans trop d’injonctions instantanées. Cela permet d’avoir un suivi des conversations ou de s’appeler via le mode vidéo. Un choix judicieux des outils s'impose afin d'éviter les risques pour la santé des salariés.

Dans mes travaux de recherche sur le contrôle au travail, j’ai observé qu’il était possible de tracer les échanges. Il est possible de savoir lorsque vous êtes connecté, de reparcourir des fils de conversations, d’enregistrer des conversations. Le contrôle des salariés n'est pas interdit. Le pouvoir de direction autorise à contrôler le salarié mais il faut que cela soit proportionné par rapport au but recherché et dans le cadre de la protection des intérêts légitimes de l’entreprise (Code du travail, art. L. 1121-1, « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché » ). Un outil collaboratif pourrait être détourné et utilisé à des fins déviantes. Dans certains cas extrêmes, un manager harceleur pourrait utiliser Teams ou Slack pour contrôler et mettre sous pression un employé. Sur mes terrains de recherche, dans le cadre de l’utilisation de ce type d’outils, des collaborateurs ont évoqué cette réalité. A cause de ces outils, ces travailleurs se sentent obligés de répondre aux messages de manière instantanée. Le soir, lors d’un jour férié ou en vacances, le flux continu de publications et de sollicitations se poursuit. Cela rend la situation ingérable et participe à un engrenage et à une hyperconnectivité. Des risques psychosociaux peuvent apparaître.

Slack a-t-il réellement facilité le télétravail et amélioré la productivité au sein des entreprises ?

Pour répondre sérieusement à ce critère, il est nécessaire de mener une étude quantitative et d’avoir des chiffres concrets. Il convient de bien cerner et définir la notion de productivité qui est utilisée en fonction de l’activité de l’entreprise. Si vous considérez la productivité comme le fait que les salariés puissent répondre assez vite et soient assez réactifs, ces outils ont bel et bien stimulé la réactivité et les interactions à distance entre les membres de l’entreprise. Slack permet de stimuler des interactions de groupes. Cela donne l’illusion de la productivité. En consultant les tableaux et les avancées, cela donne l’impression que les projets progressent bel et bien. Mais en réalité, ils avançaient avec d'autres méthodes d'organisation avant l’apparition de ces outils.  

Faut-il privilégier la modération plutôt que de ne plus s’en servir du tout ?

La diminution progressive et la modération de l’utilisation de Slack au sein de l’entreprise peut être un bon compromis. Il est possible de s’engager dans la voie consistant à ne plus utiliser les outils collaboratifs. Mais il est malgré tout dommage de s’en priver. Il faudrait plutôt avoir en réalité un guide de bonne pratiques pour l’usage de Slack. Il faudrait être capable de ne pas tout miser sur un seul outil. Si vous pilotez de bout en bout un projet et une équipe avec cet outil collaboratif, vous allez sombrer dans les nombreux travers évoqués dans cet entretien. Il serait préférable de se servir d'outils collaboratifs comme d’un outil de support pour mettre en commun des documents et assurer un suivi de projet par exemple. Avec un outil collaboratif ou l'usage de plateformes de partages de documents, le travail d'équipes à distance est facilité.

Dans le cas d'équipes de recherche, il est possible de partager notamment des références bibliographiques.Il est possible de se servir de Slack et de ces outils comme un moyen de mettre en commun de l’information. Lorsqu’il y a une visioconférence, il est alors possible de travailler à plusieurs sur le même document.Il est difficile de se passer de ce mode de travail et de collaboration via ces plateformes. Mais en réalité, cela ne crée pas véritablement d’addiction car cela est ponctuel et il s’agit d’un support.

Faut-il repenser les interactions entre les salariés au sein des entreprises ?

Les interactions entre les salariés dépendent de trois critères : de l’impulsion qui est donnée par la direction générale, du manager, de l’équipe, du département, du chef de projet et elles dépendent des individus eux-mêmes.

Le besoin d'interactions dépend des individus, de leur fonction, du secteur d'activité. Les managers doivent s'adapter. 

Il faut donc repenser la façon d’organiser le groupe de travail au sein des entreprises en s'appuyant sur des outils collaboratifs bien choisis et mobilisés avec modération pour limiter les risques de stress et d'hyperconnectivité.  Ces outils demeurent utiles pour faciliter la gestion des équipes dispersées.

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