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Après le Covid-19, la guerre en Ukraine "pirate" la campagne électorale.
Après le Covid-19, la guerre en Ukraine "pirate" la campagne électorale.
©SAMEER AL-DOUMY / AFP

Quand rien n’accroche

La guerre en Ukraine donnera certainement l’impression qu’après le Covid, c’est au tour de la situation internationale de « pirater » la campagne électorale. Mais le défaut d’intérêt et le flou politique qui nimbent largement les débats sont-ils vraiment uniquement le fruit de circonstances extraordinaires extérieures ?

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico : La guerre en Ukraine donnera certainement l’impression qu’après le Covid, c’est au tour de la situation internationale de « pirater » la campagne électorale. Dans quelle mesure le défaut d’intérêt et le flou politique qui nimbent largement les débats sont-ils le fruit de ces circonstances extraordinaires extérieures ?

Arnaud Benedetti : L’escamotage de la campagne présidentielle ne fera à terme que renforcer la crise de confiance dans les institutions républicaines. La réalité dans le moment, c’est que cette situation sert immédiatement les intérêts électoraux d’Emmanuel Macron. La guerre en Ukraine installe une réalité qui s’impose par sa brutalité, son caractère inattendu, sa vocation par nature imprévisible. L’événement par sa force intrinsèque marginalise ou « périphérise » l’élection présidentielle. Le phénomène renforce des processus de retrait civique que la crise sanitaire avait accentué mais qui prennent leurs racines dans ladéfiance dont le système représentatif est l’objet depuis de nombreuses années. L’exceptionnalité des événements démonétise l’arène démocratique qui est une arène qui marche à plein régime en situation de paix.

Des lors, le macronisme pourrait bénéficier de la démobilisation citoyenne et du désenchantement républicain. Il trouve dans ce terreau la force électorale qui potentiellement lui permettrait de vaincre par une forme de renoncement général d’une grande majorité de nos concitoyens à faire valoir leur droit de regard démocratique. L’essoufflement participatif qui caractérise les rites électoraux renforce le seul camp qui trouverait intérêt à voter : la sociologie des marcheurs et de ses alliés. La guerre en Ukraine installe ainsiEmmanuel Macron mécaniquementdans une position optimale, validant son choix tactique à peine voilée de limiter sa campagne au minimum minimorum. Il était parvenu, crise sanitaire aidant entre autres, mais situation ukrainienne également, à enjamber le premier tour, dévitalisant la campagne par son absence d’officialisation de sa candidature. Si la conflictualité russo-ukrainienne perdure, il trouverait ainsi une pente possible à sa réélection. Dans tous les cas il va jouer cette partition de naturalisation de l’élection à son profit, escomptant sur le fameux « effet drapeau » qu’aime à évoquer les politistes. Après, rien n’est jamais certain…

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Quelle part de ce désintérêt est aussi liée à un sentiment plus fondamental de détachement vis-à-vis de la vie démocratique et politique ?

La crise de confiance dans la démocratie est plus forte en France qu’ailleurs en Europe. Les baromètres qui mesurent l’attachement des différentes sociétés européennes à leurs institutions politiques montrent que c’est en France que la désaffiliation est aujourd’hui la plus intense et en conséquence la plus inquiétante. Pourquoi ? Parce que nous sommes le pays où les attentes dans le politique au travers de l’Etat sont sans doute historiquement les plus enracinées. Les exigences de la globalisation ont fragilisé le modèle républicain, ont dévalorisé sa promesse, ont écorné ses valeurs profondes. L’abstention est le résultat le plus visible de cette crise, et au regard du contexte évoqué plus haut elle pourrait atteindre un record historique pour une élection présidentielle. Nombre de Français aujourd’hui expriment un pessimisme quant à l’avenir de leurs enfants qui rompt avec cette idée qui soutint l’adhésion républicaine durant des décennies selon laquelle les générations futures progresseraient sur l’échelle sociale. L’ascenseur social dont Jacques Chirac avait justement diagnostiqué la panne en 1995 n’a pas redémarré. Ce « no-future »est à la source du grand malaise politique français et le risque d’occultation de la présidentielle à venir ne fera, encore une fois, que le renforcer, accroissant les ressentiments et les perceptions de dépossession comme de déclassement. Le succès du « bloc élitaire » analysé par Jérôme Sainte-Marie, même s’il se reproduisait, se transformera très vite en une victoire à la Pyrrhus.

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Le casting et les thématiques abordées lors de cette campagne peuvent-ils également expliquer le peu d’intérêt des Français ?

L’offre est évidemment un enjeu, mais la perte de foi dans la politique vient de loin, comme je l’ai dit. Au moins la présidentielle bénéficiait d’une force d’attractivité médiatique que des événements comme la crise sanitaire ou ukrainienne désormais sont venus émousser, ramenant l’élection à venir à un rite si ce n’est obsolète mais à tout le moins de moindre intérêt. La perte d’intérêt pour la politique dans sa fonction critique et délibérative est une fenêtre d’opportunité pour le nouveau saint-simonisme que constitue le macronisme. A cela s’ajoute un autre facteur qui est le déclassement intellectuel de la classe politique qui n’attire plus forcément sur ses crêtes l’excellence ou le charismedes profils. Au demeurant, se font le plus entendre durant cette campagne eux qui ont des discours différenciants, clivants, et plutôt inspirés par une culture historico-littéraire à l’image de Jean-Luc Mélenchon et d’Eric Zemmour.

Risque-t-on d’avoir une (non)-campagne dans laquelle aucun sujet d'importance n’aura accroché et tenu ?

La campagne a été hackée par l’usage que le sortant anotamment fait de la crise sanitaire qui lui a permis ainsi d’accréditer l’idée qu’il était rivé à sa tâche, pendant que ses concurrents s’usaient dans la controverse permanente. Tout au moins s’agit-il de la représentation que la stratégie macroniste entendait générer. Cet affaissementdu moment démocratique par excellence trouve encore une fois et naturellement dans la guerre en Ukraine un motif supplémentaire de justification médiatique. Quand la guerre et la paix sont en jeu, tout s’efface.

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