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50 nuances de Verts : en France ou en Europe, les écologistes, cette galaxie éclatée
©SEBASTIEN SALOM GOMIS / AFP

Diversité

Eddy  Fougier

Eddy Fougier

Eddy Fougier est politologue, consultant et conférencier. Il est le fondateur de L'Observatoire du Positif.  Il est chargé d’enseignement à Sciences Po Aix-en-Provence, à Audencia Business School (Nantes) et à l’Institut supérieur de formation au journalisme (ISFJ, Paris).

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Atlantico : Fort de sa victoire, Yannick Jadot s'est félicité d'avoir été un acteur de la "vague verte européenne", déclarant que "Le temps des écologistes est venu". Si le score d'EELV est encourageant et que l'essor de l'écologisme est une réalité, n'y a-t-il pas un grand écart entre la vision d'une écologie libérale portée par un Jadot ou un Pascal Canfin et les différentes composantes de ce qu'est le mouvement écologiste dans notre société ?

Eddy Fougier : Il y a un paradoxe puisqu'on voit bien que dans la société il y a une préoccupation de plus en plus importante dans tout ce qui attrait à l'environnement : prise de conscience du problème des pesticides, du bien-être animal, du changement climatique avec des mouvements citoyens etc. La percée d'EELV s'inscrit dans cette prise de conscience de la gravité des enjeux environnementaux d'une partie de la population, en partie des jeunes. Sur le fond, c'est presque une divine surprise pour ce parti, parce qu'il était en très grandes difficultés, à tel point qu'il n'a pas présenté de candidat à la présidentielle (Yannick Jadot s'était retiré au profit de Benoit Hamon), les quatre derniers dirigeants d'EELV ont quitté le parti. En bref, le parti était en grande difficulté ces dernières années, notamment à partir de la thématique de l'écologie a été reprise dans des partis de gauche comme de droite, ce qui remettait en cause l'utilité du parti. Il s'agit donc plutôt d'une divine surprise que d'une nécessité historique.

Il est évident que, pour une partie de l'électorat qui s'est tournée vers l'EELV (en particulier les jeunes), le vote était motivé par deux idées : d'abord, ce vote était essentiel face aux deux grandes menaces (populiste et climatique). Dans un tel contexte, beaucoup d'individus se sont mobilisés et, sur le marché électoral, n'ont pas vu beaucoup d'offres attractives à leurs yeux et ont voté plutôt pour un parti proche de leurs convictions écologiques. Il n'est pas certain que ce soit l'orientation autour de l'écologie libérale, la nature de la campagne et des personnalités de la liste qui aient joué un grand rôle. C'est plutôt la tonalité, l'image de marque et la cohérence historique d'EELV qui ont joué par-delà la campagne qui a pu être menée. Au sein d'EELV, il y a toujours eu beaucoup de courants différents. Au sein de l'écologie politique, c'est la même chose : il y a eu la grande bataille dans les années 1980-1990 entre les tenants du "ni-ni" (ni droite ni gauche) autour d'Antoine Waechter contre ceux qui étaient proches de Dominique Voynet, favorable à un rapprochement de la gauche, à la participation des Verts à l'époque à la gauche plurielle. Ces visions différentes sont intrinsèques à l'écologie politique. Aujourd'hui, le principal clivage est entre ceux qui croient encore à la transition écologique et ceux qui n'y croient plus. EELV fait partie des premiers : ils pensent qu'il y a un moyen de mettre en place un modèle alternatif au capitalisme et de l'autre côté, il y a ceux qui considèrent que la transition écologique est finie et qu'on est dans une optique de l'effondrement : c'est un courant qui a beaucoup d'influence, notamment auprès d'un public jeune. Aujourd'hui, les jeunes sont plus sensibles au discours d'un Aurélien Barrau ou d'un Pablo Servigne qu'à celui de Yannick Jadot ou Pascal Canfin. Lorsqu'il s'agit de voter, même si EELV serait dans une vision de leur point plus réformiste, les jeunes vont choisir par défaut de voter pour ce parti.

Le vote jeune est-il un vote sur lequel on peut réellement s'appuyer sur le long terme ?

Il est intéressant de noter que les jeunes français ne sont pas les seuls à avoir voter pour un parti écologiste : en Allemagne, 34 % des 18-24 ans ont voté pour les Verts.

Le problème du vote des jeunes, c'est qu'ils vieillissent. Au-delà de cela, il est certain qu'au sein d'une partie de l'électorat qui va devenir centrale à un moment donné, ces préoccupations écologistes et environnementales vont certainement structurer en grande partie les débats. Le débat central, même s'il n'est pas exprimé en tant que tel, est autour de la décroissance : l'un des débats du XXIe sera en effet de savoir si, face à cette crainte du changement climatique, les technologies et les investissements dans la science vont permettre de lutter contre le changement climatique ou alors s'il faut diminuer l'impact humain sur les ressources, donc diminuer dès la production et la consommation les émissions de gaz à effet de serre et changer de modèle.

Par différents signaux faibles, on voit qu'il y a bel et bien une prise de conscience chez de nombreux jeunes. Quand on regarde par exemple la composition sociologique des marcheurs pour le climat, on voit que ce sont des jeunes diplômés CSP+ qui voyagent en avion mais qu'ils veulent rompre avec le système. De même, il y a six ou sept mois, des étudiants de grandes écoles françaises ont publié un manifeste disant qu'ils ne voulaient pas travailler dans des entreprises qui ne respectaient pas leurs valeurs, notamment pour les questions environnementales. Le président du Medef se demande d'ailleurs si les entreprises ne vont pas avoir, sous la pression des ONG, des difficultés à recruter des jeunes hautement qualifiés. Au sein de cette génération, très large entre ceux qui roulent en trottinettes électriques et ceux qui sont passionnés de tuning, peut-être qu'une partie des futures élites ont pris conscience des enjeux environnementaux. Il ne s'agit donc pas d'un effet de mode mais d'une tendance de fond qui s'est exprimée en faveur d'EELV mais qui s'exprimera peut-être demain pour une autre tendance politique. On ne peut pas exclure un deuxième tour Jadot-Le Pen aux présidentielles de 2022.

Politiquement, Jadot ne sur-estime-t-il pas sa position ? S'il est le troisième parti français aux européennes, les mouvements Gilets jaunes n'ont-ils pas montré l'existence aussi d'une réelle hostilité à la progression des idées écologistes ?

Les Gilets jaunes n'ont pas montré une hostilité aux idées écologistes : le mouvement a soulevé la question du coût social de la transition écologique. Les Gilets jaunes ne sont pas anti-écologistes, de même que le monde agricole n'est pas opposé à l'idée d'avoir des pratiques plus respectueuses de l'environnement, mais ils estiment que cela représente un coût économique certain et que ce coût n'est pas pris en charge par la collectivité. Les Gilets jaunes ne roulent pas en diesel pour le plaisir de rouler en diesel, mais parce que c'est moins cher : même chose pour le glyphosate chez les agriculteurs, c'est parce qu'il n'y a pas de substitut au même prix actuellement pour éliminer les mauvaises herbes.

En revanche, sans doute qu'après la divine surprise du score d'EELV, les choses vont retomber et calmer le jeu. Dans certains secteurs écologistes, beaucoup avaient anticipé une défaite des mouvements populistes et avaient appelé à des états-généraux de l'écologie afin de tout remettre à plat. EELV a obtenu de très bons résultats : les états-généraux auront plutôt lieu du côté des républicains. Tout va dans le bon sens pour les écologistes, certes. En revanche, il est certain que depuis le 26 mai, à gauche, la force d'attraction n'est plus la France Insoumise mais l'écologie politique : EELV ou d'autres courants, on ne sait pas. Il y a de fortes probabilités que la gauche se restructure autour de cette force d'attraction de l'écologie. EELV est un pôle écologique en tant que tel : regroupement entre les Verts et d'autres formations écologistes. Dans l'écologie politique, il y a les périodes centipèdes et centrifuges : dans l'une, les formations se regroupent, dans l'autre, les forces se dispersent, en créant leur propre structure ou en passant du côté des ONG (comme Cécile Duflot ou d'autres). Aujourd'hui, il y a eu un tournant en la matière, et les forces d'agglomération des différentes composantes de l'écologie politique vont peut-être se retrouver autour d'un nouveau pôle. Il faudra dans tous les cas être très prudents parce qu'historiquement, les élections européennes sont plutôt favorables à l'écologie politique (grâce au mode de scrutin proportionnel et parce que le parti écologiste est généralement le parti parmi les plus cohérents et les plus pro-européens). L'année prochaine auront lieu les municipales et elles mettront en difficulté EELV, parce qu'il y a un mode de scrutin majoritaire, la nécessité de créer des coalitions avec les socialistes, LFI, le PC : les problèmes commencent. Il ne faut donc pas penser que, d'un côté comme de l'autre, la messe est dite.

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