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L’anniversaire de la mort de Ben Laden : une fausse victoire ?
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La défaite d'Al-Qaïda ?

Il y a un an, les États-Unis annonçaient triomphalement la mort d'Oussama Ben Laden. Pourtant, si Al-Qaïda a été affaibli par la mort de son leader et par le printemps arabe, il reste néanmoins un groupe terroriste toujours actif.

Mehdi Lazar

Mehdi Lazar

Mehdi Lazar est géographe, spécialiste des questions de géopolitique et d’éducation. Il est docteur de l’Université Panthéon-Sorbonne, diplômé du Centre d’Études Diplomatiques et Stratégiques et de l’Institut Français de Géopolitique.  

Il a publié récemment l’ouvrage Qatar, une Education City (l’Harmattan, 2012) et dirige la commission Éducation, Programmes FLAM et Francophonie du laboratoire d'idées GenerationExpat.

Il vient de publier, également, L'Algérie Aujourd'hui, aux éditions Michalon (Avril 2014)

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Il y a bientôt un an, un commando américain tuait Oussama Ben Laden dans sa villa pakistanaise d'Abbottabad après dix ans de traque. A quelques jours de cet anniversaire et alors que ses trois veuves et ses enfants viennent d’être expulsés du Pakistan[1], on serait tenté de se dire qu’Al-Qaïda est mort. Cependant rien n’est moins sûr. Les experts ont à plusieurs reprises avancé la fin du groupe terroriste[2], notamment lorsque le président Obama proclamait après la mort d’Oussama Ben Laden « We have put al Qaeda on a path to defeat »[3]. Suite à cela de nombreux ouvrages avaient titré peu ou prou The Rise and Fall of Al-Qaïda[4]. Aujourd’hui cet anniversaire ressemble néanmoins à une fausse victoire.

Les déclarations annonçant la défaite d'Al-Qaïda semblent sous-estimer la capacité de nuisance de l’organisation qui est toujours effective. Loin d'être mort et enterré, le groupe terroriste est particulièrement porté par ses « sociétés affiliées » qui se livrent à des actions violentes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Car tandis que notre attention était détournée par le printemps arabe, nous n’avons pas vu comment Al-Qaïda étendait son influence dans ces régions grâce à ses « filiales ». Ces dernières, qui ont une relation d’allégeance assez floue avec le noyau central, se concentrent notamment sur des problématiques locales mais ayant des retentissements régionaux et globaux (comme les enlèvements d’étrangers par AQMI). En revanche, il est vrai que grâce aux efforts des services de contre-terrorisme, un grand nombre de tentatives d’attentat ont été déjouées en Europe et aux Etats-Unis pendant la dernière décennie.

Les arguments comme quoi Al-Qaïda n’est plus qu’un petit noyau dur qui survit quelque part dans les zones tribales à la frontière de l’Afghanistan et du Pakistan est donc obsolète. L’organisation a muté. Al-Qaïda historique est toujours un groupe situé en Afghanistan et au Pakistan mais dont les capacités de nuisance sont essentiellement assurées par des sociétés affiliées qui lui ont prêté serment (un serment quel le noyau central a pu approuver ou non). Car Al-Qaïda c’est dorénavant à la fois Al-Qaïda Central (AQC), Al-Qaïda en Irak (AQI), Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), Al-Qaïda dans la Péninsule Arabique (AQPA) et une partie des Shabab (ce n’est pas encore clair si toute l'organisation en est partie prenante). Ces filiales partagent le désir d’Al-Qaïda Central d'attaquer les Etats-Unis et ses alliés, bien qu'ils diffèrent dans leur capacité de le faire. De plus, Al-Qaïda Central et ses sociétés affiliées tiennent également à contrôler le territoire de pays à majorité musulmane afin de tenter d'établir des États islamiques (pas nécessairement contiguës avec les Etats actuels et ayant pour finalité de rétablir le califat). Ces deux objectifs ne sont pas exclusifs.

La mort de Ben Laden et le printemps arabe ont clairement remis en cause la géopolitique de l’organisation terroriste. Sans son leader historique, Al-Qaïda Central n’est plus en mesure de remplacer ses pertes et d’enrôler de nombreux jeunes pour mener des attaques contre les Etats occidentaux. L’organisation centrale a aussi depuis des problèmes de financement. Ceci montre que la guerre contre Al-Qaïda porte ses fruits. Par ailleurs, le printemps arabe prouve également qu’Al-Qaïda ne répond plus par son mode radical de protestation aux exigences des masses arabes et islamiques[5]. Al-Qaïda n'a ni commencé ni influencé le cours des soulèvements et a été ignoré par ceux qui y ont participé. En fait, si les résultats du printemps arabe ont favorisé une montée en puissance des islamistes dans divers pays – islamistes d’ailleurs fort différents – cela l’a été par les urnes et sans favoriser une résurgence de l’organisation terroriste.

En revanche, la présence d’Al-Qaïda dans le monde est toujours importante et cela s’explique par le fait que les pays touchés par le printemps arabe et ceux touchés par Al-Qaïda ne sont pas les mêmes (à part le Yémen dans une certaine mesure). Par exemple, du côté de l’Af-Pak, la présence d'Al-Qaïda s’explique par l’échec de la reconstruction en Afghanistan et par le laxisme sécuritaire dans les zones tribales. Malgré le surge américain, force est de constater que si la guerre a été gagnée lors de la chute des Talibans en 2001, la paix a été perdue par la coalition pendant la décennie suivante. Al-Qaïda est donc fort dans les Etats faibles.

Al-Qaïda reste fragile dans certaines zones

Dans les zones où l’organisation terroriste est forte, ce n’est pas Al-Qaïda qui gagne, ce sont les Etats qui perdent. Deux des groupes affiliés à Al-Qaïda Central –  les Shabab et AQPA – contrôlent des morceaux du territoire de la Somalie et du Yémen. Un troisième – AQMI – est relié à un groupe indépendant qui contrôle une ville et une partie du territoire du Mali. Ces Etats ont pour particularité d’être défaillants et en proie aux guerres civiles. Au contraire, dans les Etats solides de nombreux attentats ont été déjoués. Et malgré des frappes meurtrières en Espagne, en Angleterre ou en Algérie, Al-Qaïda n’arrive pas à les déstabiliser. Cependant, même dans les pays où elle est bien implantée, l’organisation est en position de faiblesse relative : au Yémen, AQPA détient une partie du territoire mais sous contrôle des tribus locales. La même chose pourrait être dite d’AQMI au Mali. En Somalie, il n'est pas clair que l'ensemble de l'organisation des Shabab ait convenu de la fusion avec Al-Qaïda[6].

Évidemment Al-Qaïda n’est pas en meilleur état à l'échelle mondiale aujourd’hui qu'il y a dix ans. L’organisation peine à renverser les dirigeants musulmans des États jugés impies, à imposer sa version de la charia aux peuples et à contrôler de larges territoires. Et quand ils le font, ce sont dans des États déjà défaillants. En outre, dans les pays touchés par le printemps arabe, les islamistes (et même les salafistes) optent pour la démocratie qui est, rappelons le, haie par Al-Qaïda. Cependant, l’organisation n’est pas morte et elle continue de nuire grâce à ses affiliés. La stratégie consistant à dépendre uniquement de partenaires régionaux et à lutter contre le terrorisme ne semble pas suffire à arrêter le groupe. Cela ne suffit pas à combler le vide de puissance des Etats défaillants.



[1] « La famille Ben Laden expulsée vers l'Arabie Saoudite », in Le Figaro,  édition du 27 avril 2012.

[2] Seth Jones, « Think Again : Al Qaeda », in Foreign Policy 23 avril 2012.

[3] Mimi Hall et Tom Vanden Broks, « Obama touts progress, orders drawdown », in USA today, édition du 23 juin 2011.

[4] Fawaz A. Gerges, The Rise and Fall of Al-Qaïda,Oxford University Press, 2011.

[5]Mary Habeck, « Answering objections: Is al Qaeda really dead, part one? », in Shadow Forein Policy, jeudi 19 avril, 2012.

[6]Will McCants, « A Tangled Net Assessment of al-Qaeda », in Jihadica, jeudi 19 avril 2012.

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