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Accusées primaires et chaînes d’info en continu, levez-vous : petit retour sur la généalogie du plus grand ratiboisage d’élus depuis 1958
©Capture d'écran

Génération

Les dernières élections législatives ont marqué une déroute des anciens partis de gouvernement, entre Parti Socialiste et Les Républicains.

Christian  Bidégaray

Christian Bidégaray

Christian Bidégaray, professeur de Droit public et de Science politique, a effectué l’essentiel de sa carrière à l’Université de Nice où il fut successivement président de la Section de Droit public puis de Science politique. Il est le fondateur de la filière Science politique à la Faculté de Droit de Nice et fut directeur du Laboratoire LARJEPTAE (Laboratoire de recherches juridiques, économiques et politiques sur les transformations des activités de l’État) puis du Laboratoire ERMES (Équipe de Recherche sur les Mutations de l’Europe et de ses Sociétés). Il fut membre du Conseil d’administration de la Fondation nationale des sciences politiques, du Conseil national des universités(CNU – 4e section), de plusieurs jurys d’agrégation de l’enseignement supérieur en Science politique et Droit public et a siégé pendant deux mandats à la Commission des Sondages. Jusqu'en 2016, le Professeur Bidégaray Le Professeur Bidégaray dispensait également ses cours aux étudiants de l'Ecole de journalisme de Nice.

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Atlantico : En quoi l'approche "nouvelle" de la politique, entre des primaires qui ont plus contribué à renouveler les hommes que les idées et une forme très récente de médiatisation par les chaines d'infos, ayant tendance à favoriser la présence des personnalités les plus clivantes au sein des partis, ont elle pu participer au 'champs de ruine" actuel ? 

Christian  Bidégaray : La déroute des anciens partis ne date pas de 2017 elle fait suite à l’usure du présidentialisme qui s’est manifestée avec les quinquennats Sarkozy et Hollande (rejet de l’hyper président et du président »normal). Elle est la conséquence du désamour des Français pour la politique et son personnel qu’ont manifesté le recul croissant de la participation électorale, la montée de l’abstention ainsi que celle du vote blanc ou nul et surtout le rejet des partis politiques attesté par les sondages réguliers, (notamment  par le publications successives du baromètre de confiance du Cevipof)) la chute inquiétante des adhésions, les divisions internes à chaque formation, le vide programmatique censé être compensé par l’appel à des think tanks etc.

Les primaires n’ont fait que révéler cette perte de légitimité des partis classiques et de leurs candidats. Les primaires LR et PS ont été conditionnées par l’idée que le candidat du parti aurait à affronter Marine Le Pen au second tour. D’où un durcissement du vote des électeurs primaristes vers les personnalités clivantes, à droite vers Fillon à gauche vers Benoît Hamon. Chacun a durci son programme pour séduire le noyau dur de ses sympathisants – radicalité qui a rendu ensuite très difficile le ralliement ultérieur de l’ensemble des électeurs tant à droite qu’à gauche.

 Dans les deux cas les électeurs primaristes étaient des militants et des convaincus, ils ne se confondaient pas avec l’électorat LR ou PS dans le pays, d’où la perte de popularité du programme Fillon avant même la révélation du Canard enchaîné. Idem pour la gêne des socialistes réformateurs à l’égard du programme Hamon de revenu universel etc. La médiatisation par les chaînes info n’a fait que focaliser l’attention sur ces personnalités tranchées.

Est-ce que les chaînes info et la médiatisation ont modifié la nature du débat politique français ? Je pense que la réponse doit être nuancée. L’intervention continue des chaînes info a sans doute focalisé l’attention sur les débats politiques (peut-être de manière excessive) par rapport à l’époque où ces chaînes et les réseaux sociaux n’existaient pas. Pour autant je ne pense pas que la nature du débat politique en ait été changée. A preuve le rôle décisif du débat Macron ≠ Le Pen avant le second tour, comme celui entre Chirac et Mitterrand ou entre Mitterrand et Giscard d’Estaing. Ce qui est en jeu est qui val gagner au second tour avec qui gouvernera-t-il et quelle politique va-t-il développer à l’Elysée.

En quoi les primaires, mais également les chaines d'infos ont elles pu modifier la nature du débat politique français ? Alors que dans ces deux cas, l'objectif a été de "rapprocher" la politique des citoyens, peut on affirmer que la cible a été ratée ?

Ces primaires n’ont pas vraiment renouvelé les idées, d’abord parce que les programmes ont été escamotés au profit du débat ad nauseam sur l’affaire Fillon, les vaticinations sur le revenu universel la robotique et la fin du travail chez Hamon sans compter les conflits internes au PS où les frondeurs n’ont cherché qu’à détruire la candidature Valls.

De surcroît les programmes Fillon et Hamon ont été plutôt repoussés par une bonne partie de leur électorat, car trop « exagérés » du sang et des larmes d’un côté, l’utopie . Quant au renouveau des hommes tous les candidats aux primaires étaient des professionnels de la politique connus depuis longtemps. D’où l’intérêt pour de candidats qui paraissaient neufs Macron, of course, mais aussi à sa façon Mélenchon.

Quant à un débat d’idées, il a été esquissé …mais la forme même de l’organisation des  primaires avec des interventions trop brèves et hachées de chaque candidat a empêché les développements qui auraient été nécessaires.

Je ne pense pas que le but des primaires était de « rapprocher" la politique des citoyens ». Les partis qui ont recouru aux primaires LR, PS, EELV ont été obligés de passer par les primaires faute de leaders légitimes et indiscutables. C’est parce que les Socialistes (frondeurs versus Vals), et les Républicains (ex guerre Copé Fillon + Sarkozy hostile à Juppé-Bayrou) ainsi que les Verts (complètement éclatés, Duflot éliminée dès le 1er Tour) étaient profondément divisés que faute de mieux, ils ont dû recourir aux primaires comme le PS en 2011 après l’élimination de DSK à New York et la concurrence entre Montebourg, Vals, Hollande etc.)

Cela dit, vu la participation aux primaires LR et PS on peut dire que l’intérêt des citoyens pour la politique s’est clairement affirmé, mais le recours aux primaires a créé et institutionnalisé dans chaque camp des clivages, ruptures, rivalités entre la personnalité désignée et ses concurrents, qui ont atomisé ces camps au lieu des les réunir sur le candidat de leur camp.

En revanche, Marine Le Pen, Mélenchon et Macron ont évité ces difficultés en se présentant directement au premier tour de la présidentielle et en développant leurs programmes de manière beaucoup plus audible que leurs concurrents issus des primaires. 

Ces tendances sont elles réellement réversibles ? Quels sont les risques de voir, malgré les échecs, cette tendance se poursuivre, et que peut en être le résultat sur les citoyens.

Qu’entendez-vous par « ces tendances » ? S’il s’agit de la décrépitude des partis classiques, comme je vous l’ai indiqué plus haut, les élections actuelles ne sont que le révélateur d’un phénomène ancien qui s’est aggravé (le désamour des Français pour leur classe politique du fait de sa composition (peuple≠ élite) et de son absence de résultats (gagnants et perdants de la mondialisation). L’édifice parti politique s’effondre parce qu’il était vermoulu depuis longtemps (comme le montraient les cours de Sc Po en la matière).

Les chaînes d’info n’y sont pour rien, elles n’ont fait que mettre en lumière ces phénomènes. Toutefois, avec le développement de la technologie informatique (réseaux sociaux, web journalisme, info continue etc) je ne pense pas que la focalisation sur les personnalités et les formations politiques soit réversible. Remarquons simplement que l’attention sur le débat politique est exacerbée en ce moment car nous sommes en campagne électorale depuis novembre dernier et nous avons donc eu 2 tours pour la primaire à droite, 2 tours pour la primaire à gauche, 2 tours pour la présidentielle et 2 tours pour les législatives, soit une élection à 8 tours entre novembre 2016 et juin 2017. Les choses vont s’apaiser après les second tour des législatives, et l’intensité de l’intérêt médiatique va diminuer, sans disparaître car l’adoption de la loi Bayrou ou de la lois d’habilitation des ordonnances vont à nouveau attirer l’attention des citoyens.

La nouveauté c’est qu’on vient d’élire de nouvelles élites, venant pour partie de la société civile et pour partie des anciens partis (après recyclage, notamment pour d’ex PS). Ce sont pour la plupart des novices. Or la vie parlementaire suppose des connaissances, des usages, de la discipline de groupe et de vote. On verra à l’usage si la future majorité sera une majorité godillot – auquel cas elle peut décevoir rapidement l’électorat – ou si vont émerger de nouvelles personnalités qui seront les ténors de demain capables de renouveler le débat politique et surtout les programmes des formations politiques. Dans l’immédiat la conception « jupitérienne » et verticale du pouvoir macronien laisse à penser que l’Elysée va contrôler sa base. Il faudra voir quels seront les présidents de groupe, les présidents de commissions etc. Si l’exercice réussit, l’espoir de changement exprimé par les urnes sera satisfait et on pourra assister à un renouveau de confiance et d’intérêt pour la roquent de capter le mécontentement et la déception des citoyens.

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