4 ans après le Brexit, le Royaume-Uni finira-t-il par quitter la CEDH ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Premier ministre Rishi Sunak a assuré mercredi 15 novembre qu'il ne « permettra pas » à la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) de « bloquer » le projet de son gouvernement d'expulser des demandeurs d'asile vers le Rwanda.
Le Premier ministre Rishi Sunak a assuré mercredi 15 novembre qu'il ne « permettra pas » à la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) de « bloquer » le projet de son gouvernement d'expulser des demandeurs d'asile vers le Rwanda.
©JUSTIN TALLIS / AFP

Remise en cause

D’aucuns, chez les conservateurs, envisagent désormais de quitter la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH).

Jean-Eric Schoettl

Jean-Eric Schoettl

Jean-Éric Schoettl est ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel entre 1997 et 2007. Il a publié La Démocratie au péril des prétoires aux éditions Gallimard, en 2022.

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Atlantico : Quatre ans après le Brexit, une nouvelle tentation semble travailler le Royaume-Uni. D’aucuns, chez les conservateurs, envisagent désormais de quitter la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH). Qu’est-ce que cela signifie, exactement ? Comment peut-on quitter la CEDH (tant sur le plan politique que sur le plan juridique) ?

Jean-Eric Schoettl : Pour se soustraire au contrôle de la CEDH, un pays doit dénoncer la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La Convention ne prévoit pas de possibilité de retrait partiel ou temporaire. La dénonciation de la convention est possible dans les conditions prévues par son article 58. Elle est relativement simple : il suffit d’un préavis de six mois mois auprès du Secrétaire général du Conseil de l’Europe.

Pour avoir une pleine portée en droit britannique, la dénonciation de la Convention devrait toutefois s’accompagner de l’abrogation de tout ou partie du Human Rights Act - HRA - de 1998, entré en vigueur le 2 octobre 2000. Il faut comprendre que, dans le système « dualiste » britannique, les traités n’ont pas d’effet direct dans l’ordre juridique interne. Ils doivent y être incorporés par une loi. En l’espèce, le HRA impose que les lois du Royaume-Uni soient conformes aux dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme. Il prévoit aussi que, si l'une des plus hautes juridictions du Royaume-Uni - Cour suprême, Cour d'Appel (Court of Appeal) et High Court - considère qu’une disposition de loi est incompatible avec un droit protégé par la Convention, elle dénonce cette incompatibilité au Parlement et au Gouvernement. Sans avoir l’effet radical et direct d’une annulation, cette déclaration d’incompatibilité a une force incitative non négligeable. A preuve : Parlement et Gouvernement britanniques ont jusqu’ici tiré, à terme plus ou moins rapproché, les conséquences des déclarations d’incompatibilité.

Qui plus est, en intégrant dans la Common Law les droits de la Convention, le Human Rights Act a imposé aux cours et tribunaux britanniques de « prendre en compte - must take into account - tous jugements, décisions ou avis de la Cour européenne des droits de l'homme, lorsqu'ils ont à juger une question qui concerne un droit protégé par la Convention, autant que, selon l'opinion de la cour ou du tribunal, cela est pertinent avec les procès dans lesquels cette question a été posée ». C’est dire que la jurisprudence de la CEDH lie le juge britannique en vertu du HRA. Pour rompre ce lien, il ne suffit pas de dénoncer la Convention.

Outre ses répercussions juridiques et psychologiques, la dénonciation de la Convention européenne des droits de l’homme par le Royaume-Uni aurait une conséquence politique importante pour lui :  devoir quitter aussi le Conseil de l’Europe (à ne pas confondre avec l’Union européenne).  L’adhésion à ce Conseil est en effet subordonnée à la ratification de la Convention. Un pays décidant de sortir de la Convention s’exclurait donc aussi du Conseil de l’Europe. Seules la Biélorussie et la Russie (depuis 2022) sont non membres du Conseil de l’Europe. Ce serait en quelque sorte un second Brexit. Le Royaume-Uni ne ferait plus partie ni de l’Union européenne, ni du Conseil de l’Europe. Il rejoindrait la Biélorussie et la Russie au banc des parias du Conseil de l’Europe. Il y aurait là de quoi rebuter une grande partie de l’opinion et de la classe politique britannique, y compris chez les conservateurs, alors surtout que les sondages font désormais entendre un regret collectif, peut-être majoritaire, par rapport au Brexit de 2016…

Si le Royaume-Uni quittait effectivement la CEDH, bénéficierait-il d’une plus grande marge de manœuvre pour mener la politique qu’il entend mener concernant, notamment l’accueil ou non des populations immigrées ?

Débarrassé des sujétions de la Convention européenne des droits de l’homme, du contrôle de la CEDH et de la jurisprudence de celle-ci, le Royaume-Uni ne serait pas pour autant libéré de ses autres engagements internationaux.

Il resterait notamment soumis à la Convention de Genève de 1951 (et à ses nombreux avenants ultérieurs) relative à l’asile et au statut des réfugiés.

Or c’est sur cette dernière convention que se sont principalement fondées la « Court of appeal », puis la Cour suprême (cette dernière le 15 novembre), pour déclarer non conforme l’accord, conclu avec le Rwanda en avril 2022 sous le gouvernement Johnson, de « partenariat migratoire et de développement économique ». Celui-ci prévoit d’ « externaliser » l’examen des demandes d’asile des migrants arrivés illégalement sur le sol britannique en envoyant les intéressés au Rwanda. La cour suprême a donné tort au gouvernement de Rishi Sunak en confirmant la décision de la cour d’appel, laquelle avait jugé que le Rwanda ne pouvait être regardé comme un « pays tiers sûr » au sens de la Convention de Genève et que son système d’asile était défaillant. 

La Cour suprême britannique vient en effet de déclarer le partenariat entre le Royaume-Uni et le Rwanda illégal. D’après Lord Sumption, ancien juge de la Cour suprême, il n’existe pas de législation susceptible de contraindre la Cour a penser autrement. Quels sont les obstacles qui se dressent entre le gouvernement britannique et l’exercice de sa politique, sur le plan du droit international ? 

Pour le Royaume-Uni, ces obstacles sont plus politiques que juridiques. Il pourrait certes dénoncer non seulement la Convention européenne des droits de l’homme, mais encore la Convention de Genève. Ses cours ne pourraient plus alors déclarer incompatible avec ces conventions la mise en oeuvre de l’accord avec le Rwanda. Leurs dispositions ne feraient plus partie du droit britannique. Mais sa classe politique et son opinion publique sont-ils prêts à sauter le pas ? C’est douteux dans les circonstances actuelles. On l’a dit plus haut à propos de la dénonciation de la Convention européenne des droits de l’homme. A fortiori s’il fallait dénoncer les deux.

Faut-il voir, dans le potentiel rejet de la CEDH par le Royaume-Uni, une certaine cohérence historique avec le Brexit ? Cela rend-il un tel phénomène plus plausible qu’on ne pourrait initialement le croire ?

Cela peut jouer dans les deux sens.

Beaucoup de Britanniques attachés à leur souveraineté nationale et aux prérogatives de leur Parlement n’ont pas initialement perçu que le Brexit ne les affranchissaient pas de la Convention européenne des droits de l’homme. Ils comprennent aujourd’hui que, tout sortis qu’ils soient de l’Union, leur pays reste assujetti à des jurisprudences de la Cour de Strasbourg qui ont pu les choquer (je pense notamment à la question du vote des prisonniers). Ils peuvent se sentir frustrés et considérer qu’il faut aller jusqu’au bout de la reconquête de leur souveraineté.

Inversement, larguer les amarres du droit humanitaire international répugnerait à la composante progressiste et libérale de la société britannique, que le Brexit a déjà traumatisée. Ajoutons que les perspectives électorales ne sont pas brillantes pour le parti conservateur et que la sensibilité de celui-ci n’est pas homogène en matière régalienne. On l’a vu avec le limogeage de la précédente titulaire du Home office, Suella Braverman, qui déclarait rêver de voir le premier avion de migrants s’envoler pour le Rwanda…

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