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Acte 45 des Gilets jaunes : ni retour en force ni convergence des luttes
©Zakaria ABDELKAFI / AFP

Manifestation

Les Gilets jaunes souhaitaient faire leur grand retour ce samedi à Paris. Mais la mobilisation n'a pas été aussi forte qu'attendue. La manifestation a été éclipsée par la Marche pour le climat et les incidents entre les black blocs et les forces de l'ordre.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico.fr : L’Acte 45 des Gilets jaunes était annoncé par le mouvement comme par les médias comme devant être important. Plusieurs paramètres permettaient en effet de penser que ce serait peut-être le point fort de la rentrée sociale. Pourquoi, et quelle a été la réponse gouvernementale ?

Christophe Boutin : Ce samedi 21 septembre inquiétait effectivement les représentants des forces de sécurité intérieure puisque trois mouvements convergeaient sur la capitale. Les Gilets jaunes d’abord, dont c’était la 45e semaine de réunion et qui, tout en maintenant des manifestations dans leurs lieux « historiques » de province – une grande partie des « métropoles » ou des grandes villes régionales - espéraient créer une importante mobilisation parisienne - et peut-être même la faire durer au bout de la nuit en mettant en place des barricades, comme certains le proposaient sur les réseaux sociaux. Par ailleurs, une manifestation visant à souligner l’urgence climatique devait se dérouler dans la capitale. Enfin, FO appelait à venir y manifester pour lutter contre la réforme des retraites envisagée par le gouvernement. 

Plusieurs cortèges donc, ce qui posait deux questions, celle des effectifs à mettre en œuvre pour surveiller en même temps ou presque des points différents de la capitale, et celle de l’éventuelle convergence des différents cortèges au cours de la journée. Or l’évolution du mouvement des Gilets jaunes rendait possible cette convergence. Avec la manifestation syndicale d’une part, sur un même axe social autour des régimes de retraite - on n’oubliera pas que nombre de retraités étaient présents dans les rangs des Gilets jaunes au début du mouvement – et ce même si les syndicats n’étaient certes pas bienvenus dans les premières manifestations de 2018. Avec aussi la lutte pour l’urgence climatique, décidément trop médiatique pour pouvoir être écartée. 

Le mouvement espérait peut-être dans cette « convergence des luttes » qui reste la vieille lune de l’extrême gauche révolutionnaire pour jouer à nouveau un rôle politique important : les réseaux sociaux employaient des termes comme « historique » en évoquant la journée à venir, évoquaient « la France entière » qui monterait à Paris… Mais pour Jérôme Rodrigues le mouvement devait en tout cas « muter » et ses membres « intégrer des cortèges différents » pour afficher cette convergence, une attente qui retrouvait celle des militants d’Attac, pour qui « l’urgence écologique ne doit pas se faire sur le dos de la justice sociale, et inversement », mais inquiétait d’autres associations écologistes, peu soucieuses elles de débordements violents dans leur cortège. 

Face à ces prévisions, et sachant en sus que des Black blocs pouvaient s’inviter dans les divers cortèges – pour une des représentants des Gilets jaunes, ils peuvent venir dans les manifestations à condition de ne rien casser, et cette idée selon laquelle les revendications seraient commune et ne changeraient que les méthodes traduit bien, là encore, l’évolution du mouvement depuis sa création -, les forces de sécurité intérieure mirent donc en place le plan maintenant classique de large déploiement d’hommes (7.500) et de matériels (canons à eau, blindés de la gendarmerie…), tout en interdisant des zones aux manifestants – notamment les Champs Élysées, mais avec un périmètre élargi au bois de Vincennes et au bois de Boulogne - et en fermant certaines stations de métro. 

Mais le 21 septembre était aussi l’une de ces « Journées du patrimoine » lors desquelles les Français aiment à visiter en nombre des édifices publics qui leur sont exceptionnellement ouverts. Les manifestations prévues eurent alors deux conséquences. La première fut que plusieurs musées et/ou sites officiels annulèrent ou modifièrent leur participation – ce qui n’en doutons pas n’améliora pas l’image des Gilets jaunes : annulation pour les ministères de l’Agriculture et de l’Enseignement supérieur, la préfecture de police et les loges maçonnique ; fermeture seulement samedi  pour les ministères des Relations avec le Parlement et de la Transition écologique et solidaire, les Grand et Petit Palais, la Chambre de commerce et d’industrie, la résidence du préfet d’Île-de-France, la Cour des comptes, le musée de la Franc-maçonnerie. La seconde conséquence fut qu’en raison de l’affluence prévue dans d’autres lieux (palais de l’Élysée, l’hôtel de Matignon, Sénat), la préfecture de police prenait sur la base de la législation antiterroriste un arrêté pour sécuriser leur accès en augmentant ses possibilités de contrôle.

Le déroulement de la journée, finalement plus calme que ne le craignaient certains, prouve-t-il que les objectifs des uns et des autres, trop différents, ne pouvaient donner lieu à une action commune ? Ou montre-t-il une faiblesse des différents mouvements, et notamment des Gilets jaunes ? 

Le déroulement de  la journée permet de répondre à vos questions : des convergences entre manifestants ont bien eu lieu, mais la faiblesse des effectifs, comme le parasitage par des éléments violents, ont empêché une vraie structuration. 
Revoyons rapidement le film de la journée. Ce sont les Gilets jaunes qui ont ouvert le bal dès le matin. Partis de la place de la Madeleine – où devait se faire une convergence à l'appel d'Attac et Solidaires – les quelques 300 personnes qui ont réussi à s’y rendre sont pris sous des tirs de lacrymogènes et se réfugient dans la gare Saint-Lazare où les suivent les forces de l’ordre. Un peu plus loin, sur les Champs Élysées ou à leurs abords, c’est la même volonté d’empêcher la création de tout rassemblement un peu important auquel participeraient Jérôme Rodrigues et Maxime Nicolle, même si on compte peu de monde (une centaine de manifestants). À 11 heures, la préfecture de police signale 39 interpellations et 10 verbalisations sur les Champs-Elysées, pour 596 contrôles, et diffuse des images « d'armes par destination » (boules de pétanque, marteau, mortiers). 

En début d’après-midi, alors que cette fois 123 personnes étaient interpellées et 174 verbalisées, de nombreux Gilets jaunes viennent rejoindre la marche pour le climat, où se côtoient Lambert Wilson, Anne Hidalgo et des membres du Parti communiste. Le député Loic Prud'homme (La France insoumise) évoque la convergence des cortèges pour une « écologie populaire », Esther Benbassa (EELV) lutte « avec les Gilets jaunes, pour le climat ». Selon le comptage d’Occurrence la marche pour le climat allait réunir environ 15.200 (les organisateurs avaient parlé de 30.000 puis 50.000 personnes, la préfecture de police de 15.000). D’autres marches ont eu lieu, les plus importantes à Lyon, Grenoble et Strasbourg, mais d’autres encore, nettement moins fournies (quelques centaines de manifestants) à Lille, Bordeaux, Metz, Rouen, Nancy, Marseille, Tours, Angers, Bayonne et Caen. 6.000 personnes ont par ailleurs défilé contre la réforme des retraites derrière FO. 

Mais les Black blocs (estimés alors par la préfecture de police à 1.000 militants) sont présents dès le début du cortège parisien de la marche pour le climat, et Greenpeace et Youth For Climate appellent alors à quitter la manifestation. Ils se dispersent ensuite face aux lacrymogènes des FSI, avant de se réunir à nouveau au sein du même cortège, sur le parcours duquel des dégradations ont donc lieu. En fin d’après-midi quelques militants jettent depuis le parc de Bercy des projectiles sur des véhicules sur le quai de Seine, avant de se faire disperser sous les tirs de grenades lacrymogènes, quand d’autres  bloquent un temps par un sit-in le pont de Tolbiac, et en début de nuit des heurts limités continuent aux Champs Élysées. Selon le parquet, à Paris en fin de journée, 163 personnes ont été interpellées, 99 placées en garde à vue, et 302 verbalisées sur les périmètres interdits. Notons qu’à Toulouse des heurts ont opposé les Gilets jaunes (1.000 manifestants) aux forces de l’ordre.

En fait, tout ce qui était prévu s’est donc déroulé : trois manifestations, des convergences, des éléments incontrôlés et violents phagocytant certains cortèges. Mais nous sommes bien loin des graves troubles qui avaient émaillé dans la capitale lors de certains actes précédents des Gilets jaunes ou de manifestations syndicales. La faiblesse des effectifs des manifestants est certainement un élément d’explication. Mais l’adaptation des FSI aux problématiques nouvelles en est une autre.

Sur ce point justement, peut-on dire que la gestion des manifestations a changé, en quoi, et avec quelles conséquences sur le plan politique ?

Elle a changé en stratégie et en tactique. En stratégie, en mettant les moyens nécessaires en hommes et en matériels, et en usant de toutes les possibilités de contrôle préventif, à un niveau jamais atteint avec cette régularité et cette ampleur. En écartant en effet le cas particulier, lié à l’affluence des Journées du patrimoine, de l’utilisation de possibilités de contrôle offertes par la loi de 2017 sur le terrorisme, on notera bien évidemment la mise en place de zones d’interdiction de manifestations de plus en plus vastes, et les blocages des accès à ces zones par le métro. Mais changement tactique ensuite, d’une part en empêchant les regroupements dès qu’ils tentent de se faire, par une saturation de lacrymogènes et les grenades de désencerclement – on notera qu’il y a visiblement un usage plus modéré de lanceurs de balles de défense –, et, d’autre part, en traitant au plus tôt, par les mêmes moyens, les éléments violents qui cherchent à se dissimuler dans des cortèges pacifiques. D’où, d’ailleurs, des récriminations de la part de militants ou de simples citoyens qui estiment dans ces conditions ne pouvoir user de leur droit de manifester de manière normale. 

Un autre élément à prendre en compte est l’effet de la multiplication des contrôles ciblés aux alentours des zones de regroupement prévues par les manifestants. Ils sont en effet ciblés sur tout élément – le fameux gilet jaune, bien sûr, mais ce peut être tout autant un autocollant syndical – qui permet aux manifestants de se reconnaître entre eux comme de donner dans les médias une image de cohésion à une foule. De tels contrôles poussent ainsi les manifestants à renoncer à ces éléments de différenciation autant que d’affirmation, et contribuent à limiter l’impact de leur mouvement.

Pour légitimer l’ensemble de ces mesures, dont l’ampleur est, encore une fois, inégalée depuis longtemps, le gouvernement a compris au long de la crise de Gilets jaunes que son point d’appui n’était pas tant ses seuls partisans qu’un bien plus vaste « parti de l’ordre » toujours indifférent à la question de savoir au nom de quoi l’ordre est ainsi établi… Nul doute que ce dernier aura été satisfait au soir du 21 septembre, et que le gouvernement ne doute plus d’avoir les coudées franches. 

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