« Algérie, Nouvelle-Calédonie, même combat » : cette opération de déstabilisation de la France qui se joue sur les réseaux sociaux en même temps que les émeutes<!-- --> | Atlantico.fr
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Des manifestants participent à une manifestation de soutien au peuple kanak lors d'un débat sur le projet de loi visant à élargir le corps électoral du territoire français d'outre-mer de Nouvelle-Calédonie, à Paris, le 14 mai 2024.
Des manifestants participent à une manifestation de soutien au peuple kanak lors d'un débat sur le projet de loi visant à élargir le corps électoral du territoire français d'outre-mer de Nouvelle-Calédonie, à Paris, le 14 mai 2024.
©Ludovic MARIN / AFP

Guerres hybrides

Alors que de violentes émeutes secouent la Nouvelle-Calédonie, une imagerie fleurit sur les réseaux sociaux comparant la situation sur l'île et la guerre d'Algérie.

Franck DeCloquement

Franck DeCloquement

Ancien de l’Ecole de Guerre Economique (EGE), Franck DeCloquement est expert-praticien en intelligence économique et stratégique (IES), et membre du conseil scientifique de l’Institut d’Études de Géopolitique Appliquée - EGA. Il intervient comme conseil en appui aux directions d'entreprises implantées en France et à l'international, dans des environnements concurrentiels et complexes. Membre du CEPS, de la CyberTaskforce et du Cercle K2, il est aussi spécialiste des problématiques ayant trait à l'impact des nouvelles technologies et du cyber, sur les écosystèmes économique et sociaux. Mais également, sur la prégnance des conflits géoéconomiques et des ingérences extérieures déstabilisantes sur les Etats européens. Professeur à l'IRIS (l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques), il y enseigne l'intelligence économique, les stratégies d’influence, ainsi que l'impact des ingérences malveillantes et des actions d’espionnage dans la sphère économique. Il enseigne également à l'IHEMI (L'institut des Hautes Etudes du Ministère de l'Intérieur) et à l'IHEDN (Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale), les actions d'influence et de contre-ingérence, les stratégies d'attaques subversives adverses contre les entreprises, au sein des prestigieux cycles de formation en Intelligence Stratégique de ces deux instituts. Il a également enseigné la Géopolitique des Médias et de l'internet à l’IFP (Institut Française de Presse) de l’université Paris 2 Panthéon-Assas, pour le Master recherche « Médias et Mondialisation ». Franck DeCloquement est le coauteur du « Petit traité d’attaques subversives contre les entreprises - Théorie et pratique de la contre ingérence économique », paru chez CHIRON. Egalement l'auteur du chapitre cinq sur « la protection de l'information en ligne » d u « Manuel d'intelligence économique » paru en 2020 aux Presses Universitaires de France (PUF).
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Atlantico : Alors que de violentes émeutes secouent la Nouvelle-Calédonie, une imagerie fleurit sur les réseaux sociaux comparant la situation sur l'île et la guerre d'Algérie. Quel est le but de cette campagne, et qui se cache derrière ?

Franck Decloquement : Nous avons clairement affaire ici à une action de « guerre cognitive » agissant dans le champs des perceptions, ayant vocation à orienter les opinions publiques cibles calédoniennes, afin de les braquer contre les autorités françaises. Dans le but de jeter le trouble dans l’esprit des locaux, en jouant allègrement sur le volet émotionnel, et en instrumentalisant les réflexes de rejet et de défiance.

D'où l’usage de rapprochement sémantique délétère et d’images pièges évoquant la guerre d’Algérie dans ce contexte de crise aigue, afin de renvoyer la France « dans les cordes », en incriminant et dénonçant son passé colonial. Un passé indûment mis en exergue et en parallèle, avec la situation calédonienne actuelle. L’objectif de tout ceci étant naturellement de piéger, d’amalgamer, d’isoler et d’enfermer les autorités françaises dans leurs propres contradictions, afin de les aliéner. De les menotter pour mieux limiter leur marge de manœuvre, leurs moyens de ripostes et les défaire aux yeux de tous sur le plan de la réputation. 

Pour ce faire, les moyens déployés par les attaquants pour parvenir à leurs fins (EFR : ou "Etat Final Recherché"), s’appuient sur une campagne « d’astroturfing » extrêmement bien menées. Rappelons qu’il s’agit ici d’un anglicisme qui qualifie cette technique déloyale de propagande et de manipulation bien connue, très souvent utilisée dans les médias (et notamment sur internet), qui consiste à donner l’impression qu’un phénomène de masse émerge de façon « spontanée »... Alors qu’en réalité, cette mobilisation a été créée de toutes pièces par des attaquants eux-mêmes, pour influencer sur les opinions publiques visées. Espérant ainsi qu’elles se coupent de leurs autorités de tutelle, et contestent par la même occasion leur légitimité, en se retournant contre elles. Les velléités indépendantistes sont ainsi allègrement encouragées, rendant à tout moment la situation hautement inflammable et explosive en Calédonie. Le réseau TikTok étant l’un des vecteurs sociaux utilisés pour encourager, organiser et coordonner la fronde et la défiance sociale pendant les émeutes. D’où son interdiction rapide par les autorités françaises, afin d’en limiter les effets délétères et d’entraver la manipulation en lice sur les opinions publiques autochtones indépendantistes.  

Qui pourrait se cacher derrières ces actions clandestines et de propagande ? En Nouvelle-Calédonie, l’ombre de la Chine, de l’Azerbaïdjan et de la Russie plane naturellement sur les émeutes. Mais dans le cas présent, les comptes mobilisés dans cette opération de déstabilisation par « astroturfing » renvoient pour l’essentiel à des profils individuels – réels ou fictifs – d’Azerbaïdjan.  Depuis quelque mois, le GIB (Groupe d’initiative de Bakou) se rendait assidument dans les manifestations, en lien avec la réforme constitutionnelle sur le corps électoral, particulièrement contestée par les kanaks indépendantistes. On y voyait par exemple, des manifestants prônant fièrement des drapeaux azéris quand d’autres portaient a contrario des sweet-shirts avec le logo du "Groupe d’initiative de Bakou". Mais avec l’embrasement en Nouvelle-Calédonie, l’opération de propagande contre le « colonialisme et le néocolonialisme français » qui bat son plein actuellement, a pris une toute autre ampleur. Et c’est désormais depuis les réseaux « sociaux » que ces groupes activistes azéris de soutien aux indépendantistes kanaks, mènent leur combat « anti-français ». Des comptes X azéris partagent actuellement en masse une affiche qualifiant la police française d’« assassin », alors que l’armée a été déployée dans l’archipel dans le cadre de l’État d’urgence. De son côté, le compte X du Groupe d’initiative de Bakou a aussi – et notamment publié – un communiqué pour exprimer « sa pleine et entière solidarité au peuple kanak ». Faisant porter par la même occasion, et sans grande surprise, la responsabilité des violences qui embrase l’archipel à l’État français, ce : « soi-disant pays des droits de l’homme » qui « refuse le droit à l’autodétermination des peuples maintenus sous sa tutelle »… Fermer le ban !

Rappelons qu’une partie des leaders indépendantistes locaux ont passé un accord avec l’Azerbaïdjan. Depuis, la polémique sur l’influence de ce pays sur la zone est montée d’un cran, depuis la signature en avril dernier d’un mémorandum de coopération entre le Congrès de Nouvelle-Calédonie et l’Assemblée nationale de l’Azerbaïdjan… Un texte qui visait ouvertement à « sensibiliser la communauté internationale sur le droit du peuple de la Nouvelle-Calédonie à l’autodétermination ». Rappelons aussi qu’en juillet 2023, l’Azerbaïdjan avait déjà convié à Bakou – et à grands frais – les indépendantistes de Martinique, de Guyane, de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française. De cette « conférence » était né le « Groupe d’initiative de Bakou » (GIB) qui vise bien entendu à soutenir « les mouvements de libération et anticolonialistes français ». Et l’Azerbaïdjan d’attiser joyeusement dans la foulée depuis, les colères et les réprimandes des kanaks grands partisans de l’indépendance (par ailleurs très hostiles au dégel du corps électoral), quand bien même la Nouvelle-Calédonie est actuellement en proie à des émeutes inédites depuis 1988. Bakou pouvant ici potentiellement chercher à répondre à la défense par la France des Arméniens.

Dans la foulée, et sans surprise, le régime de Bakou a très rapidement démenti les accusations d’ingérences étrangères, les jugeant « infondées », et y voyant des propos « insultants ». L’Azerbaïdjan ne s’intéresse pas véritablement à la cause indépendantiste des Kanaks. Il soutient le FLNKS (le Front de libération nationale kanak et socialiste) afin de gêner la France dans sa souveraineté. Il s’agit visiblement en l’état d’une stratégie de représailles de l’Azerbaïdjan, pour dénoncer les condamnations de Paris à propos des offensives des forces azerbaïdjanaises dans le Haut-Karabakh. Ce territoire peuplé d’Arméniens, qui n’existe plus depuis janvier 2024.

Quel est l'intérêt des puissances qui se cachent derrière cette campagne ?

Ces intérêts sont multiples. La Nouvelle-Calédonie a toujours été une terre extrêmement convoitée par les puissances étrangères pour sa position et son sous-sol. Dans les années 80, suite à la prise d’otages des Gendarmes séquestrés dans une grottes d’Ouvéa, on a su que certains des indépendantistes Kanaks en question, s'étaient entraînés dans les camps militaires libyens. La Libye étant à l'époque, un État qui accueillait énormément de groupes terroristes agissants à l’international. On savait aussi très bien que la Russie se cachait derrière ces actions. La position de la Nouvelle-Calédonie sur le plan géographique, ainsi que ses ressources minières en nickel, font de ce territoire ultra-marin une possession très enviable aux yeux des autres belligérants mondiaux. L’affaire est entendue.

On peut aisément imaginer tout l'intérêt qui consiste bien évidemment à challenger la France en la déstabilisant sur le plan local, espérant ainsi qu’elle se désengage à terme de son emprise ultra-marine. La voie serait ainsi rendue « libre » pour d’autres. Et à l’approche des Jeux Olympiques de Paris, du point de vue des attaquants, le moment est particulièrement bien choisi pour initier la fronde contre la France. Pour autant, l'Azerbaïdjan vient évidemment de démentir sa participation à la génération des émeutes locales. Le message même du démenti est presque – en quelques sortes – un pied de nez, ou une forme d'aveu, puisqu'on sait très bien que l'Azerbaïdjan accueille les partis indépendantistes à grands frais sur place, avec chauffeurs et limousines...

Est-ce que l'opération de déstabilisation peut s'étendre au-delà de la Nouvelle-Calédonie ?

C’est envisageable, en effet. En jouant par exemple sur la mise en œuvres d’actions coordonnées communes, de déstabilisation, sous d’autres latitudes dans nos outremers par exemple, tout devient alors possible et envisageable pour nos adversaires.

Si l’influence de l’Azerbaïdjan est omniprésente en Nouvelle-Calédonie, ce pays n’est bien entendu pas le seul à scruter, ni même à profiter des tensions actuelles pour gagner en influence dans notre archipel. La Russie mais aussi la Chine saisissent également la moindre faille en lice pour polariser le débat public à leur avantage. Et cela pour ses gigantesques mines de nickel qu’elle rêve de pouvoir exploiter à sa guise. D’autant que le sol calédonien renferme la deuxième réserve mondiale de ce minerai, parfaitement indispensable à la Chine pour fabriquer ses batteries de voitures électriques. Alors même que la Chine devance très largement l’Europe dans ses investissements dans les nouvelles technologies, les gisements de nickel sont un véritable trésor pour maintenir son hégémonie pleine et entière dans le secteur. Quant à la Russie, elle cherche de son côté à répandre un mouvement anti-français, et plus généralement, anti-occidental, l’Azerbaïdjan étant une république pro-russe, sa stratégie de désinformation sert naturellement les mêmes intérêts que celle de Moscou et de ses soutiens. Le trio infernal en quelque sorte.

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