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Alain Madelin : "Moi qui passe pour être libéral, j’aurais engagé toute action gouvernementale en traitant d’abord l’urgence sociale"
©LIONEL BONAVENTURE / AFP POOL / AFP

Entretien politique

L'ancien ministre Alain Madelin regrette le manque de pédagogie de l'exécutif dans la crise des Gilets jaunes. Libéral, il souligne que la première urgence est sociale et que les mesures annoncées par le président de la République ne sont pas suffisantes pour y répondre.

Alain Madelin

Alain Madelin

Alain Madelin a été député, Ministre de l'Economie et des Finances et président du Parti Républicain, devenu Démocratie Libérale, avant d'intégrer l'UMP.

Il est l'auteur de Faut-il supprimer la carte scolaire ? (avec Gérard Aschieri, Magnard, 2009).

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Atlantico : Comment jugez-vous les propositions d'Emmanuel Macron pour sortir de la crise des Gilets jaunes ? S'agit-il d'un virage social ou d'une accélération de son programme comme il l'affirme ?

Alain Madelin : Sur le fond, je pense que jamais le gouvernement n'aurait dû se mettre dans cette situation. Il y a un grand décalage entre la réalité de terrain et ce que fait le gouvernement. Je dis cela d'autant plus volontiers que je m'étais permis de commettre, avant que Macron ne soit candidat, un petit opuscule de ce que pourrait être un programme de président de la République. Dans ce programme, je préconisais ce que fait Macron : le rassemblement de gens de gauche et de droite qui veulent aller de l'avant au-delà des partis politique. Mais je proposais à l'époque de commencer par ce que j'appelais "l'urgence sociale". Dans cette dernière, j'abordais les questions très préoccupantes de pauvreté et le grand décalage entre la France des fins de mois difficile et le spectacle de l'argent facile.

Dans la France des fins de mois difficile, même si l'on peut faire dire ce que l'on veut aux statistiques de l'Insee, ce qui compte en réalité c'est ce que les gens découvrent en réalité, le "reste à vivre" qui ne cesse de se réduire. Il est pourtant le dernier petit sel de la vie, c’est-à-dire, un cadeau à ses enfants, une sortie, etc. C'est cette urgence sociale qui aurait dû être la priorité et il fallait y répondre à la fois par des mesures non conventionnelles et par des paroles qui montraient la compréhension de cette France des fins de mois difficiles. Même si l'on disait que l'on se consacrait enfin à stimuler la création de richesse, la production et l'emploi, il fallait expliquer en même temps que c'était la solution la plus pérenne pour résoudre les difficultés d'une grande partie des salariés.

Plus généralement, comment expliquez-vous cette crise des gilets jaunes ?

La réalité c'est que l'on a fait une erreur économique majeure depuis 20 ans. Nous aurions dû, dans un monde ouvert, chercher la compétitivité "par en haut", c’est-à-dire par une montée en gamme de nos produits et services, ce qui nécessitait un investissement considérable aussi bien en capital financier qu'humain. Faute sans doute de disposer de ce capital financier et de cette formation de qualité, peut-être aussi par facilité, le patronat et les gouvernements n'ont cessé de suriner la chanson du "nous devons être compétitifs par la diminution du coût du travail". On a fait je ne sais trop combien de plans de diminution des charges sociales pour diminuer le coût du travail. Vous observez aujourd'hui que cette question des gilets jaunes c'est la question des gens entre 1 et 1.6 Smic. Si vous subventionnez par la prise en charge des cotisations sociales la baisse des coûts du travail bas, vous multipliez la France des faibles salaires et vous enfermez une partie toujours grandissante de la France dans cette catégorie. Il fallait prendre conscience de cela dès le début et en faire un axe fort de la politique de Macron. Rajoutez à cela la taxe carbone, soit "la taxe de trop", justifiée tant bien que mal à la nécessité de sauver la planète pour des gens qui n'avaient pas d'alternative. C'était prendre une partie des Français pour des imbéciles et cela marqua le début de la révolte des gilets jaunes. Un gouvernement conscient de ce qu'est la politique aurait dû immédiatement retirer la taxe. Faute de cela on a perduré dans une crise pour s'en sortir par un plan financièrement important (encore que l'on ait encore du mal à mesurer son calibrage économique), un plan qui nous fait sortir des critères d'endettement…

Je ne ferai pas au gouvernement ce reproche d'être obligé d'employer de grands moyens face à une situation extrêmement dangereuse pour la démocratie. Maintenant, que les mesures soient mal faites, c'est une autre question sur laquelle on peut tous s'interroger légitimement aujourd'hui.

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Y a-t-il quelques façons selon vous de se rattraper à partir de ses annonces ?

C'est très difficile. Vous avez vu les errements du chef du gouvernement et le coût d'un tel bafouillage sur le moratoire. Quant à la prime d'activité, sans doute aurait-on pu faire dès le début une pédagogie sociale sur une prime d'activité fraichement convertie en impôt négatif à la française. Au fond, jusqu'à 1.2 Smic, vous ne payez pas d'impôts et même en fonction de votre éloignement de cette frontière vous touchez une allocation complémentaire de votre salaire. Ce qui à terme revient à mettre entre parenthèses le Smic qui peut peser sur les entreprises. Et au-delà de ce 1,2 Smic, vous allez payer des impôts. Une opération qui en plus serait facilitée par l'impôt du revenu à la source. Elle permettrait de recevoir une allocation sur votre feuille de paye, ce qui reviendrait à une augmentation, non pas du Smic mais des revenus. Il aurait fallu en faire la pédagogie depuis longtemps. Aujourd'hui les gilets jaunes rejettent la mesure proposée par le président car ils disent ne pas vouloir faire la manche mais vivre correctement de leur travail. Ce qui peut se comprendre étant entendu que pour ma part, je ne pense pas qu'un nouveau monde compétitif, productif, ne puisse pas payer de bons salaires. Il suffit de regarder la Suisse ! Les bons salaires ne sont pas congénitaux à une économie dite libérale, au contraire ! Une économie libérale essaye de payer de bons salaires.

Il faut aujourd'hui reconstruire l'économie pour permettre une mesure non conventionnelle qui serait un complément de salaire qui serait à mes yeux la seule solution techniquement possible. On tourne aujourd'hui autour des bonne solutions, mais qui sont difficiles à faire comprendre "à chaud" puisqu'il aurait fallu faire de la pédagogie depuis longtemps.

Aujourd'hui je ne sais pas où le gouvernement va atterrir et je ne suis pas étonné que le président de la République n'ait eu personne dans son entourage pour lui dire qu'il courait un énorme risque à présenter cette proposition qu'il a faite aux gilets jaunes de manière aussi courte.

Ces demandes des gilets jaunes sont souvent interprétées comme une contestation du libéralisme, le soutien de mouvances très à gauche ayant eu tendance à biaiser le message. Mais n'est-il pas faux de dire que les gilets jaunes s'opposent au libéralisme ?

Il y a plusieurs aîles et courants qui s'expriment dans ce mouvement. Celle qui s'insurge contre le pacte de Marrakech, celle qui dit que s'il y a des faibles salaires, c'est parce qu'il y a une infime minorité de Français qui s'en mettent plein les poches. Ceci est la caractéristique d'une période pendant laquelle vous avez une croissance zéro ou très faible où l'on pense que l'enrichissement des uns est la perte des autres. La question ne se pose pas si vous avez une croissante à 5 ou 10%. C'est caractéristique de l'époque. Une part de l'opinion est excitée par quelques meneurs. Ce que j'observe dans ce monde moderne de foules numérisées, c'est que les évolutions sont bien plus rapides qu'elles ne l'étaient par le passé et que le rythme politique a évolué dans ce sens.

Est-ce qu'il n'y a pas eu chez Emmanuel Macron une certaine incapacité à assumer jusqu'au bout sa filiation libérale ? N'était-ce pas l'occasion de remettre en avant les fondamentaux du libéralisme comme la lutte contre les monopoles ?

C'est assez complexe. Moi qui passe pour être libéral, dans le petit programme que j'évoquais tout à l'heure, je ne parlais de l'ISF qu'une fois engagée toute cette action sociale. Et je disais que je ne voulais pas supprimer l'ISF car je connais le rôle des totems et des tabous.

Aucun pays en Europe ne taxe le capital comme on le fait en France. Il faut comprendre que le capital n'est pas l'ennemi du salarié, au contraire.

On sent bien qu'il y a une rupture sociale extrêmement profonde. Une France déboussolée par le maelstrom de la dévaluation des valeurs. De la dévaluation permanente de ce qui fait vous environnement naturel. On sent les fractures profondes. Emmanuel Macron aurait dû faire la pédagogie nécessaire et faire des mesures lisibles. Que Macron se retrouve dans un tel climat de haine à son endroit après avoir suscité tant d'espoirs est tout à fait stupéfiant.

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