Alzheimer : après l’échec de dizaines de traitements médicamenteux, des neurologues britanniques expérimentent un traitement par courant électrique dans le cerveau <!-- --> | Atlantico.fr
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cerveau Alzheimer recherche médicale scientifique
cerveau Alzheimer recherche médicale scientifique
©FRED TANNEAU / AFP

Nouvel espoir

L'Imperial College de Londres et l'Institut britannique de recherche sur la démence ont obtenu une importante subvention auprès de philanthropes américains, dont Bill Gates, pour tester cette nouvelle technologie.

André  Nieoullon

André Nieoullon

André Nieoullon est Professeur de Neurosciences à l'Université d'Aix-Marseille, membre de la Society for Neurosciences US et membre de la Société française des Neurosciences dont il a été le Président.

 

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Christophe de Jaeger

Christophe de Jaeger

Le docteur Christophe de Jaeger est chargé d’enseignement à la faculté de médecine de Paris, directeur de l’Institut de médecine et physiologie de la longévité (Paris), directeur de la Chaire de la longévité (John Naisbitt University – Belgrade), et président de la Société Française de Médecine et Physiologie de la Longévité.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, notamment de "Bien vieillir sans médicaments" aux éditions du Cherche Midi, "Nous ne sommes plus faits pour vieillir"  chez Grasset, et "Longue vie", aux éditions Telemaque

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Atlantico.fr : A quoi correspondent cette nouvelle technique et ces travaux de recherche sur la maladie d’Alzheimer ?

Christophe De Jaeger : La maladie d’Alzheimer est le grand fléau sanitaire attendu dans les années à venir. Les coûts humains et sociétaux seront gigantesques. Nous gagnons en espérance de vie à la naissance, mais notre espérance de vie en bonne santé reste globalement stable en France. Cette augmentation de l’espérance de vie a donc pour corollaire une augmentation des maladies chroniques de l’âge et en particulier des maladies neurodégénératives, telles que la maladie d’Alzheimer. L’augmentation démographique n’est probablement pas la seule explication à l’augmentation importante du nombre de cas à venir. On s’interroge également sur le rôle croissant de notre mode de vie (stress, insomnies…), de notre environnement (pollution…) sur l’émergence des pathologies dégénératives. Ce type de maladie qui touche le cerveau en atteignant la mémoire, le comportement, etc est particulièrement redouté des personnes vieillissantes, car elle signifie une perte de leur autonomie, une impossibilité de leur maintien à domicile et donc une institutionnalisation à terme.

Trouver une solution pour traiter ces patients est donc un enjeu fondamental pour toutes nos vieilles démocraties occidentales où le nombre de personnes âgées et malades augmente régulièrement. C’est un enjeu fondamental pour les patients et leur qualité de vie, pour leurs familles, mais également pour la société dont le coût de ce type de pathologie est de plus en plus élevé.

Là encore, tout n’est pas simple, car il n’existe pas de cause bien identifiée à la maladie d’Alzheimer. De nombreuses pistes ont étés identifiées, mais restent au statut de pistes. Il s’agit d’un point fondamental, car un médicament repose sur la lutte contre un mécanisme pathologique défini. Or, le mécanisme précis de la maladie d'Alzheimer n’est toujours pas clairement identifié et il existe probablement un ensemble de facteurs favorisants qui s’intriquent.

C’est, je pense, la principale raison qui explique que tous les efforts de la recherche bio-médicale pour trouver un ou des médicaments sont jusqu’à présent malheureusement des échecs. Ceci étant dit ne soyons pas trop sévère, car certains médicaments, bien que controversés, aident néanmoins certains malades à stabiliser un temps leur pathologie.

Le recours à des techniques d’électrostimulations constitue une nouvelle piste bien que nos amis anglais en soient vraiment qu'à un stade très précoce de leur travail et dont on ne peut rien dire de plus qu’attendre leurs résultats en espérant qu’ils soient positifs et donnent aux médecins une nouvelle arme thérapeutique.

Aujourd’hui, je pense essentiel d’insister sur la notion de dépistage le plus précoce possible de cette maladie. Car, s’il n’existe pas de traitement guérissant la maladie d’Alzheimer, de très nombreuses études montrent l’intérêt d’un dépistage précoce des troubles cognitifs (les fonctions cognitives dépendent du cerveau, comme les mémoires, le comportement, la parole, le raisonnement, etc…), car pouvant conduire à travers un certain nombre de protocoles à une stabilisation des troubles, voire à une régression de ceux-ci.

La piste de la détection précoce est donc aujourd’hui la seule vraie stratégie, car permettant une prise en charge précoce. Si vous avez un doute sur votre mémoire où celle de vos proches, consultez un centre mémoire qui pourra vous rassurer dans le plus grand nombre de cas ou bien, vous proposez une prise en charge.

André Nieoullon : Comme vous ne l’ignorez pas, en dépit d’efforts colossaux et depuis des décennies, nous sommes face à un échec s’agissant de la recherche de médicaments efficaces pour lutter contre la maladie d’Alzheimer, alors même que, juste dans notre pays, plus de 900.000 malades sont concernés, et que le coût humain, médical et social de cette maladie et des démences qui lui sont associées, est absolument considérable. A ce jour encore, des centaines d’essais thérapeutiques sont toujours en cours mais, malheureusement, il faut se rendre à l’évidence qu’en dépit de quelques lueurs d’espoirs et d’un nombre d’avancées majeures sur la maladie et ses mécanismes les plus intimes, pour le moment rien ne permet d’être optimiste à court terme pour un traitement efficace.

Dans ce contexte, d’autres pistes thérapeutiques ont été envisagées, au-delà des approches de thérapie comportementale, et depuis l’avènement des techniques de stimulation cérébrale il y a maintenant une bonne trentaine d’années, et qui ont fait progresser les traitements de certaines pathologies neurologiques, voire psychiatriques (maladie de Parkinson, migraines, dépressions, TOC, à titre d’illustrations), une voie de recherche nouvelle s’est ouverte s’agissant de la maladie d’Alzheimer et des démences associées. Ainsi, depuis près d’une dizaine d’années, certaines équipes, dont d’ailleurs des équipes de neurologues et chercheurs français, ont tenté d’utiliser certaines de ces méthodes de stimulation cérébrale pour évaluer leurs effets chez les patients, souvent en combinant des approches de stimulation, en général de stimulation magnétique « non invasive »,  c’est-à-dire de courants magnétiques appliqués simplement sur le cuir chevelu sans intervention chirurgicale (stimulation dite « transcrânienne »), avec des approches de stimulation cognitive des patients. Les résultats sont mitigés et ces travaux, toujours en évolution, n’ont à ce jour pas donné les résultats escomptés.

Dans ce champ de recherche, les travaux de l’équipe de Londres, aujourd’hui mis en lumière par les fortes dotations des Fondations US, procèdent d’une approche différente mais tout aussi « non invasive », qui s’inscrit dans une suite de travaux déjà anciens et initialement conduits sur des groupes de sujets volontaires non malades. Il s’agit de fait d’une variante de ces méthodes de stimulation transcrânienne utilisant non pas une stimulation magnétique mais qui consiste en l’application d’un courant électrique alternatif de très basse tension sur un sujet vigile non anesthésié, simultanément sur deux régions phares du cerveau s’agissant du traitement des fonctions cognitives, celle du cortex préfrontal à l’avant du cerveau, et celle du lobe pariétal, plutôt à l’arrière.

L’objectif de ces stimulations appliquées pendant plusieurs heures, sans conséquence pour le sujet, est alors de voir si ce protocole est à même d’influencer les capacités cognitives, dont bien entendu la mémoire, l’une des fonctions tellement déficientes dans le contexte de la maladie d’Alzheimer.

Les premiers résultats de l’excellente équipe de l’Imperial College de Londres publiés en 2018, et qui ont servi de base à l’étude aujourd’hui subventionnée par les Fondations américaines, ont effectivement montré qu’un tel protocole de stimulation était à même d’améliorer les performances mnésiques des sujets dans des épreuves dites « de mémoire à court terme », ce qui, il faut bien le préciser, ne représente qu’un aspect très limité des processus mnésiques, ce que l’on nomme la mémoire « immédiate ». En jouant sur les fréquences de la stimulation transcrânienne, les chercheurs ont montré qu’en « synchronisant » leurs rythmes de stimulation de telle manière que ceux-ci « facilitent » les rythmes endogènes (normaux) du fonctionnement cérébral, ce que l’on nomme notamment les rythmes associés au sommeil (« fuseaux du sommeil » en électroencéphalographie), alors ils observaient une bonne amélioration des performances cognitives. Ainsi, selon ces chercheurs, la modulation des rythmes cérébraux endogènes, facilitée grâce à ces stimulations, est à l’origine d’un meilleur fonctionnement du cerveau s’agissant de ces tâches cognitives. Une réelle avancée, indéniablement, d’autant que, dans le même temps, il était montré que ces effets cognitifs s’accompagnaient d’une amélioration du flux sanguin cérébral, appréciée par des techniques très performantes d’imagerie cérébrale dynamique de type IRM fonctionnelle et Tomographie par émission de positions, TEP.

Il n’est dès lors pas surprenant que ces résultats aient retenu l’attention des Fondations américaines qui soutiennent la recherche sur la maladie d’Alzheimer, dont celle de Bill Gates, comme vous le soulignez. Le protocole qui sera appliqué aux patients dans cette étude exploratoire concernant 24 malades sera légèrement différent de celui utilisé dans la première étude. Mais il est essentiel de préciser que les malades sélectionnés pour l’étude sont encore à des stades précoces de la maladie d’Alzheimer, à un moment où les troubles sont déjà bien installés mais auquel les malades conservent encore une bonne autonomie, c’est-à-dire que leurs fonctions cognitives ne sont pas totalement inopérantes. S’agissant du protocole de stimulation lui-même, les objectifs des chercheurs visent ici à synchroniser les rythmes cérébraux endogènes, comme précédemment, mais en jouant sur un autre rythme d’une structure cérébrale enfouie dans le cœur du cerveau, que l’on nomme « hippocampe » et qui est la structure-clé s’agissant du fonctionnement de la mémoire. La mise en œuvre des stimulations simultanées du pôle frontal et du pôle pariétal est organisée de telle manière que ces courants facilitent l’émergence d’un rythme bien connu de l’hippocampe, le « rythme théta hippocampique », un rythme lent autour de la fréquence de 5 Hz, et qui se développe là encore en rapport avec les états de relaxation du cerveau, lorsque le cerveau se met en quelque sorte « au repos ». C’est alors que sont espérés des résultats positifs sur les malades, au même titre que ceux obtenus sur des volontaires non malades chez lesquels, par exemple, des tests ont révélé que cette forme de stimulation cérébrale transcrânienne avait pour effet de faciliter les processus de reconnaissance dans un test classique en neuropsychologie, le test dit de « reconnaissance faciale », processus largement déficient dans les premiers stades de la maladie d’Alzheimer. Cette étude débutera en janvier prochain et il en est attendu des résultats positifs chez les malades, considérant toutefois qu’il ne s’agit que de recherche et qu’en dépit de ces espoirs il est peu vraisemblable qu’une telle technologie puisse être mise rapidement au profit du plus grand nombre. Par ailleurs, l’une des dimensions qui doit faire l’objet d’analyses attentives est de savoir s’il existe une rémanence des effets de ces stimulations ; en d’autres termes si les effets d’une séance se poursuivent dans le temps et jusqu’à quand ? Un espoir, oui, certainement, mais d’abord et encore pour mieux comprendre la maladie et ses mécanismes.

Quelles sont les avancées réelles de cette technique ? S’agit-il d’une véritable révolution dans la recherche médicale ? Quels pourraient être les progrès sur le plan médical et l'application concrète de cette méthode ?

Christophe de Jaeger : La stimulation cérébrale est une idée déjà ancienne et tout le monde repense évidemment à la sismothérapie (électrochocs) utilisée un temps par les psychiatres pour traiter certains désordres psychiatriques avec parfois des résultats intéressants. Mais l’aspect dramatique de ce type de traitement et les résultats parfois discutables l’ont limité à certaines indications très sélectives. Dans le cas présent, la technique testée par les confrères anglais s’appuie sur des courants de hautes fréquences (non nocifs) qui devraient stimuler le métabolisme énergétique mitochondrial des cellules nerveuses et donc « redonner une certaine vie à ces cellules ». Dans ce cas, les confrères britanniques s’appuient sur la théorie énergétique de la maladie d’Alzheimer et essaient de stimuler le fonctionnement énergétique des cellules par l’utilisation de hautes fréquences.

Le métabolisme cellulaire neuronal peut également être favorisé par d’autres techniques, mais seuls les résultats de cette expérimentation pourront nous dire s’il s’agit d’une technique prometteuse ou d’un nouveau faux espoir. Il faut maintenant leur laisser le temps de mener leur travail à sa fin.

André Nieoullon : Evolution, certainement. Révolution conceptuelle, peut-être pas car, comme je l’ai mentionné, les méthodes de stimulation cérébrales sous toutes leurs formes sont déjà largement appliquées en clinique. Néanmoins, s’agissant du cas très particulier des démences de type Alzheimer, toutes les pistes sont à prendre en considération du fait de notre dénuement thérapeutique et celle-ci vaut bien les précédentes. A suivre donc, avec prudence, mesure, mais aussi beaucoup d’intérêt !

Il y a cependant un point que je voudrais mentionner et sur lequel bute mon enthousiasme. Les chercheurs de l’Imperial College mentionnent dans leurs attendus qu’en fait l’un des effets de leurs stimulations serait de « revitaliser » l’énergétique des neurones, déficiente chez les patients. Ce déficit énergétique est bien connu et de longue date, concernant ce que l’on nomme la « centrale énergétique » des neurones, appelée « mitochondrie ». Les chercheurs prétendent alors que leur stimulation, qui augmente le flux sanguin cérébral, aurait aussi pour effet de corriger les dysfonctionnements de ces mitochondries. Pourquoi pas ? En tout état de cause, tout reste à faire pour le démontrer mais, s’agissant d’une maladie dont tous les mécanismes ne sont pas connus, il faudra qu’ils apportent des éléments nouveaux pour en convaincre la communauté scientifique, autres que ceux sur lesquels ils s’appuient aujourd’hui pour formuler leur hypothèse s’agissant des effets thérapeutiques.

La philanthropie pourrait-elle être un atout pour la médecine de demain pour certaines maladies comme Alzheimer ou les cancers ou pour découvrir de pistes de traitements inédites et permettre d’apporter ainsi de l’espoir auprès des malades ? 

Christophe de Jaeger : La philanthropie a toujours été une aide pour toutes les recherches et en particulier pour celle qui ne bénéficient pas des subventions publiques ou qui ne sont pas susceptibles de déboucher sur un plan commercial. Malheureusement, elle reste peu développée en France pour des raisons fiscales. C’est au contraire le nerf de la guerre aux États-Unis où la totalité de vos dons peut être soustraite de vos impôts. De nombreuses institutions de recherches fonctionnent outre-Atlantique uniquement sur ce mode. Et pour conserver leurs donateurs, ces institutions doivent montrer des résultats.

Malheureusement, en France, il existe un second problème : la tendance à soupoudrer les financements. En d’autres termes, une fondation, une société… ne va pas prendre en charge une recherche en totalité (une vraie recherche va coûter plusieurs millions d’euros), mais donner un peu à plusieurs structures, voire à de très nombreuses structures de recherche. Il s’agit probablement d’une façon pour le donateur de limiter le risque de participer à une recherche qui n’aboutit pas. Mais soupoudrer n’a jamais vraiment aidé la recherche, cela fait juste plaisir à certains donateurs qui sont très heureux de dire qu’ils aident la recherche sur les cancers, sur les maladies neuro dégénératives, sur les maladies orphelines… mais à chaque fois en donnant une somme symbolique et fatalement peu utile, voire inutile.

La philanthropie devrait aujourd’hui combler les trous laissés par la recherche à financement public. Mais il faudrait qu’elle soit courageuse et innovatrice.

André Nieoullon : La philanthropie est essentielle au bon financement de la science, en général, et ceci depuis les fondements de la science moderne dès le XVIIIème siècle où déjà de riches mécènes soutenaient souvent des chercheurs à titre particulier. Aujourd’hui il n’en est pas autrement et la recherche scientifique a un besoin vital de ces financements privés qui viennent compléter les financements institutionnels, parfois jusqu’à hauteur de 20 à 30% des projets de recherche. Sans vouloir les citer toutes au risque d’en oublier, s’agissant de la recherche biomédicale, je mentionnerai dans notre pays à titre d’exemple la Fondation pour la Recherche Médicale (FRM), qui œuvre depuis si longtemps pour le soutien des jeunes chercheurs, notamment, la Fondation de France, ou encore la Fondation Bettencourt-Schuller, qui apporte en particulier son soutien aux équipements et rénovations des laboratoires, ou la Fondation Edmond Safra, pour ce qui concerne les Neurosciences, et encore la Fondation Michael J. Fox s’agissant de la maladie de Parkinson aux USA, parmi d’autres, incluant aussi des Fonds de dotation. 

On le voit, les sources sont nombreuses et fondamentales pour le fonctionnement de la recherche. S’agissant de la Fondation Bill et Mélinda Gates, elle est aujourd’hui sur tous les fronts, de l’humanitaire aux fondements de la recherche biomédicale, notamment bien entendu sur celui de la COVID-19. Gageons que son engagement pour les patients souffrant de maladie d’Alzheimer soit, dans le cas précis, source d’un succès attendu par tous.

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