650 000 euros pour un passeport européen : Malte est-elle en train de pousser le bouchon trop loin ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Malte brade son passeport pour 650 000 euros.
Malte brade son passeport pour 650 000 euros.
©Reuters

Il est frais mon passeport !

Dans la course aux investisseurs étrangers que se livrent les États européens endettés, Malte vient de franchir un nouveau pas en bradant son passeport pour la modique somme de 650 000 euros. Une décision unilatérale qui pénalise l’ensemble des pays de l’UE.

Jacques Barou

Jacques Barou

Jacques Barou est Docteur en anthropologie et chargé de recherche CNRS. Il enseigne à l’université de Grenoble les politiques d’immigration et d’intégration en Europe. Son dernier ouvrage est La Planète des migrants : Circulations migratoires et constitution de diasporas à l’aube du XXIe siècle (éditions PUG).

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Atlantico : Quelle est la situation particulière de Malte et quel est l’intérêt pour l’île de vendre sa nationalité sans conditions ?

Jacques Barou : On peut tout d’abord y voir un intérêt économique : le but est clairement de faire rentrer de l’argent dans les caisses maltaises. Mais c’est aussi une manière de renforcer le poids de Malte et de ses 400 000 habitants dans l’UE. Ce prix élevé aura également pour conséquence de décourager les migrants notamment les plus pauvres, et ainsi de procéder à une sélection en fonction de critères financiers. Or l’argent rime bien souvent avec qualification et éducation : ces nouveaux ressortissants seront donc plus faciles à intégrer pour Malte. C’est enfin un moyen de limiter les flux migratoires car en leur donnant un passeport européen, Malte ouvre à ces migrants les portes de l’UE, ce qui les poussera inévitablement vers les autres pays de l’Union.

L’exemple maltais est-il unique au sein de l’Union européenne ?  Les critères de nationalité imposés sont-ils très variables selon les différents pays de l’UE aujourd’hui ?

Vendre un passeport directement et sans aucune obligation est une initiative assez nouvelle et surprenante. Dans d’autres pays, l’obtention du droit de résidence est en général assortie de conditions financières imposées, comme une acquisition immobilière en Grèce ou au Portugal par exemple ou un investissement industriel en Grande-Bretagne.

En matière de critères de nationalité, chaque pays conserve une part de tradition. Il n’existe pas d’écarts immenses mais plutôt des rapprochements. L’Allemagne, qui avait un droit de la nationalité fondé exclusivement sur le droit du sang, a ainsi introduit une part de droit du sol. D’autres pays de l’UE se fondent par ailleurs sur l’existence d’un héritage commun, c’est notamment le cas de l’Espagne avec les pays hispanophones d’Amérique latine ou du Portugal avec le Brésil. De même, la Grande-Bretagne conserve des particularités en fonction de son histoire, notamment envers les pays du Commonwealth. Chaque pays a en tout cas gardé son propre accès à sa nationalité.

Cette recherche éperdue d’investisseurs et de capitaux étrangers comporte-t-elle des risques de dérives notamment du fait de la liberté de circulation au sein de l’UE ?

Si un passeport peut s’acheter et si on peut devenir européen simplement parce que l’on a de l’argent, c’est tout d’abord injuste pour ceux qui n’en ont pas les moyens, mais cela représente surtout une incitation à émigrer pour ceux qui ne parlent pas la langue et ne font pas d’effort d’intégration au niveau culturel ou linguistique.

Cela ouvre également les portes de l’UE à des migrants n’ayant pas l’intention de respecter des lois européennes. Il peut y avoir un risque d’intrusion de la part de gens mal intentionnés. Un État ennemi pourrait par exemple en profiter pour placer ses pions.

Existe-t-il des critères communs d’allocation de passeports au sein de l’UE ? Que peut faire Bruxelles pour peser sur les politiques d’immigration nationales ?

L’accès à la nationalité varie d’un pays à un autre même si certains critères sont assez généralisés entre les pays membres de l’UE. La maîtrise de la langue est ainsi présente dans un nombre de plus en plus élevé de pays européens. En France chaque année, 30% de personnes sont ainsi déboutées de leur demande de naturalisation en raison de leur mauvaise maitrise du français. L’assimilation linguistique, l’intégration mais aussi la durée de présence sur le territoire sont donc assez communes à des degrés divers.

Bruxelles a déjà beaucoup tenté sur le plan de l’immigration. Le traité d’Amsterdam signé en 1997 prévoyait que les questions d’immigrations soient à terme décidées au niveau communautaire et non pas national. Mais aujourd’hui elles relèvent finalement toujours de la souveraineté des États. L’Europe a tout de même imposé certaines priorités communes comme la protection des frontières de l’Union qui fait consensus tout comme le fait que le pays d’accueil d’un immigré non européen soit celui qui doit traiter sa demande d’asile ou de résidence.

Pour l’heure Bruxelles ne peut faire grand-chose contre la décision maltaise à moins que la protestation gagne d’autres pays européens, ce qui pourrait obliger Malte à modifier ou restreindre ce dispositif.

Propos recueillis par Pierre Havez

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