93% des musulmans britanniques sont très attachés à la Grande-Bretagne mais 1 sur 25 seulement croit qu’Al Qaïda est responsable du 11 septembre<!-- --> | Atlantico.fr
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Selon un récent sondage, deux Britanniques musulmans sur cinq seraient favorables à l'introduction de la charia dans le pays.
Selon un récent sondage, deux Britanniques musulmans sur cinq seraient favorables à l'introduction de la charia dans le pays.
©Reuters

Fractures religieuses

Aussi bien en Grande-Bretagne qu'en France, on assiste de plus en plus à une séparation d'une partie des musulmans du reste de la société, et ce dans l'aveuglement de la sphère politico-médiatique.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico : Selon un sondage mené auprès de 3 000 Britanniques d'obédience musulmane pour Policy Exchange, 96% ne croiraient pas dans la version officielle des attaques du 11 septembre 2001. Pour 31%, c'est le gouvernement américain qui en est à l'origine et non Oussama Ben Laden, 7% que les attaques sont le résultat d'un complot juif, et 58% ne se prononcent pas. Comment expliquez-vous ces résultats ? De quoi sont-ils le symptôme selon vous ?

Guylain ChevrierDans le prolongement des enquêtes précédentes, on voit clairement se dessiner une fracture entre l’Angleterre et une partie des musulmans qui y vivent, et cela n’a rien du fantasme. On voit se révéler, une fois de plus, tout le décalage entre une sphère politico-médiatique qui ne voit rien venir, obnubilée par le politiquement correct (Brexit, élection de Trump, terrorisme religieux menée par des nationaux d’origine étrangère…)  avec à l’opposé, une réalité bien différente qui s’impose de façon de plus en plus nette.

Le fait que, dans cette enquête, un musulman britannique sur quatre ne croit pas qu’un extrémisme des musulmans puisse être responsable des attaques terroristes en lien avec l'Etat islamique, en dit long sur le déni de la responsabilité du religieux ici. Un argument qui est en général celui de ceux qui font passer leur croyance avant les règles de la société dans laquelle ils vivent, car remettre en cause leur religion remettrait en cause un mode de vie communautaire entièrement centré sur le religieux. Ce qui met à jour un impensé dangereux, qui reflète l’absence de débat sur les enjeux qui traversent la place de l’islam comme religion dans la société, qui selon sa forme, selon ce qu’elle fait passer avant ou après, loi civile ou religion, est favorable à l’intégration dans la communauté nationale ou à son rejet, avec toutes sortes de conséquences.

Parallèlement, le fait qu’un musulman britannique sur quatre ne distingue pas l’extrémisme musulman comme cause des attentats, ne serait-il pas le reflet de cet état d’enfermement dans un communautarisme où le salafisme est prépondérant, qui fabrique une plus grande proximité des mentalités avec ces extrémistes qu’avec la société dans laquelle ils vivent, sans même qu’ils n’en aient conscience ? D’autant qu’ils sont fréquemment, par antennes paraboliques interposées, plus branchés sur les informations venant de pays musulmans, que sur celles du pays où ils sont établis. En avril 2016, une enquête menée au Royaume-Uni publiée dans le Times, posait la question de savoir si les musulmans britanniques ne constituaient pas une « nation dans la nation » ? 52% des musulmans interrogés estimaient que l’homosexualité devrait être illégale et 23% favorables à introduire la charia au Royaume-Uni. Elle révélait aussi que seulement 34% des musulmans seraient prêts à dénoncer une personne qui a des liens avec le terrorisme en Syrie.

Dame Louise Casey, membre du gouvernement britannique en charge des questions d'intégration, a publié une étude révélant que 75% des musulmans vivant totalement coupés du reste de la société pensent que le Royaume-Uni est un pays islamiste. Comment est-il possible de laisser des communautés ainsi vivre en totale rupture avec la société dans laquelle elles vivent ? Faisons-nous face, en France, à une telle rupture de certains pans de la communauté musulmane qui, comme en Grande-Bretagne, vivent sans jamais quitter leur quartier, disposant de leurs propres écoles, de leurs propres chaînes de télévision, etc. ? Quelles conséquences cela a-t-il sur la perception du pays dans lequel ces communautés sont installées ? 

On a laissé s’installer progressivement une situation de mise à part, ces fameux « ghettos ethniques et sociaux » qu’a évoqués le Premier ministre lors du discours qu’il a prononcé au lendemain des attentats de janvier 2015. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, a fait état « d’une centaine de quartiers pouvant potentiellement être des Molenbeek français », au lendemain des attentats de Bruxelles en mars 2016. Les mosquées de ces quartiers ne sont pas toujours des espaces de spiritualité, résonnant trop fréquemment de prêches pleins de haine. C’est l’intellectuel musulman éclairé Ghaleb Bencheikh qui expliquait, dans le contexte des attentats de novembre 2015 (Le Huffington Post, 18/11/2016),  que « Certains responsables religieux musulmans sont comptables et coupables des crimes perpétrés au nom de Dieu », tout en appelant à une modernisation de l’islam par l’éloignement d’une lecture littérale des textes.

Nous voyons bien se dessiner derrière cette évolution ce modèle anglo-saxon chez nous, qui a conduit à la situation que décrivent ces sondages et études. Cette « nation dans la nation » dont parlait le Times, nous guette dangereusement. Le communautarisme pose le problème de l’intégration sociale, car il joue sur le repli d’une origine ou/et d’une religion, en niant ce lien juridique qui unit les citoyens à un Etat et à ses lois.

L’Angleterre où on se sépare selon les différences, reproduisant peu ou prou l’ancien Empire colonial britannique, n’est pas la France, où au contraire on se mélange, à la faveur de l’égalité républicaine, la séparation communautaire y apparaissant comme une anomalie révélatrice d’un malaise sinon d’un danger. Aux mise à part de ce communautarisme, aux tensions qu’ainsi il crée, répond une incompréhension montante, sinon une défiance de plus en plus grande, manifeste dans toutes les enquêtes d’opinions en France. La peur des désordres que pourrait entraîner cette évolution, dans un climat de violences urbaines émanant de ces ghettos qui alimente régulièrement l’actualité, pourrait bien mettre le feu aux poudres, pousser nos compatriotes à faire le choix politique d’un pouvoir autoritaire à haut risque, croyant ainsi pouvoir enrayer ce mouvement. Si le politique recule, la raison recule, car elle n’a de sens que si elle guide la raison humaine, si elle sert véritablement à se gouverner soi-même. L’ampleur de la crise que traverse notre représentation politique en dit long sur cette involution, et le laisser-faire actuel vis-à-vis de cette forme de pensée religieuse agressive qui a ainsi les coudées franches, pour rompre avec le reste de la communauté, sinon s’affronter avec elle.

S’il y a un pays où cela peut, peut-être, prendre une autre direction, c’est bien le nôtre, en raison précisément de ce modèle républicain qui est une protection pour tous, garantissant le libre choix de nos concitoyens de confession musulmane, face à cette dérive, à laquelle il faut sans ambiguïté les appeler à résister. Ayons une pensée pour Malek Chebel, anthropologue des religions, récemment disparu, qui appelait au lendemain de l’attentat de Nice, le 14 juillet dernier, dans les colonnes du journal Le Parisien, les musulmans de France à faire passer leur citoyenneté avant leur religion. C’est bien là que se scelle un choix de société, celui des divisions identitaires où d’une République respectée dans ses principes où il fasse, ensemble, bon vivre.

Qu'en est-il en France ? Si les questions autour de l'intégration ne se posent pas de la même manière, ce détachement de la version officielle, lorsqu'il s'agit des communautés musulmanes, se retrouve-t-il également ?

Bien que la société française favorise plus le mélange des populations, à faire prévaloir la citoyenneté sur la reconnaissance identitaire, nous connaissons des difficultés qui ont la même racine. On a vu progressivement s’affirmer en France, une « communauté musulmane » sur le fondement du refus du mélange au-delà de la communauté de croyance, qui confine de plus en plus une partie croissante de nos concitoyens de confession musulmane à l’enfermement communautaire, et donc aux mêmes effets de lecture. Cela est particulièrement manifeste à travers une montée en puissances des revendications religieuses dans toutes les enquêtes, de l’entreprise à l’hôpital, qui viennent télescoper nos mœurs, nos mentalités, l’idée que nous nous faisons de l’autonomie de la personne.

La dernière enquête de l’Institut Montaigne intitulé « Un islam français est possible » ne nous montrait pas autre chose : 70% de nos concitoyens musulmans déclarent « toujours » acheter de la viande halal (légale au sens religieux) comme « marqueur d’appartenance au groupe social des musulmans » ; 60% considèrent que les jeunes filles devraient pouvoir porter le voile au collège comme au lycée, et 65 % sont favorables au port du voile en général, 24% au port du voile intégral ; 37% des interrogés partagent l’idée selon laquelle « En France, les musulmans sont victimes d’un complot » ; 37% se disent proches de Tariq Ramadan et donc des thèses des Frères musulmans. On voit ici se dessiner distinctement une séparation et une tension entre les musulmans qui s’identifient à ces écarts et le pays où ils vivent. L’enquête de l’Institut Sociovision réalisé en octobre 2014 nous donnait déjà des indications importantes sur ce sujet : 47% des musulmans interrogés souhaitaient une société où chacun puisse exprimer publiquement son appartenance religieuse, contre 82% des Français qui étaient favorable à la discrétion des appartenances religieuses, considérées comme une affaire privée ; 56% des musulmans trouvaient « complètement normal qu’on suive d’abord les règles de la religion que celles de la société dans laquelle on vit », seulement 21% des catholiques partageaient cette opinion.

Il faut bien souligner la façon dont on entretient en France la confusion à cet endroit. Lorsque par exemple, après les attentats de Charlie Hebdo, la préoccupation de Jean-Christophe Cambadélis, Premier secrétaire du Parti socialiste, révélée dans un reportage (Attentats : au cœur du pouvoir, diffusion 1/12/2016), était alors les conséquences des événements sur les musulmans, en raison de ce qu’il appelait « une islamophobie rampante », on peut être inquiet. La reprise d’un terme,  « l’islamophobie », dont on sait la connotation douteuse, puisqu’il sert en général à ceux qui l’utilisent pour contrer toute possibilité de critique de l’islam, faisant écho au délit de blasphème. C’est l’instrument de combat d’un Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), émanation des Frères musulmans, dont le journal Le Monde relaye régulièrement la parole, jusqu’à avoir ouvert ses colonnes au controversé Marwan Muhammad, son président, qui milite ouvertement pour l’abrogation des lois laïques de la République, pour ne pas dire contre la République elle-même. La Commission nationale consultative des droits de l’homme a rendu depuis son rapport sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, pour l’année 2015, dont l’indice de tolérance des Français, relativement à cette problématique, n’a jamais été aussi bon, et ce, malgré la multiplication des actes terroristes. Ce qui est venu contredire, à point nommé, la bien-pensance sur ce sujet.

Par ailleurs, et toujours selon l'étude, 93% des sondés s'estiment très attachés à la Grande-Bretagne, alors que quasiment la moitié des répondants déclarent qu'ils ne dénonceraient pas un proche s'il était proche des thèses djihadistes. Comment analysez-vous ce paradoxe ?

C’est l’expression même des contradictions du multiculturalisme et de la bombe à retardement qu’il représente. La Grande-Bretagne cultive l’ambiguïté. Cette adhésion n’est jamais que celle à un modèle de séparation ethnico-religieux, qui a abouti à la reconnaissance d’un droit à géométrie variable par le juge anglais selon la logique communautaire, avec des tribunaux islamiques dans le pays qui font flores, par voie de conséquence un droit matrimoniale fondée sur les principes de la charia qui y est toléré, et un délit de blasphème toujours dans la loi qui borde le tout. Une adhésion de façade qui cache mal la rupture entre des cultures et des mentalités, et conduit à cette attitude pointée dans l’enquête, qui consiste pour près d’un musulman britannique sur deux, à ne pas vouloir dénoncer  quelqu'un qu'il connaitrait, d’impliqué avec des partisans du terrorisme en Syrie. Ce qui d’ailleurs indique une progression au regard d’études précédentes.

La présentation qui a été faite par les médias de l’élection de Sadiq Khan à la tête de la capitale britannique, député musulman, défenseur du bizness et du voile, comme une révolution, est le parfait reflet de ces contradictions que l’on refuse de voir. On a abusé de la crédulité du citoyen anglais, pour faire croire au mythe d’un capitalisme par lequel on adoucirait les mœurs, tout en laissant chacun vivre sur le mode qui lui convient, jusqu’à ces mises à part qui en viennent à normaliser de faire passer la religion avant la loi civile. Il n’y a pas à douter que cela prépare encore des réveils douloureux.

On voit bien que l’adhésion à ce modèle britannique n’a rien à voir avec l’adhésion aux valeurs attachés à la démocratie et à la modernité sociétale. Selon ce sondage, deux britanniques musulmans sur cinq seraient favorables à l'introduction de la charia dans le pays.  Il a également révélé que  40 % étaient en faveur de classes où on pratique la ségrégation sexuelle, tandis que 44 % pensent que les écoles devraient être en mesure de forcer les filles à porter la robe islamique traditionnelle.

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