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Abbé Grosjean : "Les catholiques ne défendent pas leurs intérêts particuliers mais un modèle de société que tous peuvent partager"
©Reuters

Sans complexes

Curé de paroisse, l'abbé Grosjean prêche aussi la bonne parole dans les médias, les réseaux sociaux, ou via le Padreblog qu'il anime avec des confrères. Dans son dernier ouvrage, il appelle les catholiques à ne pas céder à la tentation de la dilution ni à celle du repli sur soi, mais au contraire à s'engager sans complexes dans la société. Entretien.

Pierre-Hervé Grosjean

Pierre-Hervé Grosjean

Pierre-Hervé Grosjean est prêtre du diocèse de Versailles, curé de la paroisse de Saint-Cyr-l'École. Il est aussi Secrétaire Général de la Commission Éthique & Politique de son diocèse. Il a fondé́ les universités d'été́ Acteurs d'Avenir. Il est l'auteur d'Aimer en vérité, paru chez Artège. Il est aussi un blogueur influent qu'il vous est possible de suivre ici. Son dernier ouvrage Catholiques engageons-nous ! est publié en avril 2016 (Artège).

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Atlantico : Vous venez de publier votre deuxième ouvrage au titre choc "Catholiques, engageons-nous !" dans lequel vous appelez les catholiques à se "décomplexer". Vous même d'ailleurs, vous n'hésitez pas à interpeller sur les réseaux sociaux les hommes politiques ou journalistes et à débattre avec eux dans les médias. On s'était habitué à une parole de l’Église plus consensuelle, plus rassembleuse... Pensez-vous que l’Église et les catholiques doivent apprendre à cliver ? Ne serait-ce pas prendre le risque de se couper d'une partie importante de la population ? 

Abbé Pierre-Hervé Grosjean : Il ne s’agit pas de cliver pour cliver. Il s’agit d’accepter simplement d’être d’authentiques disciples du Christ. Il a été lui-même un signe de contradiction. Comment imaginer qu’il en soit autrement pour nous, si nous sommes fidèles à son message ? La parole de l’Église est percutante, elle est capable de toucher les cœurs et les intelligences, elle peut éclairer les consciences justement parce qu’elle est libre. L’Église ne cherche pas à plaire facilement, elle se fiche des modes de pensée, elle veut simplement servir la Vérité et offrir ce message qui sauve. C’est sa force. Et je crois que c’est aussi ce qu’on attend d’elle. Le Pape François en est un bon exemple. Il bouscule et ne laisse personne indifférent. Sa parole est attendue.

Alors qu’en France le taux de pratique religieuse et le nombre de prêtres sont en baisse constante depuis des décennies et que la société prend de plus en plus ses distances avec le message chrétien, les catholiques ont-ils encore quelque chose à dire ? Ne sont-ils pas devenus inaudibles ?

La pratique religieuse s’effondre effectivement dans notre vieille Europe, alors qu’elle progresse partout ailleurs. C’est le signe d’une profonde crise spirituelle au sens large du terme : il y a une crise du sens, de l’identité, de l’espérance que tout le monde reconnaît, croyant ou non. Et en même temps, ce désert spirituel laisse entrevoir une soif : beaucoup découvrent que le matérialisme, l’idéologie libertaire, le consumérisme ne comblent pas le cœur de l’homme. Beaucoup cherchent les repères que leurs parents ont cru bon devoir abandonner. Il y a un besoin d’espérance immense face aux drames que connaît notre pays, un besoin d’enracinement aussi. Les chrétiens ont un message précieux sur ces sujets. Ils ont à rendre compte de l’Espérance qu’ils portent. Il faut qu’ils le fassent de façon humble, mais décomplexée, joyeuse et franche.

Dans votre ouvrage vous insistez sur la nécessité pour les catholiques de "retrouver une saine ambition". Que voulez-vous dire par là ? L’ambition n’est-elle pas contradictoire avec l’humilité prônée dans l’Évangile ?

Pour beaucoup de chrétiens, "ambition" est devenu un gros mot. Pourtant, je crois que le désir d’entreprendre, de prendre des responsabilités, de réussir, n’est pas mauvais en soi. Il est même bon. Il ne s’agit pas de le brider, mais de l’éduquer. La foi vient interroger chacun sur son ambition : pour qui veux-tu réussir, diriger ou entreprendre ? et pour quoi ? Elle vient donner un sens à cette ambition, en la mettant au service de plus grand que soi. Si tu veux réussir en faisant grandir ceux qui te sont confiés, et pour les faire grandir, alors ok ! Si tu ne fais ça que pour une gloire personnelle, tu ne seras jamais comblé, cela va te détruire. Je dirais même qu’il y a un devoir d’ambition. Dans l’Évangile, Jésus assure : "il sera beaucoup demandé à ceux qui ont beaucoup reçu". On pourrait aussi évoquer la parabole des talents. Ce n’est pas un mal que d’avoir reçu des talents. Mais ils m’ont été donnés pour servir. Il nous faut cultiver – et transmettre aux plus jeunes – ce grand désir de servir. C’est la plus belle des ambitions. Que notre vie puisse servir !

Dans une période de troubles identitaires et de montée du communautarisme, ne craignez-vous pas de jeter de l’huile sur le feu en encourageant comme vous le faites l’engagement des catholiques en tant que catholiques ? 

L’engagement des catholiques ne dérive pas en communautarisme, car nous nous voulons au service d’un bien commun, c’est à dire les conditions de vie qui permettent à tous de pouvoir s’accomplir. C’est pour défendre ce bien commun, mais aussi une certaine idée de la personne humaine, du couple, de la famille, du travail, de l’éducation que l’Église prend la parole dans le débat public, et que les chrétiens sont appelés à s’engager en politique ou dans la vie de leur pays. Ce ne sont pas des thèmes véritablement confessionnels. Nous ne défendons pas des intérêts particuliers, mais un modèle de société que tous peuvent partager, en tout cas que nous croyons bon pour tous. Quand l’Abbé Pierre lance son appel pour le logement lors de l’hiver 54, il le fait comme prêtre. Mais le sujet n’est pas confessionnel. Et son appel va toucher bien au delà de l’Église.

Sur le bandeau de votre livre, vous lancez un "appel à la génération qui vient". Pourquoi s’adresser spécifiquement à la jeunesse ? Qu’attendez-vous d’elle en particulier ?

J’ai la chance et la joie d’accompagner – comme de nombreux confrères – beaucoup de lycéens, étudiants, jeunes professionnels. Cette génération qui vient est à la fois fragile et généreuse. Quand elle est chrétienne, c’est désormais par choix. Et ce choix n’est pas facile. Il est d’autant plus admirable quand il est assumé et partagé, même à contre-courant. Cette génération a soif d’absolu, elle est prête à beaucoup. Elle a compris que "l’avenir appartient aux minorités créatives" (Benoît XVI), et a l’ambition de faire l’histoire. Nos jeunes catholiques ne veulent plus se taire, ni regarder la partie se jouer sans eux. Ils veulent entrer dans le jeu, ils veulent s’engager pour améliorer ce monde et lui redonner les repères dont il a besoin. Ils ont compris que leur vie sera belle si elle est engagée. Ils ne rêvent pas de tranquillité ou de plaisirs faciles, mais veulent se donner au service de causes qui ont du sens. Cette génération des "orphelins de 68" veut reconstruire, et le rôle de l’Église, le rôle des prêtres, est d’être aux côtés de ces jeunes pour les encourager : leur joie sera à la mesure de leur générosité. 

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