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A Montfermeil, dans le 9-3, la bataille pour assurer la cohésion entre les 40 nationalités différentes passe aussi par les femmes et la mode
©AFP

Bousculer les codes

Samedi soir, 4 janvier, avait lieu à Montfermeil la douzième édition du défilé « cultures et création », parrainé notamment par LVMH et Guerlain.

Fabrice Le Quintrec

Fabrice Le Quintrec

Fabrice le Quintrec est rédacteur en chef adjoint à Radio France, spécialiste des revues de presse.

Ancien attaché culturel en poste à l'Ambassade de France au Japon, il est aussi auditeur de l'IHEDN (Institut des Hautes études de la Défense Nationale).

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La gamine n’a pas froid aux yeux. Cinq ou six ans tout au plus, haute comme trois pommes, les cheveux tirés en arrière par des tresses, elle avance sur le podium d’un pas décidé, tirant par la main sa maman tout intimidée, vêtue d’un boubou aux couleurs chatoyantes. Leur succède une famille asiatique, sur fond sonore de musique extrême-orientale… puis une femme camerounaise, toute en rondeurs et se rengorgeant de plaisir : dans sa vie de tous les jours, elle n’est jamais la cible de tous ces regards, elle n’a jamais droit à de tels égards. Elle tente de réprimer et contenir un bonheur jubilatoire sur le point d’exploser. Au même moment, des poèmes de Baudelaire et Paul Valéry sont lus au micro par un narrateur.

Nous sommes à Montfermeil, dans le « 9-3 », village des Thénardier dans « les Misérables », aujourd’hui cité qui compte sur son territoire 27 000 habitants et une quarantaine de nationalités différentes. En 2005, c’est là, et dans la ville voisine de Clichy-sous-Bois, qu’ont débuté les émeutes urbaines qui ont fait se braquer sur la France les caméras du monde entier. Le Maire, Xavier Lemoine, ne cesse de se battre pour changer l’image de sa commune, faire venir à elle les équipements et utiliser l’art et la culture comme leviers afin de favoriser le « vivre ensemble », selon la formule qui fait florès dans le langage politico-médiatique.

Samedi soir, 4 janvier avait lieu à Montfermeil la douzième édition du défilé « cultures et création », parrainé notamment par LVMH et Guerlain. A l’origine de cette initiative originale et audacieuse, une ancienne adjointe à la culture, Rosine Bellanger, qui a récemment transmis le flambeau pour cause de déménagement.Le principe est simple ; il s’appuie sur les réalités sociologiques et ethniques constatées pour dépasser les clivages et rassembler la population dans une quête commune d’unité et de beauté.

Deux défilés de mode consécutifs sont organisés dans un local municipal où se pressent, dans une ambiance festive, non pas des professionnels, journalistes, acheteurs potentiels, vedettes du « show-biz », photographes et « people » branchés, mais les montfermeillois. C’est l’événement annuel dont Monsieur le Maire et ses administrés sont – à juste titre- les plus fiers.Premier défilé : des ressortissants de nombreux pays différents et originaires de plusieurs continents se présentent dans leurs tenues traditionnelles pendant que sont projetés les drapeaux de leurs pays respectifs, et la France est alors traitée commeune nation parmi toutes les autres. A l’applaudimètre, samedi dernier, le Gabon, le Maroc, le Portugal, le Pakistan et le Sénégal ont remporté le plus vif succès, et aussi la France avec ses délégations régionales : Alsace, Bretagne, Auvergne etc… Dans un second temps, après la pause, les mannequins d’un soir – et il y a là tous les âges, tous les profils- défilent dans un vêtement spécialement confectionné pour l’occasion par une couturière ou un créateur local afin d’illustrer le thème de l’année : ainsi, en 2017, la poésie ; ou bien, autre exemple, en 2016 : les monuments de Paris.

On se bouscule dans la bonne humeur ; rien de guindé, de m’as-tu vu… On n’est pas au Grand Palais ou au Louvre, mais dans un site réaménagé et transformé pour s’adapter aux circonstances : le gymnase Colette Besson, pour un soir temple de la mode et de l’imagination à une encablure de Paris.

Stylistes, mannequins, agents de surveillance, forces de sécurité, techniciens son et image, personnel communal, maquilleuses… des centaines de personnes se sont mobilisées, ont fait œuvre commune sous la direction d’un metteur en scène, Glenn Mather, et d’une femme- orchestre, coach et répétitrice à la fois, la Princesse Esther Kamatari, écrivain, membre de l’ex-famille royale du Burundi et ancienne top model pour la Maison Lanvin. Tous deux ont voulu, et ils parviennent à réaliser, un spectacle complet, vivant, coloré, à la fois assez professionnel et très touchant, dans lequel fusionnent les peuples et les genres artistiques, et qui suscite la ferveur et le partage aussi bien pour les personnes qui défilent que pour celles qui sont massées au pied du podium. Et puisque la haute couture française jouit, depuis très longtemps, d’une réputation planétaire et que la poésie aussi, samedi soir, était à l’honneur, on pensait à Victor Hugo, cité dans le programme :

« toute idée, humaine ou divine,

qui prend le passé pour racine

a pour feuillage l’avenir »

Il fallait voir l’allégresse des camerounais dont le défilé se transformait en danse frénétique, l’émotion des créateurs appelés sur l’estrade pour la remise des prix, l’enthousiasme des lauréats dans leur ultime tour de piste sous les applaudissements du public. Moment de magie et de fraternité, et parfois le rêve devient réalité : Anaïs Guille, Prix « Jeune Talent » d’une précédente édition de « cultures et création » travaille maintenant sous contrat chez Dior.

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