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Angela & Cie : qui sont les vrais artisans de la relance de la compétitivité allemande ?
©Reuters

Bonnes feuilles

A l'heure où Angela Merkel brigue un troisième mandat aux prochaines élections législatives, vers où et vers quoi va l'Allemagne ? Extrait de "Le Roman de l'Allemagne" (2/2).

Michel  Meyer

Michel Meyer

Michel Meyer a été journaliste, puis rédacteur en chef adjoint à l’ORTF. Délégué permanent de l’ORTF pour la RFA, la RDA, la Pologne et le Danemark, longtemps en résidence à Bonn, il a été Délégué de la Société de télévision Antenne 2 pour l’Allemagne puis fut correspondant particulier de Radio France et de l’Express. Directeur de l’information de Radio France, directeur de France Bleu, il a été co-fondateur de France Info, présentateur des Dossiers de l’écran. Désormais Consultant en stratégie internationale et audiovisuelle pour la République Fédérale d’Allemagne, la Russie et l’Europe de l’Est depuis 1990, Il est aussi chargé d’enseignement à l’Institut d’études politiques de Paris et à l’Ecole supérieure de guerre. Ill est également membre du conseil supérieur du Centre d’études scientifiques de défense, et auteur de nombreux ouvrages dont le récent Histoire secrète de la chute du Mur, chez Odile Jacob.

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Forte du soutien sans faille de son chimiste de mari, souvent séduite, jamais séductrice, Angela Merkel bénéficie d’une solide proximité technique avec un cercle rapproché de jeunes mousquetaires qui font tout et sont donc tout pour elle.

Ces technocrates très trois pièces sombres à la Boston sont principalement quadragénaires. Plus champions de steeple-chase d’outre-Manche qu’anciens tireurs au sabre des duels étudiants d’une université germanique de province, ils maîtrisent le français et l’anglais à la perfection. Allergiques aux idéologies, farouchement libres, libérés et pragmatiques, ils sont issus des sciences politiques, de la diplomatie, du droit et tout autant du journalisme de haut vol. Leur seul défaut est sûrement d’être bien trop lisses et de produire des discours ou concepts dépourvus de ces aspérités qui accrochent l’attention d’un public populaire. Un défaut que veille à corriger Beate Baumann, sa plus proche conseillère et quasi-sosie physique. Diplômée de Cambridge, cette militante chrétienne-démocrate accompagne Angela Merkel depuis ses premiers pas au sein du parti chrétien-démocrate, puis du Gouvernement. Et c’est à elle qu’il appartient d’« angéliser » les discours de sa Chefin, en émaillant ses discours, par exemple et en son temps, de coups de patte fustigeant la permissivité coupable de l’ex-pape Benoît XVI envers les évêques négationnistes.

Rivée à son bureau de 7 heures du matin à 23 heures, cette soeur siamoise de la chancelière est redoutée, c’est selon, comme un Raspoutine ou un cobra de la reine. Elle est en tout cas celle qui fait et défait les destins. Sans pour autant se prendre pour une déesse omnipotente. Elle n’est folle que de théâtre loufoque, de gastronomie roborative et de vacances en Écosse. Peu regardante sur ses toilettes, elle ne craint pas de s’exhiber affublée de pantalons couleur carotte et chaussée de souliers de randonneur. Avec Beate Baumann, seul Peter Altmaier, l’homme clef du dispositif parlementaire et donc électoral de la chancelière, échappe à un profil par trop technocratique. Ancien haut-fonctionnaire européen, ce Sarrois jovial promu ministre de l’environnement est préposé aux déminages les plus sensibles. Où que ce soit sur l’échiquier politique allemand et européen. Tant il est vrai qu’il faisait partie intégrante, il y a vingt ans, de cette jeune garde, dite Pizza- Connection, au sein de laquelle, dans le sous-sol d’une trattoria de Bonn, la néophyte Angela Merkel s’initiait tout à la fois aux arcanes de la politique et aux dégustations comparatives de Valpolicella, Chianti ou Barolo plutôt bas de gamme. L’occasion de souvent faire table commune avec leurs camarades écologistes, parfaits faux adversaires avec lesquels ces panthéistes naturels que sont aussi les luthériens et même certains catholiques de la Chrétienne-Démocratie, conservent d’innombrables points de convergence. L’illustration, si besoin était, que la République de Berlin reste d’une démocratie bon enfant et foncièrement peu encline aux polarisations venimeuses. Tant il est vrai que les Grünen allemands, longtemps comparés à des pastèques car verts de pelure mais rouge vif au niveau du coeur comestible, sont presque arrivés au terme de leur longue marche à travers les institutions. Forts d’avoir survécu à leur crise de croissance au pivot des années 1970-1980, ils sont aujourd’hui bien plus appliqués, plus pragmatiques et plus impliqués dans la recherche de solutions progressives et empiriques.

Rien à voir avec leurs homologues français, toujours aussi susceptibles d’être assimilés à des cucurbitacées, car prisonniers de leurs contradictions et appétits de pouvoir. Il n’est pas absurde, en pesant minutieusement ses mots, d’évoquer la compétitivité allemande comme la résultante vertueuse d’une continuité d’action laborieuse en perpétuelle mutation créative. Là encore, les artisans de cette renaissance ne sont en effet plus les chars sans tourelles des clichés faciles des fantasmes germanophobiques. Car il y a désormais des pilotes en tout temps et des hôtesses up to date dans les avions industriels et politiques, mais également dans les ministères et think tanks de la République, à tous égards démocratiquement exemplaire, de Berlin. Nikolaus Meyer-Landrut, issu d’une famille d’expert de la Russie d’origine balte et oncle de la lauréate du Grand Prix de l’Eurovision 2010, est le parfait prototype de cette nouvelle variété de grands commis. Portant sur La France et l’unité allemande, sa thèse de doctorat l’a nécessairement laissé sans illusion sur la nature des craintes, jalousies et même ultimes ressentiments que peut susciter à Paris le retour en majesté d’une Allemagne conquérante sur la scène internationale. Bien que spécialiste des questions de désarmement, c’est au titre de son expertise européenne que cet ancien assistant de Valéry Giscard d’Estaing – qu’il assista dans la rédaction du texte soumis au référendum européen de mai 2005 – deviendra, à compter de 2011 et lorsqu’il importait de sauver l’euro, l’interlocuteur clef de Xavier Musca, secrétaire général de l’Élysée. Marié à une Française, Meyer-Landrut doit indéniablement à sa profonde familiarité des arcanes complexes de la relation entre Nordiques et Latins, sa capacité à avoir pu convaincre une chancelière venue de l’Est et peu versée en caractérologie « sarkozienne », de ne pas refuser en catastrophe le supplice de Sisyphe qu’a été et que reste pour elle le sauvetage de l’euro. Lucide, il sait que l’épreuve ne peut durer plus que de raison. Car l’Allemagne, réunifiée et régénérée à grands frais, a déjà contribué massivement – pour environ 500 milliards – aux différents plans de sauvetage européen d’un euro de plus en plus perçu comme une monnaie née hors sol dans le cadre d’un système sans contours clairement identifiables.

À l’époque, Angela Merkel avait dû apprendre auprès de Nicolas Sarkozy comment réagir en voltige pour éviter la faillite des banques allemandes et françaises et donc la dépossession des épargnants européens. Et les patrons allemands s’inquiétaient de la désintégration de l’euro qui le priverait de son marché européen. Alors même qu’à Rome et Paris, l’Europe était assimilée à une fédération hiérarchisée et conflictuelle, avec une nation dominante, dure aux faibles, l’Allemagne.Désormais, dans les centres de pouvoir de Berlin, la génération des 40/60 ans se montre définitivement insensible – ce qui, ainsi que nous le verrons plus avant, n’exclut pas la persistance d’un malaise profond en regard de la Shoah – à toute forme de chantage historique à propos du passé allemand. Et c’est sans le moindre complexe de culpabilité qu’ils défendent, avec le sourire, mais de plus en plus âprement, les intérêts de la Deutschland AG. Grand timonier de la Bundesbank, Jens Weidmann est un parfait spécimen d’une nouvelle race de gardiens du temple anti-inflationnistes. Rien à voir avec ce Feldwebel que l’éditorialiste académicien Jean Dutour avait jadis identifié dans le chancelier Helmut Schmidt. Mais tout à voir avec un Bostonien tout frais émoulu d’une prepatory pour White Anglo-Saxon protestants.

À Francfort, depuis le douzième étage d’un immeuble casemate inviolable et inesthétique, ce quadragénaire, perçu comme un « ange blond ravageur », mène son affaire d’une main de fer. Seine Aufgabe – « son devoir » –, c’est de tenir l’inflation et d’éviter que l’Allemagne se surmène ses finances en cautionnant inconsidérément les Mezzogiorno latins. Francophone raffiné, modérément francophile depuis qu’il a découvert in vivo une certaine propension à la suffisance de l’élite hexagonale, Weidmann goûte d’imiter l’accent de Marseille pour évoquer son goût pour des vins français qu’il sait cataloguer selon les cépages, crus et millésimes. Il est l’illustration vivante de la définitive obsolescence des vieux clichés ou sarcasmes visant à stigmatiser les raideurs germaniques. Et chacune de ses prises de parole dément le persiflage selon lequel en « allemand, ce serait mentir que d’être poli ou nuancé ». Issu du cabinet d’Angela Merkel auprès de laquelle il a oeuvré cinq ans, il maîtrise magistralement le petit jeu de rôle auquel un gouverneur de la Bundesbank doit rituellement sacrifier. Il sait donc, à destination de la galerie financière, jouer au méchant et rembarrer la chancelière, sans trop de ménagement, pour lui refuser certaines concessions qu’elle pourrait, épisodiquement, être tentée de lâcher aux Italiens ou aux Français. Oui, pour ce faucon financier qui a étudié l’économie à l’université d’Aix-Marseille et accompli ses stages de formation à la Banque de France, l’inflation reste le diable. Pour lui, s’endetter en vivant au-dessus de ses moyens est un vice et manipuler les monnaies n’est jamais que tricher avec la réalité économique. En foi de quoi, appointé à 8 000 euros net par mois, Jens Weidmann roule dans une voiture vieille de neuf ans et veille à déjeuner à la cantine de son institution aussi souvent que possible. Non sans aménager sur son agenda mensuel, dans cet esprit de codécision qu’il considère comme un acquis social providentiel, de longues plages de dialogue avec ses personnels. Un autre parfait inconnu, pasteur chrétien-démocrate de son état, dispose d’une influence considérable dans la conduite des dossiers sensibles.

Ce Rhénan aussi volubile que rugueux, intime d’Angela Merkel qu’il a soutenue jadis, lors de ses timides débuts ministériels à Bonn, est devenu son chevalier blanc économique. Peter Hintze incarne, dans la totale absence de complexes d’une génération pour le coup bénéficiaire autoproclamée de la grâce d’une naissance tardive, un retour vers eux-mêmes germano-germanique des Allemands. Coordinateur du lien avec le monde du business, ce théologien se pose en tuteur d’EADS et il s’est approprié un droit de regard sur l’ensemble des problématiques aéronautiques européennes. Dire qu’il prend son rôle très à coeur est un moindre mot. Interventionniste et très directif, il est devenu la bête noire des managers en titre, a fortiori lorsque, comme Thomas Enders, le numéro un d’EADS, ils sont comme lui, allemands et classés politiquement à droite. C’est lui qui, actionnaire sourcilleux et même intransigeant, exige qu’ils fassent jeu égal avec la France. – Dans ce cas, réagira Enders, pourquoi ne dirigez-vous pas l’entreprise à ma place ? – Mais pourquoi pas ? sera la réponse du politique. En 1989, la création d’EADS visait, sur le mode d’un dirigisme centralisateur à la française peu prisé par les Allemands, à restructurer le secteur aéronautique européen. Dans l’intervalle, c’est sous la férule de Hintze que Berlin veille à germaniser les méthodes et procédures. En 2012, c’est sur le même mode dirigiste gaulois, qu’à rôle inversé, la chancelière Angela Merkel a opposé son veto à l’alliance industrielle euro-britannique pourtant concoctée par les managers d’EADS sous la férule de l’Allemand Thomas Enders, alias Major Tom. La chancelière, disait-on, trouvait du « charme » au projet. Mais plus question de signer, les yeux fermés, des propositions françaises jugées « impudentes ».

L’Allemagne prend donc la main. De complémentaire, la relation est devenue rapport de force. C’est, a posteriori, l’illustration d’une stratégie très habile ayant consisté à faire longtemps profil bas en prenant le sillage de la France dans un domaine où l’Allemagne, dont on se souvenait trop que les principaux adjoints de Hitler – Hess et Goering – avait été de grands férus d’aviation, ne pouvaient et ne devaient rejouer les gros bras. Durant quarante ans les Allemands serrent les dents et acceptent, au sein d’Airbus ou d’Eurocopter, le principe d’une suprématie technologique et scientifique française en même temps qu’une influence capitalistique et industrielle moindre. Il en sera autrement lorsque Thomas Enders, fils de berger et ancien parachutiste formé à l’économie et à l’histoire en Rhénanie puis en Californie avant de faire carrière dans les métiers de la Défense nationale, accédera à la présidence du groupe. L’animal ne manque pas de caractère. Membre de l’aile droite bavaroise de la chrétienne-démocratie allemande, il n’hésite pas à démissionner de ce parti au spectacle de non-implication que celui-ci donne au moment de la crise libyenne, puis lors de l’abandon, suite au drame de Fukushima, de la filière nucléaire allemande par la chancelière Angela Merkel. Pire encore : à peine nommé président d’EADS en lieu et place du Français Louis Gallois, il décidera de fixer à Toulouse le siège d’EADS jusqu’alors dispersé entre Munich et Paris. Aucun doute, en torpillant le projet d’alliance avec l’Anglais BEA – ainsi qu’elle l’avait déjà fait lorsqu’il s’était agi d’intégrer le leader européen des systèmes de défense Thalès au sein même d’EADS – la dame de Berlin, ne faisait que lui rendre la monnaie de sa pièce.

Dans l’intervalle, Enders, moins suicidaire qu’il y paraît, s’est réconcilié avec Hintze. Et c’est ensemble, sans trop consulter les managers français du domaine, qu’ils ont enfanté d’une nouvelle stratégie et organisation du secteur aéronautique franco-allemand. EADS étant un vague « sigle » qui n’avait pu acquérir la moindre notoriété, le groupe sera identifié sous celui d’Airbus et subdivisé par branches d’activités avions et hélicoptères civils et militaires. Au-delà, il est recommandé à ses dirigeants d’en faire une entreprise normale et rentable.hetty 60 ans après la signature du traité de l’Élysée scellant une amitié indéfectible entre deux ennemis héréditaires, la gestion des coopérations industrielles à implications étatiques autant que celle des solidarités monétaires au sein de l’Eurogroupe, révèle des méfiances et des lignes de fracture que l’on croyait révolues. La récente alternance politique française n’y est certes pas étrangère. Mais à vrai dire, ce malaise est bien antérieur. Et pour peu que le couple Sarkozy/Merkel se soient entendus comme chien et chat, celui que forme la chancelière avec François Hollande ne fonctionne jamais, à rôle inversé, que comme chat et chien.

Extrait de "Le Roman de l'Allemagne, Ou l'histoire secrète d'une renaissance…", Michel Meyer, (Editions du rocher). Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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