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4 cartes pour comprendre la France à travers les préoccupations ayant motivé les électeurs selon les régions
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Des cartes réalisées par Spallian à partir des données d'une l’enquête OpinionWay menée le jour du vote à l’occasion du second tour des élections départementales mettent en évidence les préoccupations principales des Français. Selon leur région de résidence, ils s'inquiètent plus ou moins des questions économiques, environnementales, sécuritaires et liées à l'immigration.

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont est géographe, économiste et démographe, professeur à l'université à Paris IV-Sorbonne, président de la revue Population & Avenir, auteur notamment de Populations et Territoires de France en 2030 (L’Harmattan), et de Géopolitique de l’Europe (Armand Colin).

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Bruno Jeanbart

Bruno Jeanbart

Bruno Jeanbart est le Directeur Général adjoint de l'institut de sondage Opinionway. Il est l'auteur de "La Présidence anormale – Aux racines de l’élection d’Emmanuel Macron", mars 2018, éditions Cent Mille Milliards / Descartes & Cie.

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Le développement économique et la création d'emploi

Carte réalisée à partir des données de l’enquête OpinionWay pour l’Opinion menée le jour du vote à l’occasion du second tour des élections départementales auprès d’un échantillon de 6126 Français représentatif de la population des Français âgés de 18 ans et plus, en dehors de Paris et de la Métropole de Lyon. Ont été exclus de cet échantillon les 124 cantons dans lesquels les conseillers départementaux ont été élus dès le premier tour des élections, le 22 mars 2015.

Gérard-François Dumont : Les Français les plus préoccupés par le développement économique et la création d'emplois habitent dans des régions du grand Bassin parisien, principalement à l'ouest, au sud-ouest et au sud-est de l’Île-de-France. Pour l’essentiel, ce sont des territoires où l’implantation de nombre d'entreprises résulte de décisions relevant de sièges sociaux situés dans d'autres territoires, notamment à Paris. D’où une crainte due à une partie importante de la base économique de nature exogène.

En revanche, en Île-de-France, le développement économique et la création d'emplois sont en quatrième place, donc en dernière place des préoccupations. Ceci est logique car le marché de l'emploi de l’Île-de-France est très large, avec une grande variété de métiers et beaucoup de possibilités de mobilité professionnelle. Lorsqu'une personne perd son emploi en Île-de-France, son espoir d’en retrouver un est assez élevé compte tenu de l'étendue du marché de l'emploi et de l'éventail de métiers proposés. Par exemple, quand Peugeot a décidé de fermer son usine d'Aulnay-sous-Bois, contrairement à ce que laissait entendre la couverture médiatique et les syndicats, cela n'avait pas de conséquences dramatiques pour l'emploi régional : Peugeot Aulnay était un faible pourcentage de l'emploi de l'Île-de-France ; et les salariés licenciés avaient de larges possibilités de réemploi dans les nombreuses activités économiques de l’Île-de-France. Si le groupe automobile français avait fermé son usine de Rennes, la difficulté aurait été beaucoup plus grande car la part de l’emploi de Peugeot-Rennes est considérable dans le bassin d’emploi rennais, sans oublier les emplois des sous-traitants, et les possibilités de se recycler dans des emplois similaires bien moindres sur ce marché rennais de l’emploi.

Bruno Jeanbart : On aurait pu s'attendre à ce que ces questions soient les plus importantes dans les régions les plus en crise comme le nord ou l'est mais ce n'est pas le cas. Dans l'ouest, cet enjeu est très fort et réside dans le fait que ce sont des régions assez dynamiques économiquement, comme la Bretagne et les Pays de la Loire, avec la volonté de maintenir ce dynamisme. Elles sont aussi moins craintives face à la mondialisation et plus européennes. Cela s'explique par le fait qu'elles soient moins touchées par les difficultés économiques, car les taux de chômage y sont moindres que dans l'est ou le nord, mais aussi par les échanges commerciaux très importants liés à la façade maritime sur l'océan atlantique. Les courants politiques les plus favorables à l'union européenne et la mondialisation y sont plus représentés.

L'Île-de-France est la région où l'on s'en préoccupe le moins car d'autres enjeux dominent, sur l'environnement et les transports notamment. Le taux de chômage y est aussi moins élevé qu'ailleurs. Cette région concentre déjà beaucoup en termes d'emploi. La mobilité y est plus facile. Aller d'un bout à l'autre de l'Île-de-France, c'est facile. Traverser la Bretagne l'est beaucoup moins.

Le cadre de vie et l'environnement

Carte réalisée à partir des données de l’enquête OpinionWay pour l’Opinion menée le jour du vote à l’occasion du second tour des élections départementales auprès d’un échantillon de 6126 Français représentatif de la population des Français âgés de 18 ans et plus, en dehors de Paris et de la Métropole de Lyon. Ont été exclus de cet échantillon les 124 cantons dans lesquels les conseillers départementaux ont été élus dès le premier tour des élections, le 22 mars 2015.

Gérard-François Dumont : La géographie de l’importance donnée au cadre de vie met en évidence deux logiques totalement différentes. En Île-de-France, cette préoccupation forte pour le cadre de vie et l'environnement vient, d’une part, de la détérioration des transports publics qui atteint des niveaux dramatiques tant dans la régularité que dans le confort et, d’autre part, de l’importance de la pollution. Dans les régions de l'ouest et du sud-ouest de la France, la préoccupation également forte pour le cadre de vie et l'environnement résulte plutôt d'une position défensive. Ces régions ont un cadre de vie en moyenne satisfaisant, voire très satisfaisant, et expriment le souci de le préserver des menaces qui pourraient le détériorer. S'il y a un moindre intérêt pour ces questions de cadre de vie, en quatrième et dernière position dans le nord de la France, c'est parce qu'on y attache davantage d'importance à la sécurité et à la gestion de l'immigration, des thèmes qui prévalent dans la hiérarchie des préoccupations.

Bruno Jeanbart : Plusieurs types de raisons rendent cet enjeu important : c'est tout à fait particulier en l'Île-de-France, à cause de la pollution. On observe une importante coupure est / ouest sur cet enjeu de l'environnement, notamment dans le sud. Dans l'ouest, la dimension environnementale est historique, elle a toujours été importante là-bas. La façade Atlantique y est particulièrement sensible par rapport aux traumatismes liés à la marée noire. Il y a toujours eu un fort courant politique écologiste dans l'ouest du pays. L'enseignement principal est que l'environnement n'est pas forcément l'enjeu des zones urbanisées. L'agriculture rend cette problématique très importante. Ces régions sont intransigeantes sur la qualité environnementale car leur économie en dépend, elles la considèrent que c'est l'une de leurs principales forces, voire l'un de leurs rares atouts.

Le faible intérêt du nord pour ces questions a une explication sociologique. Les populations les plus sensibles à l'environnement sont plutôt dans les CSP+, avec un niveau d'éducation élevé. La sociologie du nord fait qu'il est beaucoup moins sensible à cela. Ce qui est paradoxal car le Nord-Pas-de-Calais a été l'une des rares régions présidées par une écologiste, Marie-Christine Blandin, entre 1992 et 1998. Mais cela n'y a jamais été un enjeu majeur. L'immigration et la sécurité y ont toujours dominé les débats.

La sécurité

Carte réalisée à partir des données de l’enquête OpinionWay pour l’Opinion menée le jour du vote à l’occasion du second tour des élections départementales auprès d’un échantillon de 6126 Français représentatif de la population des Français âgés de 18 ans et plus, en dehors de Paris et de la Métropole de Lyon. Ont été exclus de cet échantillon les 124 cantons dans lesquels les conseillers départementaux ont été élus dès le premier tour des élections, le 22 mars 2015.

Gérard-François Dumont : La géographie du souci de sécurité, ou le sentiment d’insécurité selon les grandes régions, est assez nettement corrélée avec celle des taux d'immigration. Ce souci se trouve au premier rang des quatre critères principalement en Île-de-France et en Provence-Alpes-Côte d'Azur, deux régions à taux d'immigration importants, puis dans le Nord et la région grand-Est, même si cette immigration y est généralement plus ancienne. Toutefois, dans l'Est, il y a une présence plus récente de l'immigration turque dont le niveau de qualification est assez bas, la propension de vivre en communauté assez élevée et la volonté d'intégration considérée comme insuffisante par le reste de la population. D’où ce paradoxe de l'Alsace où il y a une large offre d'emplois et, en même temps, de nombreux chômeurs. Il y a une inadéquation entre les besoins de l'économie alsacienne et les personnes susceptibles de répondre à ces besoins.

Selon la logique précisée ci-dessus, la Bretagne classe le souci de sécurité à un niveau beaucoup moins important, sans doute car le taux d'immigration y est beaucoup plus faible. De plus, la Bretagne n'a pas de grandes métropoles[1] mais une capitale régionale, Rennes, de taille intermédiaire, et un chapelet de villes moyennes, où l'on considère que la possibilité d'y assurer la sécurité est plus aisée que dans les grandes métropoles. La situation est identique dans les Pays de la Loire car, même s'il y a eu une augmentation significative de l'immigration, elle y est bien moins élevée que dans le reste de la France.

Bruno Jeanbart: Ceux qui sont sensibles à la sécurité sont sociologiquement aussi sensibles à l'immigration, en général. Des régions comme l'est et le nord donnent beaucoup d'importance aux enjeux de sécurité en raison de la crise économique, qui renforce l'inquiétude. Le sentiment d'insécurité y est très fort, non seulement à l'égard de l'immigration, mais aussi par rapport à la situation économique. C'est aussi dû à la structure de ces régions, avec des pôles urbains très concentrés qui font que les questions de sécurité y sont très sensibles, plus importantes que dans les zones rurales.

C'est aussi lié à un aspect culturel. La Bretagne est une terre historiquement catholique, notamment dans les campagnes, et l'on sait que ce sont des enjeux moins importants là où le catholicisme est fort.

L'immigration

Carte réalisée à partir des données de l’enquête OpinionWay pour l’Opinion menée le jour du vote à l’occasion du second tour des élections départementales auprès d’un échantillon de 6126 Français représentatif de la population des Français âgés de 18 ans et plus, en dehors de Paris et de la Métropole de Lyon. Ont été exclus de cet échantillon les 124 cantons dans lesquels les conseillers départementaux ont été élus dès le premier tour des élections, le 22 mars 2015.

Gérard-François Dumont : Le nord et la région PACA considèrent que l'immigration est un enjeu décisif. L’une des raisons est que, souvent, les anciens immigrés qui y ont fait l'effort de s'intégrer considèrent que les immigrés en situation irrégulière sont des concurrents sur un certain nombre de métiers, d'autant plus qu'il s'agit souvent d'activités informelles. En effet, il ne faut jamais regarder les immigrés comme étant homogènes, ils sont au contraire très hétérogènes.

Les régions Bretagne, Pays de la Loire, grande Aquitaine et Normandie classent la question de l'immigration en dernier parmi les quatre critères. Ce sont des régions où le taux d’immigrants est plus faible. En Bourgogne et en Franche-Comté, la situation est identique et, au sein de cette faible immigration, il y a aussi des Suisses.

Cette corrélation entre la préoccupation et le taux d'immigration est à nuancer par le fait que ces cartes livrent le sentiment moyen de régions vastes. Par exemple, en PACA, il y a sûrement de grandes différences dans le classement des préoccupations, imperceptibles sur cette carte, entre les Bouches-du-Rhône et les Hautes-Alpes.

Au-delà de l'analyse séparée de chacune des quatre cartes, il est surtout intéressant de constater dans quel ordre chaque région classe ces quatre préoccupations. Or les classements sont extrêmement différenciés selon les régions. Cela signifie que les programmes politiques doivent apporter des réponses qui s'adaptent aux préoccupations des habitants selon les territoires. Ces cartes conduisent donc à un plaidoyer pour une décentralisation encore plus forte, car l'Etat ne peut apporter une réponse unique à des préoccupations plurielles et diversifiées dans leur hiérarchie. Mais il faut aussi se méfier de ces cartes qui ne donnent qu'une moyenne des préoccupations dans des méga-régions au sein desquelles il peut y avoir des différences. Dans les Pays de la Loire, par exemple, les inquiétudes de la Sarthe, proche de Paris, dont l’économie est en partie exogène, et de la Vendée, à économie essentiellement endogène, donc fondée sur de l’entrepreunariat local et de l’innovation, sont nécessairement différentes. L’échelle retenue dans ces quatre cartes masque ainsi des différences très importantes. Autre exemple, au sein de la Bretagne, les taux de chômage et donc la création d’emplois peuvent être ressentis fort différemment selon les habitants du pays de Vitré, où une bonne gouvernance territoriale[2] explique seulement 5% de taux de chômage, et d’autres territoires bretons davantage en difficulté économique.

Bruno Jeanbart : Le nord du pays et la région PACA se démarquent largement sur cette question, pour des raisons assez différentes. Dans le nord, la crise économique favorise le discours qui tend à faire un lien entre immigration et taux de chômage. C'est aussi une région où le nombre de pieds noirs est historiquement important. Dans les deux cas, il s'agit de régions frontalières qui sont forcément plus sensibles que les autres à ce sujet.


[1] Dumont, Gérard-François (direction), La France en villes, Paris, Armand Colin Sedes.


[2] Dumont, Gérard-François, Diagnostic et gouvernance des territoires, Paris, Armand Colin.

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