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Affaire des écoutes : ce que signifie  la demande de récusation déposée par Nicolas Sarkozy contre la juge Claire Thépaut
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La vengeance, un plat qui se mange froid

L’ancien chef de l’ Etat, mis en examen dans l’affaire des écoutes, appendice du dossier de financement présumé par la Libye de sa campagne de 2007, demande la récusation d’une juge d’instruction. Motif : partialité. Il a déposé une requête en récusation. Explication.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • L’ancien chef de l’ Etat vient de déposer une requête en récusation contre la juge Claire Thépaut, qui en compagnie d’une collègue, l’a mis en examen le 1er juillet 2014 dans l’affaire dite des écoutes
  • Nicolas Sarkozy, dès sa mise en examen, avait mis en cause l’impartialité de la juge Thépaut, membre du Syndicat de la magistrature 
  • La demande de récusation se trouve entre les mains de la Première présidente de la Cour d’appel de Paris qui va statuer dans une ordonnance.
  • Si elle fait droit à la requête de Nicolas Sarkozy, la juge Claire Thépaut devra être remplacée. Dans le cas contraire, elle continuera d’instruire ce dossier avec sa collègue Patricia Simon
  • L’ordonnance, quel que soit contenu, n’est susceptible d’aucun recours. Telle est la jurisprudence de la Cour de cassation

Nicolas Sarkozy est un homme qui ne lâche jamais rien. Il l’a prouvé dans l’affaire Bettencourt en ferraillant avec le juge Jean-Michel Gentil. Il vient d’en faire une nouvelle démonstration en demandant il y a peu la récusation de Claire Thépaut l’une des juges qui instruit, avec Patricia Simon, le dossier des écoutes, affaire dans l’affaire du financement présumé par la Libye de la campagne présidentielle de 2007 de l’ancien maire de Neuilly-sur-Seine. A dire vrai, la magistrate s’attendait à une telle initiative, -révélée par Le Monde- eu égard à l’atmosphère orageuse ayant entouré la première audition, dans la soirée du 1 er juillet 2004, de l’ancien président qui avait débouché sur sa mise en examen pour  trafic d’influence, corruption active et  recel de violation de secret professionnel. C’est juste avant le début de son interrogatoire que l’ancien président avait lancé à Claire Thépaut. En substance : « Vous êtes partiale car vous êtes membre du Syndicat de la magistrature  qui n’a cessé de remettre en cause ma politique pénale. » Sarkozy est suspecté, sur la base d’écoutes téléphoniques, d’avoir demandé, via son avocat Thierry Herzog,  à Gilbert Azibert, premier avocat général à la Cour de cassation,- ce que tous trois réfutent catégoriquement- de se renseigner sur l’état d’une partie de la procédure Bettencourt. En échange de ce petit service, Azibert aurait pu obtenir un poste de juge dans la principauté de Monaco… Une sinécure confortablement payée pour les magistrats en fin de carrière. Ces fameuses écoutes, qui semblent  avoir été d’une durée inhabituelle -plus de 9 mois-, mais dont la validité a été confirmée en mai dernier par la Cour d’appel de Paris-  font actuellement l’objet d’un pourvoi en cassation afin qu’elles soient annulées. 

Seulement voilà : en raison d’une demande de QPC (question prioritaire de constitutionnalité) déposée par Gilbert Azibert, lui aussi épinglé, l’examen du dit pourvoi est retardé. L’ancien haut magistrat souhaite savoir si les juges Simon et Thépaut avaient le droit des saisir des pièces couvertes par le secret du délibéré.  Or, une partie de ces pièces auraient pu, au moins oralement, être communiquées par Azibert à Thierry Herzog. (Elles portaient sur l’examen par la chambre criminelle de  la restitution ou non des carnets de Nicolas  Sarkozy saisis dans l’affaire Bettencourt).

Bref, un joli embrouillamini qui a secoué la Cour de cassation et conduit Gilbert Azibert à prendre une retraite anticipée. Quelle va être la suite des évènements ? La juge Claire Thépaut va-t-elle pouvoir continuer à instruire ce dossier des écoutes ? En principe, selon l’article 670 alinéa 2  du code de procédure pénale, la demande de récusation ne produit aucun effet automatique en matière pénale. Elle ne dessaisit pas la juge qui pourrait poursuivre l’instruction, car cet article 670 alinéa 2  a pour but d’éviter l’utilisation de la récusation à des fins dilatoires. Ce qui est une règle de bon sens. Sauf que dans le cas présent, la mise en cause du magistrat apparait peu banale. Pour tout dire inédite.

Aussi, pour empêcher tout ce qui pourrait apparaître comme une mauvaise manière faite à l’ancien chef de l’ Etat,  le président du Tribunal de grande instance de Paris, Jean-Michel Hayat, qui a reçu la requête de Nicolas Sarkozy, via la première présidente de la Cour d’appel, Chantal Arens, a demandé à la juge Thépaut de se retirer provisoirement du dossier. Le temps que la demande de récusation soit examinée. Neuf cas de récusation sont prévus. Parmi ceux-ci : la parenté ou alliance entre un  juge et une partie, la connaissance antérieure de la cause par le juge ou la manifestation de la partialité de la juge. Cette dernière est définie par l’article 668 du code de procédure pénale qui dispose : « Tout juge peut être récusé (…) s’il y a eu entre le juge  ou son conjoint et une des parties toutes manifestations assez graves pour faire suspecter son impartialité. » 

Que va produire Nicolas Sarkozy comme éléments attestant de la partialité de Claire Thépaut ?  A coup sûr, l’ancien chef de l’Etat devrait  reprendre les déclarations de la magistrate, à l’époque en poste à Bobigny,  publiées par Mediapart le 8 mai 2012, au lendemain de l’élection de François Hollande.  On pouvait lire : « Etre taxés de juges rouges quand on ne fait qu’appliquer les textes de loi, ce n’est pas normal. (…) Certains ont voulu nous opposer aux policiers (…) Il faut maintenant que la justice retrouve son rang  face au Ministère de l’Intérieur et que la séparation des pouvoirs soit enfin respectée. »  Une façon, à peine déguisée, de s’en prendre à l’ancien chef de l’Etat. Ce dernier ne se privera pas d’adjoindre à son mémoire les articles de presse consacrés à la vidéo  de 2013 tournée clandestinement dans les locaux du Syndicat de la magistrature où il apparait  en photo sur le fameux « Mur des cons.» Or Claire Thépaut a été membre du Syndicat de la magistrature.

Lorsqu’elle aura pris connaissance des griefs qui lui sont adressés par Nicolas Sarkozy, Claire Thépaut écrira un mémoire dans lequel elle fera part de ses observations sur la requête formulée à son encontre. Puis, elle l’adressera à la première présidente de la Cour d’appel, Chantal Arens, via le président du Tribunal, Jean-Michel Hayat. Lequel aura toujours la possibilité de joindre à ce mémoire, son propre avis  sur «  les mérites de la requête. »    

De son côté, Nicolas Sarkozy pourra déposer auprès de Chantal Arens un mémoire complémentaire. Après avoir reçu les observations de Claire Thépaut et le cas échéant, ce  mémoire complémentaire,  - la procédure est exclusivement écrite et non contradictoire- Chantal Arens devra prendre l’avis de la  procureure générale près la Cour d’appel, Catherine Champrenault. Une fois cet avis recueilli, elle statuera par une ordonnance. Soit elle fera droit à la requête de l’ancien chef de l’Etat et Claire Thépaut sera remplacée par un autre juge d’instruction. Soit elle refusera d’y faire droit, et dans ce cas, Claire Thépaut continuera d’instruire le dossier des écoutes aux côtés  Patricia Simon.  Dans cette hypothèse,  Sarkozy pourra être condamné, au terme de l’article 673 du code de procédure pénale, à payer une amende civile allant de 75 à 750 euros. Ultime précision : l’ordonnance statuant sur une requête  en récusation n’est susceptible d’aucun recours. Par conséquent, tout pourvoi est voué à l’échec, comme l’a confirmé un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation  du 14 mars 2001.

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