3 millions de chômeurs : jusqu'où la société française peut-elle tenir le choc ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le ministre du Travail, Michel Sapin, a indiqué mercredi que la France comptait désormais plus de 3 millions de chômeurs.
Le ministre du Travail, Michel Sapin, a indiqué mercredi que la France comptait désormais plus de 3 millions de chômeurs.
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Le pays comptait 23 900 chômeurs supplémentaires fin août, selon les chiffres publiés mercredi par le ministère du Travail. Système de retraite, allocations chômage et Etat providence... Le modèle social français peut-il y survivre ?

Michel Godet

Michel Godet

Michel Godet est économiste, professeur et membre de l'Académie des technologies.

Il est l'auteur de Le Courage du bon sens (Odile Jacob, 2009), Bonnes nouvelles des conspirateurs du futur (Odile Jacob, mars 2011), de La France des bonnes nouvelles (Odile Jacob, septembre 2012) et de Libérez l'emploi pour sauver les retraites (Odile Jacob, janvier 2014) Il anime également le site laprospective.fr.

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Atlantico : Le ministre du Travail, Michel Sapin, a indiqué mercredi que l'Hexagone comptait désormais plus de 3 millions de chômeurs (3 011 000 chômeurs). La barre qui vient d'être franchie est-elle symbolique ?

Michel Godet : Cette barre n'est pas plus symbolique que les précédentes...

Le chômage a été multiplié par six depuis les années 1970, puisqu'à l’époque, nous n'en étions qu'à 500 000 chômeurs, alors que le PIB a doublé depuis. Dans les années 1980, il était question de la barre des 1 million de chômeurs, puis dans les années 1990 de celle des 2 millions... Celle-ci est dépassée depuis longtemps, et pourtant il ne s'est rien passé.

Pourquoi ? Parce qu'en France, il y a un consensus sur le chômage entre les acteurs dominants du jeu social. Autrement dit, les chômeurs sont le maillon faible des rapports de force car ils ne forment pas un groupe de pression organisé capable de peser sur les choix. Or les politiques sont d'abord soucieux des rapports de force.

En 1994 le taux de chômage sur l'ensemble de la population active était pourtant supérieur à celui d'aujourd’hui. Il plafonnait à 12% contre 10% actuellement… Pourquoi penser que les choses changeront, puisque rien ou presque de structurel n'a été fait à l’époque… Excepté sous Balladur, où la baisse des charges a permis de relancer l'emploi peu qualifié. C'est parce que le coût du travail avec les charges est trop élevé que l'emploi en France a du mal a se développer. De ce point de vue, les coups de pouce successifs sur le Smic ont été destructeurs d'emplois, comme l'ont justement démontré les travaux de l'OCDE.

Dès lors, il ne s'agit pas de baisser le salaire minimum, mais de payer les individus en fonction de la valeur de leurs compétences, quitte à compenser le salaire minimum par une prime à l'emploi, afin d'assurer un revenu minimum.

Ce n'est pas aux entreprises d'assurer la redistribution sociale, mais c'est à la collectivité par la redistribution de l'impôt.

Combien de foyers français sont directement ou indirectement concernés par le chômage ?    

Tout dépend de la définition du chômage et de son périmètre. Si le chômage partiel est pris en compte, il y a près de 5 millions de personnes en sous-emploi en France.

C'est à la fois beaucoup et peu. Le taux d’emploi des 25-55 ans est de plus de 80%, le chômage est donc essentiellement concentré sur les jeunes sans qualifications souvent issus de quartiers défavorisés, sans oublier les seniors. C'est pour cela que je soutiens l'idée du contrat de génération, qui mérite d'être expérimentée, ne serait-ce que pour s'assurer qu'il n’y ait pas d'effets pervers.

Pensez-vous que le seuil d'explosion de la société française (celui qui remettrait notamment en cause les amortisseurs sociaux) est proche d'être atteint ?

Absolument pas, notamment parce qu'on achète le silence des chômeurs en les indemnisant, et parce qu'il y a des quartiers chez nous et des régions de certains pays où le taux de chômage moyen dépasse les 25%. Heureusement, les mécanismes de solidarité sociale et familiale jouent un rôle d'amortisseur.

N'est-ce pas prendre un raccourci que d'affirmer qu'il ne se passe rien, notamment au regard des réformes drastiques engagées… et des manifestations organisées un peu partout en Europe ?

Les mesures d'austérité en cours et à venir ne font que compenser des décennies de gabegie. Prenons l'exemple de la France en 2010 qui a connu à cette époque sa dernière année de croissance : l'emploi augmentait alors et le chômage régressait (1er semestre 2011). La France pensait encore pouvoir s'en sortir, mais personne ne s'était rendu compte que la croissance de 1,5% du PIB était alors artificielle, et qu'elle n’a été réalisée que grâce à 7% de PIB de déficit public.

On a donc créé une richesse avec de l'argent emprunté aux générations futures, et qu'il nous faut maintenant rembourser. Dorénavant, on ne pourra plus vivre sous la morphine de la dette.

Justement, la part des transferts sociaux dans les revenus des ménages n'a jamais été si forte, maintenant artificiellement la consommation. Cela suffit-il à justifier le fait que les Français n'ont, semble-t-il, pas tous pris conscience de l'ampleur de la crise ?

C’est aussi parce qu'on ne leur a pas dit ! Notamment quand en 2009 Madame Lagarde soutenait que la France disposait de meilleurs amortisseurs de crise que l'Allemagne. Notre voisin d'outre-Rhin s'est finalement payé une cure de 5% de régression du PIB. Or, il vaut mieux une bonne cure que de se droguer à la dette. Moralité, car tout se paye, il faudra travailler plus pour espérer ne pas gagner moins.

De plus, personne n'a souligné durant la campagne électorale qu'il fallait réduire la dépense publique et donc le nombre de fonctionnaires, mais aussi de baisser le coût du travail. Et pas seulement par le recours à un choc fiscal, mais aussi et surtout par l'allongement de la durée annuelle du temps de travail par habitant qui en France est une des plus faibles d'Europe.

Réduire le nombre de nombre de fonctionnaires ne veut pas dire abaisser la qualité des services publics, mais améliorer leur efficacité en s'attaquant à la mauvaise organisation des administrations et au gaspillage des dépenses d'intervention (agences d'État épinglées par la Cour des comptes). Dans La France des bonnes nouvelles, nous montrons que les crèches privées coûtent deux fois moins cher que les crèches publiques du fait de l'absentéisme. Appliqué à l'administration toute entière, cela nous donne une bonne idée du manque de capacité de gestion de l'Etat.

Un autre problème vient aussi du consensus autour du fait que l'Etat doit faire payer les riches. Résultat, les riches s'en vont. L'amusant de la chose, c'est qu'à force de faire fuir les riches, les politiques français réussissent de fait à réduire les inégalités dans la société. Au passage, on s’appauvrit aussi en termes de recettes fiscales. 1% des contribuables les plus riches payent 30% de l'impôt sur le revenu.

Ensuite, je regrette que l'équipe gouvernementale actuelle ne comprenne que trop peu de ministres issus du monde économique et qu'il ne soit composé presque exclusivement que d'anciens fonctionnaires. On comprend alors qu'il leur soit plus facile d'augmenter les impôts que de réduire la dépense publique. Ils ne s'attaquent donc pas directement à leur électorat, mais le font indirectement en désindexant les salaires de la fonction publique, ainsi que les pensions des retraités.

Le gouvernement pilote trop à vue, c'est la panique à bord. Il n'a pas compris que ce sont les activités qui créent les richesses et donc l'emploi. Et qu'il faut donc libérer les initiatives, notamment dans les petites entreprises (96% des entreprises sont des entreprises de moins de 20 personnes, elles représentent 40% de l'emploi marchand total et 60% d'entre elles sont des solos qui ne font pas le saut de la première embauche en raison des freins à l'emploi). Il faudrait au contraire lubrifier l'économie en ouvrant la concurrence à certains secteurs fermés ou réglementés comme le suggérait le rapport Attali.

Baisse de l'investissement des entreprises et purge encore plus forte pour les investissements des administrations publiques… Est-ce le prix à payer si la France s'entête dans ses travers économiques ?

L'excédent brut d'exploitation est de 28% en France, notamment parce que la répartition de la valeur ajoutée va beaucoup trop au salaire, au détriment de l’investissement. En Allemagne, il est de 40%. L’investissement en France est étouffé.

Gardez un chiffre en tête : la dépense publique française est de 56% du PIB, là où en Allemagne elle est de 46%. Et pourtant, en 1980 les courbes étaient inversées. La France plafonnait à 40% du PIB, alors que l'Allemagne en était à 42%.

Est-il possible de réduire drastiquement le chômage en France malgré la crise ?

Oui, l'Allemagne est à 6% de chômeurs, les Pays-Bas à 5%, la Flandre belge à 4% alors que la crise mondiale est la même popur tous. En France même, il y a des territoires et des bassins de vie, comme la Vendée, le Cantal, l'Ain où le taux de chômage est aussi de 5 à 6%.

Mais pour parvenir à ces résultats dans l'ensemble du pays, il faudrait cesser de lutter contre le chômage d'en haut, et organiser la contagion des initiatives qui réussissent dans la France d'en bas. C'est bien cette mutualisation des bonnes pratiques que j'appelle de mes voeux dans La France des bonnes nouvelles. Il est possible de remettre en emploi marchand les milliers de personnes considérées comme inemployables par Pôle emploi. C'est ce que fait depuis des années Pierre Choux avec son entreprise d'insertion présente dans 21 départements.

Dans ces conditions, quels sont les grands leviers à actionner pour résorber le taux de chômage en France ?

Tout d'abord, abaisser le coût du travail.Autrement dit, opérer un choc fiscal en transférant les charges qui pèsent sur le travail au niveau de l'impôt, de préférence sur la TVA qui pénalise aussi les importations, plutôt que sur la CSG qui fait baisser le pouvoir d'achat.

Et aussi cesser de subventionner le non travail, notamment avec les 35 heures. En quelques mots, il faut accepter qu'il va nous falloir travailler plus pour espérer ne pas gagner moins. Il faut lever ce tabou si nous voulons renouer avec la compétitivité.

Inciter rapidement au retour rapide à l'emploi, car tous les exemples européens le montrent : le retour à l’emploi est d’autant plus rapide que les indemnités sont dégressives et limitées dans le temps. En France, un cadre peut toucher jusqu'à 5 800 euros d'indemnités et croit à tort qu'il a le temps de voir venir. Il commet pourtant une grosse erreur, car au-delà de quelques mois de chômage, il y a un marqueur qui colle à la peau et pénalise le retour à l'emploi.

Enfin encourager la croissance et l'innovation. Il est important de noter que la démographie (premier ressort) n’étant plus au rendez-vous en Europe pour des raisons de vieillissement, le seul vecteur de croissance restant est l'exportation vers les marchés émergents, sous réserve d'être compétitif et innovant, ce que la France n'est pas…  Autant dire que la croissance dans l'Hexagone ne repartira pas durablement avant longtemps (les réformes structurelles prennent forcément du temps).

Un dernier point : fluidifier le marché du travail. Autrement dit, rendre l'embauche et la débauche plus simples. Cette question de flexibilité avec des parcours professionnels sécurisés est d'actualité. Pourquoi ne pas s'inspirer de la Suède socio-démocrate qui au nom de l'égalité de traitement des citoyens a instauré un contrat à durée indéterminée pour tous. Et du même coup supprimé le statut de fonctionnaire. 

Pour finir sur une dernière note d'espoir, n’oublions pas que le mal est en nous, mais les solutions aussi !

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