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Agriculture française 2019 : RIEN
©ALAIN JOCARD / AFP

Bilan 2019

A l'occasion de la fin d'année, Atlantico a demandé à ses contributeurs les plus fidèles de dresser un bilan de l'année. Bruno Parmentier revient sur l'évènement majeur de l'année en agrilculture c'est-à-dire pas... grand chose.

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier est ingénieur de l’école de Mines et économiste. Il a dirigé pendant dix ans l’Ecole supérieure d’agronomie d’Angers (ESA). Il est également l’auteur de livres sur les enjeux alimentaires :  Faim zéroManger tous et bien et Nourrir l’humanité. Aujourd’hui, il est conférencier et tient un blog nourrir-manger.fr.

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L’événement majeur de l’année 2019 en matière d’agriculture me semble être le bilan de la première année du nouveau Ministre de l’agriculture, étrangement similaire à celui de son éphémère prédécesseur évanescent : rien !

Rien qui mérite le respect, rien pour avancer sur les enjeux fondamentaux de l’agriculture, l’alimentation, le réchauffement de la planète… et même le revenu des agriculteurs ! Rien, le calme plat, l’absence d’idées, de réformes, de projets innovants, rien ! D’ailleurs, qui connaît le nom du Ministre ?

Pour un président qui disait vouloir bousculer, réformer, innover et le fait, rapidement et volontaristement, avec plus ou moins de succès, dans de nombreux secteurs, le travail, l’économie, la formation, les retraites, le bac, etc., c’est le surplace qui semble être la règle en matière agricole. Où sont-ils donc, les premiers de cordée de l’agriculture ?

L’agriculture mondiale, européenne, française est pourtant dans une période cruciale, charnière, fondamentale. C’est un secteur qui nécessite, probablement plus que d’autres, audace et clairvoyance ; pourquoi en manque-t-on à ce point ? Listons trois dossiers fondamentaux.

Mettre en œuvre une nouvelle révolution agroécologique

Tout d’abord nous sommes à la fin d’un cycle, celui de l’agriculture « tout chimie – tout pétrole » qui a marqué la fin du XXe siècle et permis d’accompagner la gigantesque croissance de la population mondiale. Songeons que depuis les années 60, la population mondiale a été multipliée par 2,4, mais les productions mondiale de blé et de riz ont été multipliées, elles, par 3,5, celle de maïs par 5,5, et celle de légumes par 4,7 ! Résultat : on mange beaucoup mieux sur une planète de 7,7 milliards d’habitants que lorsqu’elle n’en comptait qu’à peine plus de 3 milliards !

La France n’a pas été à la traine dans ce mouvement mondial ; sa population n’a été multipliée « que » par 1,3, mais sa production agricole a plus que triplé ! Elle est ainsi devenue un grand pays exportateur de nourriture ! Bravo, merci !

Quand on dit du mal de cette agriculture « moderne », on a souvent tendance à oublier cette réalité extraordinaire, qui nous a permis de vivre plus ou moins en paix sur la planète, en tous les cas de ne pas rééditer les expériences funestes des deux guerres mondiales !

Le problème, c’est que, du point de vue technique, l’essentiel des progrès ont été engrangés entre les années 60 et les années 90. En France on a ainsi réussi à passer en trente ans de 20 à 70 quintaux de blé à l’hectare, mais, depuis plus de 20 ans, cette progression est terminée. On n’est jamais passé à 100 quintaux, et encore moins à 120 ! Les inconvénients de cette agriculture « moderne » ont rattrapé ses avantages : épuisement, érosion et pollution des sols, baisse de la biodiversité, résistances aux pesticides, faible résilience face aux changements climatiques. Et, logiquement, l’acceptabilité sociale de cette agriculture n’est plus ce qu’elle était !

Et la bio, actuelle, peu productive, n’est pas encore une solution à l’échelle mondiale ! Ses rendements stagnent également, à deux fois moins que le blé « conventionnel »… Il faut donc impérativement « intensifier la bio » si l’on veut nourrir les 10 milliards de terriens qui s’annoncent !

Cela veut dire : démarrer sans délai la nouvelle révolution agricole, celle du XXIe siècle, celle de l’agroécologie intensive ! C’est là qu’on a besoin des premiers de cordée chers à Emmanuel Macron ? pour combiner sauts technologiques et innovations sociales ! Intensifier les processus biologiques, cela veut dire, par exemple, arrêter de labourer ! Le labour, symbole s’il en est de l’agriculture depuis des millénaires, se révèle maintenant être une agression majeure à la planète : il détruit la vie du sol (les vers de terre, les champignons, les bactéries, etc.), tasse le sol, empêche l’infiltration des eaux de pluie et provoque inondations et sécheresses, néglige d’utiliser le rayonnement solaire lorsqu’il est justement le plus intense, etc. C’est en fait une véritable catastrophe écologique, sans commune mesure avec le glyphosate, pourtant devenu l’obsession et la tête de turc des écologiques… et du président ! On lui fait beaucoup d’honneur et il semble qu’il doive payer pour les autres, mais pendant qu’on discute sans fin de son interdiction, on ne pose pas les vraies bonnes questions. De même pour les polémiques bien françaises sur les bonnes distances à observer entre les épandages et les habitations… un dossier complètement piégé, car comment trouver le juste milieu entre les 150 m réclamés par les écologistes et les 3 m proposés par les paysans !

Dorénavant, il faudrait cultiver les sols en permanence, et en particulier produire directement nos engrais sur nos champs via des plantes de couverture d’été qui captent le rayonnement solaire et fixent azote et carbone. Au sens strict « cultiver nos engrais ». Mais aussi cultiver des « plantes de service », par exemple des plantes herbicides (ce sont là les véritables alternatives au glyphosate), et des « animaux auxiliaires de culture », en particulier des animaux insecticides (des animaux qui régulent ceux qui mangent nos plantes). Mais aussi diffuser partout l’agro foresterie (c’était une grave erreur de considérer que l’arbre était l’ennemi de l’agriculteur, il faut remettre des haies partout !).

C’est un programme gigantesque… et où sont les pouvoirs publics pour inciter et aider massivement les agriculteurs à passer d’une agriculture à l’autre ? Ce n’est pas en les ruinant, en les laissant se faire insulter voir attaquer et en les accablant de contrôles qu’on y arrivera, mais en finançant massivement la transition. Faut-il attendre le prochain quinquennat pour s’y mettre vraiment ?

En matière d’élevage, passer de la quantité à la qualité

C’est peu de dire que notre élevage est en crise ! Les français et plus généralement les européens, après avoir augmenté leur consommation de viande et de lait sans relâche au XXe siècle (nous sommes passé de 30 kilos à 100 kilos par personne et par an de chacun de ces deux produits), ont amorcé leur décrue. Nous en sommes à 90 kilos de lait et 85 kilos de viande, mais ce n’est que le début de la baisse. Nos oreilles sont en effet devenues plus attentives aux détracteurs de nos excès : écolos qui soulignent à quel point l’élevage épuise les ressources de la planète et contribue à son réchauffement, médecins qui démontrent que la surconsommation est mauvaise pour notre santé, et végétariens qui dénoncent la souffrance animale et les conditions parfois honteuses d’élevage. Gageons que la baisse va se poursuivre et que dans quelques décennies notre consommation sera revenue autour de 50 kilos de chacun de ces produits, donc une baisse à venir plus de deux fois plus importante que celle qui est déjà actée !

Il faut donc opérer un changement structurel de grande ampleur, du « tout quantité » au « tout qualité ». La même mutation qu’a connu la profession viticole entre les années 1960 et 2000, quand nous sommes passés de 140 litres de vin par personne et par an à 40. Nous buvons moins, mieux, et savons payer le vin à son juste prix : le chiffre d’affaire de la profession a augmenté malgré cette baisse très importante des quantités. Mais nos éleveurs ont vraiment besoin d’être soutenus et aidés pour réussir cette transformation majeure. Où sont les pouvoirs publics sur ce dossier ? Immobiles, l’arme au pied, espérant en fait un miracle : que la consommation redémarre !

Et, accessoirement, où est le plan volontariste de promotion massive de la production de protéines végétales en France et en Europe ? Nous préférons continuer à importer massivement du soja américain… et en plus à nous plaindre que les brésiliens continuent à faire brûler l’Amazonie pour pouvoir satisfaire nos besoins insatiables. 

Il faudra produire nettement moins d’animaux, les nourrir exclusivement avec des végétaux français, et valoriser correctement les signes de qualité qui seront associées à des pratiques plus vertueuses ! Ça ne va pas pouvoir se faire « naturellement », sans politique ambitieuse d’incitation et d’accompagnement.

Donner des revenus décents aux agriculteurs 

C’est peu de dire que ce dur métier ne paye pas, sauf exceptions ! Par exemple cette année 2019, les éleveurs de porc européens profitent à plein de la désastreuse épidémie de peste porcine en Chine. Les éleveurs chinois semblent avoir dû abattre cette année 100 à 200 millions de bêtes, ce qui a évidemment dopé leurs importations, et nos exportations, ainsi que les prix de vente (nous ne produisons en France « que » 12 millions de porcs !). Tant mieux pour nos éleveurs… jusqu’à ce que cette épizootie arrive en France ! Mais on ne peut pas compter sur de telles catastrophes exotiques pour assurer un revenu à nos agriculteurs !

Or la moitié des agriculteurs français vont prendre leur retraite dans les 10 ou 15 prochaines années, il est donc vital d’attirer de nouvelles vocations dans les champs.

Stabiliser un vrai revenu agricole était le but principal des Etats généraux de l’alimentation de 2017 et 2018, qui ont abouti à la loi Egalim adoptée en janvier 2019. On a tenté d’empêcher le dumping des grandes surfaces. Que de salive et d’énergie dépensés, en particulier au Ministère de l’agriculture ! Mais… avons-nous vu une nette amélioration des revenus des agriculteurs ? Evidemment que non ! C’était inscrit depuis le début, pour deux raisons.

D’une part la disproportion des forces : 400 000 agriculteurs d’un côté… 4 acheteurs de l’autre (les groupements d’achat de la grande distribution qui contrôlent les ¾ de la nourriture des français). Quels que soient les engagements des seconds, les premiers seront toujours en position de faiblesse, surtout que, dans une Europe ouverte, la concurrence entre les producteurs concerne en fait 10 millions d’exploitations, sans compter les multiples possibilités d’importations en provenance du Brésil, d’Argentine, des USA, du Canada ou de Nouvelle Zélande !

D’autre part la politique agricole commune européenne s’est construite autour de trois principes : baisser au maximum les prix de la nourriture pour maintenir des salaires pas trop élevés et un minimum compétitifs dans nos industries exportatrices, installer les normes sanitaires et environnementales les plus exigeantes au monde, mais laisser libre la politique sociale propre à chaque pays. Si l’on veut suivre à la fois ces trois objectifs, il est évident que les revenus directs des agriculteurs seront faibles ! Ça ne peut tenir que si on leur donne d’autres sources de revenus, par exemple des subventions (à la tonne produite, à l’hectare cultivé, aux performances environnementales, pour compenser une catastrophe sanitaire, etc.) ou si on régule a priori le marché pour éviter le surproduction (c’était le cas des quotas laitiers). C’était le principe même de la PAC. Mais ces aides ne sont plus « à la mode », et, dans notre monde gagné par la folie du libéralisme, elles ont une fâcheuses tendance à stagner, voire baisser.

Ayons donc le courage de rendre ses lettres de noblesse à la politique contractuelle. Et on a deux pistes faciles à concevoir. D’une part les aides aux changements de pratique. Elles existent pour les agriculteurs « en conversion vers l’agriculture biologique ». Pendant trois ans ils ont droit à des compensations car leurs coûts ont augmenté mais pas encore leurs revenus puisqu’ils ne peuvent obtenir le label bio qu’à l’issue de ce délai. Pourquoi ne pas généraliser ce système pour le passage aux techniques agroécologiques ? Par exemple le passage au sans labour : il faut 5 ans pour reconstituer son cheptel de vers de terre, et des années de tâtonnement pour apprendre à gérer avec peu de chimie chimie les mauvaises herbes (adventices). Ou le passage à l’agroforesterie (on a subventionné l’arrachage des haies, pourquoi, toute honte bue, ne le ferait-on pas pour en replanter ?). Ou, plus ambitieux encore, le refroidissement de la planète : payer la tonne de carbone réenfouie dans les sols ? La liste n’est aucunement limitative, seul le manque d’imagination et de volontarisme des pouvoirs publics l’empêche de devenir réalité. Combien de ministres faudra-t-il consommer avant d’y arriver enfin ?

Concluons quand même par deux bonnes nouvelles

Ce bilan est bien déprimant, terminons par deux bonnes nouvelles, venues toutes deux de la société civile, qui montre qu’il ne faut pas tout attendre des pouvoirs publics comme on le fait trop souvent en France.

Une jeune fille de 16 ans, Greta Thunberg, a été élue « personne de l’année » par le célèbre magazine Time. Devant Donald Trump qui n’a pas digéré l’affront ! L’irruption d’une conscience planétaire chez les jeunes, qui demandent des comptes aux générations précédentes sur leur irresponsabilité et leur inaction en matière de lutte contre le réchauffement climatique est une excellente nouvelle… y compris pour l’agriculture mondiale. Car cette dernière est vraiment en position centrale sur ce sujet : elles en est en effet à la fois la principale victime, une des causes majeures et une des seules solutions. On ne pourra pas gagner cette bataille sans aider les agriculteurs à changer radicalement leurs pratiques, pour à la fois nourrir l’humanité, augmenter le fertilité des sols, et refroidir la planète !

 La deuxième bonne nouvelle est le succès fulgurant, et extrêmement rapide du logiciel Yuka d’analyse critique en temps réel de la composition des aliments vendus sous emballage à code-barres. Ca fait des années que les pouvoirs publics tergiversent, louvoient et reculent en matière d’information claire et honnête du consommateur sur ce qu’il mange, afin de pouvoir marquer enfin de vrais points contre l’obésité et les autres maladies de la malbouffe. Le Nutriscore, qui constitue une réponse claire et immédiatement compréhensible, mène une épuisante course d’obstacles face aux lobbies de l’agroalimentaire, super mobilisés pour pouvoir continuer à vendre encore quelques années leurs produits, même s’ils sont carrément nocifs pour la santé. Et voilà qu’une start-up lancée par 3 jeunes leur dame le pion en moins de deux ans. 15 millions de français s’y sont abonnés, de nombreux autres services de ce type naissent, ce qui ne peut que faire gagner l’ensemble en fiabilité et crédibilité. Et les lobbies, cette fois-ci, sont amenés à reculer : de très grosses entreprises annoncent revoir la composition de tous les aliments qu’elles commercialisent, pour avoir « au moins la moyenne à Yuka » ! A quand le label « start-up citoyenne de l’année » à Yuka, pour reconnaitre l’initiative géniale de trois jeunes qui ont réussi en deux ans à s’imposer face aux plus gros lobbies de nos sociétés ? Car c’est une excellente nouvelle que cette irruption de l’exigence du bien manger, alors que c’est quand même la spécialité reconnue mondialement de l’agriculture et de l’agro-industrie françaises !

Tout n’est donc pas perdu, on peut quand même progresser, même sans réel et consistant Ministère de l’agriculture !

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