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Algérie : la révolte 
dont personne ne parle
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Révolutions arabes

Le "Printemps arabe" a fait souffler un vent de liberté sur la Tunisie, l'Égypte et le Moyen-Orient en général. L'Algérie, tout autant secouée que ses voisins de l'Est, ne fait pourtant pas l'objet de la même attention de la part des médias occidentaux...

Alain Bertho

Alain Bertho

Alain Bertho est professeur d'anthropologie à l'Université de Paris 8-Saint-Denis.

Co-auteur, avec Samuel Luret du documentaire “Les raisons de la colère” (ARTE-Morgane production), il revient sur quarante années d'émeutes dans son dernier ouvrage Le temps des émeutes.

 

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Étonnante Algérie. Samedi après samedi, les rassemblements appelés par des forces politiques d’opposition semblent facilement étouffés par la mobilisation policière. Ce n’est pourtant pas cette même mobilisation policière qui a fait peur aux jeunes du quartier Climat de France de Oued Koriche  les 23 et 24 mars. La résistance à la destruction programmée d’un bidonville a été acharnée, les images de l’émeute ont fait le tour d’Internet et de la presse internationale.

Dix jours plus tôt, la police n’avait pas davantage intimidé les jeunes du quartier de Diar El-Mahçoul, dans la commune d’El-Madania. Là encore c’est le déni récurrent d’un quelconque droit au logement qui les avait amenés à bloquer les rues et à affronter les forces de l’ordre deux jours durant. Quelques jours plus tard, les pouvoirs publics ont cru possible de dégager les barricades encore en place : elles en ont été pour leurs frais !

Les émeutes déclenchées par la mort d'un manifestant

Ainsi passent les semaines dans ce pays qui, plus que tout autre au Maghreb et au Moyen Orient ces dernières années, a vécu au rythme des émeutes. Une trentaine d’affrontements localisés ont été signalés par la presse en 2009. Sur les 45 signalés l’année suivante[1], cinq ont eu pour origine la mort d’un jeune impliquant les forces de police. Ce scénario, récurrent dans le monde entier, est, on le sait, le scénario déclencheur du soulèvement Tunisien après le 17 décembre 2010.

Près de la moitié de ces affrontements a pour origine l’expulsion d’un squat ou d’un bidonville, l’insuffisance de construction sociale, le manque de transparence dans les attributions. Comme à Diar Echems (Alger) en octobre 2009 et février 2010, l’émeute devient un mode banal de contestation des insuffisances de la politique urbaine et des soupçons de corruption qui l’accompagnent.

Pendant que la Tunisie est sous le feu des médias, l'Algérie se révolte... en silence

Alors que toute l’attention du monde commence à se concentrer sur les débuts de la révolution tunisienne, c’est la hausse des prix alimentaires qui, entre le 4 et le 10 janvier, déclenche autant d’émeutes que pendant toute l’année précédente[2]. Internet, Facebook, Twitter y jouent le même rôle qu’ailleurs. Mais cette semaine d’affrontement meurtrier (quatre morts) ne débouche pas sur un mouvement de remise en cause ouverte du régime.

Comme dans d’autres pays de la région, vient alors le temps des immolations par le feu : le 12 janvier un homme de 41 ans, le 14 janvier un jeune de 26 ans à Jijel, le 15 un jeune de 27 ans à Tebessa et un de 24 ans à Mostaganem, le 16, un chômeur de 37 ans à Annaba. La série macabre continue la semaine suivante à Ghardaïa (23 ans), El Oued (chômeur de 36 ans) ainsi qu’à Mascara où un jeune vendeur à la sauvette subit le même sort que Mohamed Bouazizi à Sidi Bouziz le 17 décembre…

Au tour de l'Egypte d'attirer l'attention. Personne ne regarde du côté d'Alger

Début février, alors que toute l’attention du monde est polarisée par la victoire de la mobilisation égyptienne, le cycle des émeutes reprend : plus de 20 en un mois. Beaucoup concernent le logement [3]: Mais c’est aussi le chômage des jeunes qui attise la colère. [4]

C’est toute une jeunesse sans avenir, persécutée voire criminalisée par le régime lorsqu’elle choisit l’exil (la « harga »,) qui mène une sorte de révolution rampante, en dehors de la scène politique officielle (pouvoir et opposition confondus). C’est plus qu’un régime qu’elle combat, c’est ce mélange de mépris, de brutalité et d’autoritarisme auquel les algériens ont donné le nom de « Hogra ». La levée de l’Etat d’urgence le 23 février n’a pas beaucoup allégé le contentieux.

Au fond, la situation algérienne est sans doute plus « européenne » que celles de la Tunisie, de l’Egypte ou du Moyen-Orient. Nous devons d’autant plus la regarder de près : elle nous montre ce qui dans ces « révolutions d’un nouvel âge »[5] nous parle aussi de nous, de l’Europe et des rapports de ses Etats avec leurs jeunesses et avec leurs peuples. Quel que soit le régime politique en place.



[1] Sur plus de 1200 dans le monde

[2] Alger, Oran, Annaba, Constantine, Mostaganem, Tizi Ouzou, Ouargla… 

[3] Abkou, Misserghine, Annaba, Mostaganem, Oran

[4] Naciria (8 et 12 février), Annaba (le 13), Tizi Ouzou (le 13), El Bouni (le 27), Bous Smail (27 février et 1 mars), Mascara (2 mars), Zahana (2 mars)

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