Allez-y ! L'ostentation du trésor du Saint-Sépulcre se fait remarquer au château de Versailles<!-- --> | Atlantico.fr
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Les trésors cachés du Saint-Sépulcre révélés pour la première fois au grand public.
Les trésors cachés du Saint-Sépulcre révélés pour la première fois au grand public.
©Reuters

Culte flamboyant

Du 16 avril au 14 juillet 2013, se tient dans les salles des Croisades du château de Versailles une exposition présentant pour la première fois au grand public de sublimes œuvres d'art envoyées par les souverains chrétiens au Saint-Sépulcre. Jacques Charles-Gaffiot, l'un des commissaires de l'exposition, revient sur le rapport entre art, ostentation et religion.

Jacques Charles-Gaffiot

Jacques Charles-Gaffiot

Jacques Charles-Gaffiot est l'auteur de Trônes en majesté, l’Autorité et son symbole (Édition du Cerf), et commissaire de l'exposition Trésors du Saint-Sépulcre. Présents des cours royales européennes qui fut présentée au château de Versailles jusqu’au 14 juillet 2013.

 

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Atlantico : L'exposition Trésor du Saint-Sépulcre. Présents des cours royales européennes à Jérusalem a débuté peu de temps après l'élection du nouveau pape François. Autant dire qu'elle tombe relativement à pic. Quel est l'enjeu exact de cette exposition ?

Jacques Charles-Gaffiot : En exposant le "Trésor du Saint-Sépulcre", nous avons eu tout d'abord la conviction de protéger durablement un ensemble exceptionnel d’œuvres d'art arrivées au fil des siècles à Jérusalem. Inventoriés et étudiés, ces chefs-d’œuvres sont à présent hors d'atteinte des convoitises ou des maladresses dont ils ont pu être victimes jusqu'ici. En effet, le miracle de l'existence et de la survie d'un tel trésor réside moins dans sa conservation au sein de la Custode de Terre sainte que dans son arrivée jusqu'à Jérusalem, malgré les tribulations de toutes sortes endurées tout au long du trajet, des vexations faites aux accompagnateurs quant il ne s'agissait pas de vols, de soustractions effectuées indûment par les autorités musulmanes.
La présentation de l'exposition en France permet également de mettre aujourd'hui en lumière le rôle accompli sans tapage depuis près de sept siècles par les Franciscains de Terre sainte au profit des pèlerins comme des populations chrétiennes, musulmanes ou juives habitant la région. Ainsi, par exemple, grâce à cette présence ininterrompue regroupant autour du Custode près de 350 frères dont la moyenne d'âge n'excède pas 35 ans, 40 000 enfants sont quotidiennement scolarisés. La construction d'une piscine olympique à Bethléem par la Custode de Terre sainte a permis de voir figurer aux Jeux olympiques de Londres en 2012 une athlète palestinienne pour le 50 mètres nage libre ! Bien d'autres réalisations aussi inattendues et aussi significatives pourraient encore être citées et ajoutées à un conséquent palmarès.

Sur le site de l'exposition, ce trésor est qualifié d' "un des derniers trésors de l'Occident". Pour quelles raisons ?

Les œuvres d'art exposées au château de Versailles, envoyées à la basilique du Saint-Sépulcre tantôt par les grands, tantôt acheminées par les commissaires de Terre sainte qui surent réunir souvent des aumônes considérables tout au long de l'histoire pour soutenir la présence franciscaine dans les Lieux saints, constituent probablement par leur nombre et leur raffinement le "dernier grand trésor d'Occident" à pouvoir être mis en lumière. Parmi celles-ci, certaines d'entre elles ne sont pas totalement soustraites à la vue des visiteurs ou des fidèles qui pénètrent dans le monument. Mais la plupart, en raison de leur richesse ou de leur fragilité, nécessitent d'être mises en lieux sûrs. Toutefois, ces œuvres ne sauraient être comparées à de simples pièces de musée, aussi belles soient-elles. Elles restent avant tout des objets de culte utilisés lors de grandes célébrations liturgiques à l'intérieur du Saint-Sépulcre, comme au moment de la semaine sainte par exemple, ou même parfois en dehors de la basilique comme cela fut le cas lors de la venue du pape Benoît XVI, en 2009. Jusqu'alors, ces œuvres d'art n'avaient jamais été étudiées dans leur ensemble ni présentées au grand public.

La rivalité entre les souverains chrétiens d'Occident constituait-il le principal ressort les poussant à envoyer de si somptueuses œuvres ?

Sans minimiser leur importance, les rivalités entre les souverains européens des XVIIème et XVIIIème siècles n'expliquent pas à elles seules la beauté des œuvres envoyées depuis l'Occident, ni même d'autres considérations d'ordre économique ou politique. Certes, en 1621, lorsqu'il adresse une missive au Custode de Terre sainte pour lui annoncer l'envoi de présents, le Roi Très Chrétien a conscience du rang qu'il occupe dans le concert des nations. Son geste ne pouvant resté inaperçu, il mesure que le présent du roi de France doit aussi faire honneur à la nation que sa personne incarne. Mais comme il l'écrit lui-même, depuis la ville de Saint-Jean d'Angély, c'est "en signe de la singulière dévotion que nous avons à cette église" qu'un ornement pontifical en drap d'argent brodé de fil d'or composé de quatorze pièces, qu'une magnifique chapelle d'argenterie accompagnée d'une aumône de 7 125 piastres sont expédiées à Jérusalem. Ces dons devaient certes accompagner l'arrivée d'un consul représentant le souverain à Jérusalem et témoigner des bonnes dispositions de la France à l'égard des Franciscains, mais la piété de Louis XIII est trop authentiquement ancrée dans les actes de son gouvernement pour se limiter à servir de simples manoeuvres politiques. Il en va de même pour les royaumes d'Espagne ou du Portugal. Les mines d'or et d'argent d'Amérique latine sont assez généreuses pour permettre aux orfèvres d'employer avec largesse les métaux précieux. Quant au roi de Naples, Charles VII de Bourbon, son héritage maternel lui permet de plonger à pleines mains dans une partie des collections Farnèse qui avaient alimentées les ateliers royaux de pierres dures de Florence. Ayant, dès son avènement en 1734, offert au trésor de Saint-Janvier un superbe calice d'or massif, il ne pouvait pas moins le faire à l'intention du Saint-Sépulcre !

Parmi les souverains ayant œuvré au rehaussement de la splendeur du Trésor du Saint-Sépulcre, combien se sont réellement rendus sur place ? N'est-ce pas là davantage une marque de grandeur et de foi, au regard de la difficulté que représentait le voyage ? 

En dehors de la période des Croisades et de la venue de Frédéric II de Hohenstaufen, les souverains européens ne se risquent pas à entreprendre le pèlerinage de Jérusalem. Le risque est trop grand. La Méditerranée est infestée par les pirates barbaresques qui ne seront neutralisés qu'avec la conquête française de l'Algérie en 1830. Les moyens de locomotion s'étant considérablement améliorés au XIXème siècle, la sécurité des routes maritimes et terrestres renforcée, à la suite du comte de Chambord, l'empereur Guillaume II ou le Tsar Nicolas II, pour ne citer que ces exemples, entreprendront le voyage. Mais la venue de ces souverains obéit bien davantage à des vues plus politiques cherchant à contrebalancer les influences britanniques dans cette région. 

Au sein de la Chrétienté, des voix minoritaires discordantes continuent à refuser de reconnaître le Saint-Sépulcre comme étant le véritable tombeau du Christ, lui préférant le Jardin de la Tombe situé dans l'actuel Jérusalem-Est. Ce dernier se distingue largement par sa sobriété. Ne jugez-vous pas l'ornementation du Saint-Sépulcre excessive pour un lieu de culte consacré à une personnalité aussi simple et peu matérialiste que le Christ ? 

Si l'archéologie paléo-chrétienne n'apporte pas une preuve irrécusable de l'authenticité du Saint-Sépulcre et de l'emplacement du Calvaire, elle atteste par bien des côtés le bien fondé de cette tradition bi-millénaire. En effet, contrairement à ce qu'affirme le texte évangélique, au moins en archéologie, on ne peut déplacer les montagnes. C'est le cas du Calvaire constitué d'une veine rocheuse de médiocre qualité qui n'a donc pas pu être exploitée, plantée au milieu d'une carrière ouverte vers le VIème siècle avant notre ère et abandonnée entre le IIIème et le IIème siècle. Les bancs de pierre ont alors été utilisés pour y creuser des tombeaux tandis qu'à d'autres endroits les excavations ont été remblayées avec de la terre arable. Situé en dehors des murailles de la ville, ce lieu était particulièrement propice pour y procéder aux exécutions capitales, le Calvaire se présentant alors comme une sorte de petit promontoire placé en face des gradins d'un amphithéâtre. Mais l'un des arguments les plus décisifs est donné par l'empereur Hadrien lui même. Lorsqu'il décide en 135 d'éradiquer la ville en construisant Aelia Capitolina, il souhaite aussi annihiler le culte juif. Sur le mont du Temple (qui lui aussi n'a pas pu être déplacé) il fait bâtir un temple en l'honneur de la Triade capitoline et, à l'emplacement de l'actuelle basilique du Saint-Sépulcre, un second dédié à Aphrodite ainsi qu'une statue de la déesse installée au-dessus du Calvaire. Pareille détermination démontre ainsi que ces deux lieux étaient déjà particulièrement vénérés. Ils ne pouvaient l'être par les juifs.  Dans sa volonté de détruire, l'empereur philosophe ne faisait bien évidemment nulle différence entre les juifs orthodoxes et les adeptes "de ce Jésus que Paul dit être ressuscité". Quant au "Jardin de la Tombe" que vous mentionnez, il est difficile de penser que ce lieu n'ait pu laisser aucun souvenir dans la tradition chrétienne bien vivante à Jérusalem encore au IIème siècle. Ce lieu redécouvert à l'époque moderne par des protestants leur permettait de pouvoir à leur tour de bénéficier à Jérusalem d'un "lieu saint" puisqu'ils étaient exclus du Saint-Sépulcre, la Réforme ne s'étant développée qu'à partir du XVIème siècle.
A diverses époques, au Vème siècle avec la querelle iconoclaste, puis au XIIème siècle, au temps de saint Bernard et de l'abbé Suger, et dans une certaine mesure au cours de notre période post-conciliaire, la question de la licéité du "luxe pour Dieu" s'est posée au sein du christianisme. Or, de son vivant, que se soit au sujet de l'or apporté par les mages venus d'Orient, ou du parfum de grand prix versé sur sa terre par Marie-Madeleine, le Christ n'a jamais refusé les gestes de médiation accomplis envers lui par les hommes. L'héritage platonicien nous fait également sentir que le Beau est l'expression du Vrai. Ce "luxe pour Dieu" ne saurait non plus apparaître comme un obstacle à la célébration du "culte en vérité". Si la louange envers le Créateur peut-être considérée comme le véritable sacrifice ainsi que le rappelle, par exemple, le psaume 50, les actes extérieurs de religion, les offrandes faites à Dieu ne sauraient être dénuées de toute valeur. Les actions immatérielles ne sauraient seules prévaloir sur des actes extérieurs qui ne sauraient perdre leur sens du seul fait d'être posés dans leur matérialité. Dans l'univers chrétien, la pensée et la matière ne s'affrontent pas. Les trésors offerts au Saint-Sépulcre valent par la pureté de coeur de ceux qui les ont offerts et façonnés. Mais il est encore plus vrai que le véritable trésor du Saint-Sépulcre reste le tombeau de Jésus de Nazareth retrouvé vide au matin de Pâques, "le seul tombeau qui n'aura rien à rendre à la fin des siècles" pour reprendre l'expression de Chateaubriand !

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