Contre-productif ?
A double tranchant : la planification nous fait-elle plus de mal que de bien ?
La succession d’auditions menées par la commission d’enquête sur la souveraineté énergétique de la France a mis en lumière les fautes de raisonnement, défauts d’expertise ou lâchetés politiques de ceux qui fixent les plans.
Atlantico : A quel point la planification est responsable dans l’échec des politiques menées, notamment en matière énergétique ?
Pierre Bentata : Un des problèmes de la planification est qu’il doit y avoir des perspectives de long terme, par définition. Or l’Etat a des objectifs contradictoires. Au-delà même de l’idéologie de certains politiques (comme l’a montré la commission d’enquête sur la perte d’indépendance de la France en matière énergétique), cela va être difficile d’avoir une planification efficace dans un domaine particulier car elle risque de mettre en péril d’autres objectifs.
Si la planification en matière énergétique par exemple est bien faite, cela va in fine augmenter les coûts pour les ménages les plus pauvres et va mettre en difficulté certaines industries. Et c’est ce que l’on voit d’ailleurs : l’impossibilité d’essayer d’avoir des mesures qui vont donner une trajectoire et un horizon très précis au pays. Vous ne pouvez pas avoir de l’énergie pas chère et en même temps limiter la consommation des gens, avoir une croissance verte sans que cela influe sur l’emploi. Quand l’heure est au bilan, la déception est présente.
On peut planifier pour atteindre de très grands objectifs mais planifier la façon qui va nous permettre d’aboutir à ce genre d’objectifs, c’est quelque chose qui ne marche pas.
On le voit avec la fin des véhicules thermiques d’ici 2035 en Europe. Ce sera difficile d’atteindre cet objectif...
La neutralité carbone peut être un objectif, mais dans une étude que j’avais faite en collaboration avec Asterès en 2017, on observait bien que pour atteindre les objectifs européens, on peut faire bien d’autres choses : on peut développer le moteur à explosion pour les petites voitures ou encore favoriser les voitures hybrides. En réalité, les Européens ne planifient pas un objectif mais les manières de l’atteindre. Cela entre en contradiction avec d’autres objectifs : on ne peut pas faire de l’électrique tout en voulant rester souverain, car on importe énormément de composants nécessaires à la fabrication d’une voiture électrique. La quantité de choses auxquelles il faut penser est beaucoup trop complexe. En somme, les gouvernements envoient donc une multitude de signaux contradictoires aux citoyens. Par ailleurs, fixer un objectif à atteindre en 2035 alors que nous sommes dans un cycle d’innovation n’a pas vraiment de sens.
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Pourquoi constatons-nous que la planification ne fonctionne plus ?
C’est plus facile de planifier des grands travaux quand il y a tout à refaire, comme c’était le cas après la Seconde Guerre mondiale. Faire de la planification pour fabriquer un réseau électrique ou un réseau autoroutier est assez simple. Aujourd’hui, nous sommes dans un monde globalisé, avec des entreprises qui interagissent entre elles, où il est impossible de raisonner en situation de marché fermé. Nous restons dépendants des actions d’autres entreprises ou d’autres Etats.
Faire de la planification à l’échelle européenne, avec des Etats qui ont des objectifs divergents, comme l’Allemagne en matière énergétique, est impossible. C’est ajouter une strate de complexification supplémentaire.
S’ajoutent à cela notre principe démocratique, qui favorise l’alternance (et que je ne remets pas en cause !) et les évolutions scientifiques, qui vont de plus en plus vite. L’écosystème économique s’est tellement complexifié qu’il est très dur de faire de la planification.
Si nous n’arrivons pas à planifier une économie agricole ou industrielle, alors comment réussir à planifier une économie de la connaissance avec de tels enjeux de souveraineté ? C’est très difficile.
Quel rôle doit avoir l’Etat ?
Partout où l’Etat a voulu être partie prenante, et pas uniquement un maître d’œuvre qui fixe un cap, cela n’a pas marché. Les secteurs dans lesquels l’Etat s’est très largement investi, comme la santé (tarification à l’acte ou numerus clausus) ou l’éducation, nous constatons une multitude de problèmes.
Le rôle de l’Etat doit être celui de garantir un cap et de dégager quelques principes très généraux, puis de laisser le privé organiser les moyens pour atteindre les objectifs. Il faut passer par des instruments plus flexibles, par de l’information ou des instruments de marché, tels que des incitations fiscales ou des permis.
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