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Alstom, Renault, Airbus, Huawei : les dossiers qui attendent que la France définisse enfin ses priorités
©Hauke-Christian Dittrich / dpa / AFP

Atlantico Business

Alors que Alstom va sans doute racheter Bombardier, alors que Renault se dote d’un nouveau DG, que Airbus accepte de payer 3 milliards d’euros d’amendes pour effacer les faits de corruption... La multiplication des dossiers et des contentieux prouve que la France a besoin d’une politique industrielle.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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La semaine déborde de dossiers industriels qui montrent à quel point, depuis plus de dix ans, la France a manqué de cohérence et d’ambition industrielle.

Le français Alstom va donc racheter la branche ferroviaire du canadien Bombardier. Cette affaire a du sens, d’abord parce que c’est Alstom, fort de ses résultats et des perspectives de son carnet de commandes pléthorique qui va racheter la totalité de Bombardier. Aussi parce que les deux entreprises sont complémentaires, qu‘elles ont souvent les mêmes clients et enfin, parce que Bombardier est très implanté en France pour ses fabrications. L’union de ces deux entreprises va donner naissance à un champion mondial capable d’assumer la concurrence du chinois CRCC, du japonais Hitachi et de l’allemand Siemens.

Le rapprochement entre Alstom et Bombardier laisse à la France un leadership dans cet oligopole planétaire, dans un secteur où le développement attendu dans les pays émergents et demain en Afrique, est considérable.

Il y a encore un an, cette opération paraissait inimaginable. Les Français donnaient l’impression de ne pas savoir quoi faire d’Alstom ferroviaire après la revente de toute l’activité centrales nucléaires aux Américains de GE. Il y a encore un an, les Français de l’administration et du gouvernement plaidaient pour une association avec Siemens. Le mariage du siècle, puisqu‘on rêvait d’accoucher d’un « Airbus du rail ». Ce mariage ne s’est pas fait, la Commission européenne n’en a pas voulu. Les hauts fonctionnaires de Bercy n’ont sans doute pas encore compris pourquoi. Et bien tout simplement parce que les forces du marché n‘allaient pas dans ce sens là, mais plutôt en faveur d’une protection des intérêts nationaux. L‘histoire avec Siemens ne s’est pas conclue parce que Siemens était trop gourmand et que la Commission de Bruxelles a mis son veto à un projet dont le seul intérêt était politique et aurait permis à la gouvernance française et allemande de parader dans les journaux télévisés. Sur le plan industriel, la balle serait passée dans le camp de Siemens et aurait signé l’arrêt de mort d’Alstom.

Margrethe Vestager, la commissaire à la concurrence à Bruxelles, ne s‘opposera pas au projet avec Bombardier.

L’histoire ne se déroule pas du tout comme on aurait voulu la raconter quand il s’agissait de se vendre à Siemens et peut être de permettre à certains actionnaires d’Alstom (comme Bouygues) de sortir avec une belle plus value.

Airbus, autre grande société européenne, un modèle de politique industrielle du siècle précédent, va tourner les pages les plus sombres de son histoire en soldant toutes les affaires de corruption dans lesquelles l’entreprise était poursuivie. Elle va donc payer plus de 3 milliards d’amendes au Trésor français, au Trésor britannique et au Trésor américain. C’est le prix à payer pour réparer tous les dégâts provoqués par l'inflation des pots de vin, des commissions occultes et des intermédiaires utilisés dans les négociations commerciales et particulièrement sur les ventes d’armes.

C’est la direction d’Airbus elle-même qui a décidé de reconnaître ces malversations, et dans la foulée de changer son management. Son objectif était de nettoyer son image et ses pratiques et d’éviter les contentieux qui lui auraient coûté beaucoup plus cher, puisque dans ce cas-là, l’entreprise se serait retrouvée interdite de participer aux appels d’offre sur le marché américain. Pour Airbus, c’était gênant.

Airbus met donc fin à des pratiques qui étaient joyeusement partagées par de nombreux pays avec la complicité des administrations et des responsables politiques.  On s’arrête parfois sur le montant de la fraude fiscale alors que le trafic d’influence et la corruption au moment des passages de commandes portaient sur des sommes beaucoup plus importantes.

Cette époque est donc révolue, mais on s’étonne que ce soit le marché et la pression de la concurrence qui aient poussé la direction à prendre les devants, alors que depuis les lustres, les Etats et notamment l’Etat français étaient actionnaires de l’entreprise et laissaient faire.

Airbus est né il y a un demi-siècle d’une vision de politique industrielle à l’échelle européenne, mais cette politique industrielle n‘a jamais évolué pour s’adapter aux pratiques nouvelles de la concurrence internationale.

Les problèmes traversés par Renault sont encore plus symptomatiques des erreurs ou des défaillances de l’Etat actionnaire et régulateur. Quelque soit le comportement personnel de Carlos Ghosn qui n’est sans doute pas un enfant de chœur, son arrestation par les Japonais a donné un coup d’arrêt à une stratégie industrielle de consolidation entre Renault et Nissan qui avait été mal ficelée et mal défendue par l’actionnaire français. L’actionnaire français a commis trois séries d’erreurs. La première a été d’empêcher le mariage avec Fiat qui offrait une opportunité historique à Renault pour s’installer sur le marché mondial.

La deuxième a sans doute été de ne pas soutenir le président de l’Alliance dans son projet de rapprochement avec Nissan.

La troisième erreur aura été tout simplement de ne pas s’effacer au capital de Renault, à un moment où l’action aurait permis de sortir sans perte. Maintenant les jeux sont faits. L’Etat n’a plus qu'à observer la façon dont les constructeurs français vont répondre aux enjeux compliqués que l’État a favorisé sur le marché automobile.

Au même moment, l’Etat paraît embarrassé par l’affaire Huawei et la 5G. Faudrait-il ou non respecter l’ostracisme américain de s’opposer à l’importation de produits ou de composants Huawei en Europe ? L‘affaire n’est pas tranchée, mais les marchés eux ne suivent pas les injonctions politiques.

Huawei est un constructeur digital chinois considérable. Il produit et vend des smartphones dans des proportions plus importantes que Apple ou Samsung, mais Huawei produit aussi des systèmes de communication et des serveurs. Huawei a d’ailleurs pris une avance importante dans le développement de la 5G. Huawei est devant tous les constructeurs du monde.

La 5G permet un internet ultra rapide avec des bandes passantes plus larges. Le protocole de la 5G permet le fonctionnement des objets connectés sans dysfonctionnement et le téléchargement de données extrêmement lourdes. Bref, la 5G est incontournable pour avancer dans cette révolution digitale. Le problème, c’est que personne dans le monde, hormis les Chinois, ne maîtrise cette technologie, mais tout le monde en a besoin.

L’Amérique de Donald Trump s’est interdit d’utiliser la technologie Huawei parce que les experts de la Maison blanche estiment que l’entreprise chinoise utilise sa technologie à des fins d’espionnage en recueillant les données personnelles. Possible, mais personne n’a encore pu le prouver. L‘Amérique de Donald Trump souhaite que ses directives soient respectées par ses alliés au nom du principe de l’extraterritorialité des décisions américaines, ce que les alliés sont peu enclins à entendre.

Boris Johnson a déclaré que la Grande Bretagne utiliserait la 5G de Huawei, en dépit de l’injonction américaine. C’est clair, net et précis. En Europe, la Commission était plutôt favorable à prendre du recul par rapport à la technologie 5G, mais l’Allemagne ne veut aucun cas froisser ses partenaires chinois, la France réfléchit mais comme toujours la France attend le signal des marchés. Sur le marché, les opérateurs téléphoniques Orange, Bouygues, SFR et Free ont fait dire qu'ils pouvaient difficilement se priver des technologies Huawei. Non seulement les acteurs français n‘ont aucune raison de prêter main forte à Donald Trump dans sa guerre commerciale avec Pékin, mais ils n’ont aucune preuve qu'il y aurait dans les puces chinoises un virus espion.

Tous ces dossiers ne prouvent qu’une chose, que l’Etat français n’a pas de vision claire en matière de politique industrielle, il n’a surtout pas les moyens d’intervenir en capital dans les dossiers comme il le voudrait.

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