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2021, l’année que nous commençons tous déprimés... mais au fait, dans quel état psychologique étaient les Français en 1941 ?
©Stefano RELLANDINI / AFP

Période sombre

Le passage de 2020 à 2021 n'a pas été des plus joyeux, du fait de la crise sanitaire et économique. Mais comment les Français ont-ils réagi lors d'autres périodes sombres de l'Histoire, lors desquelles il était difficile de distinguer la lumière au bout du tunnel ?

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : La fin d’année a été marquée par le bas moral des français, plombé par la crise sanitaire. Au début de l’épidémie Emmanuel Macron avait martelé « nous sommes en guerre ».  Le moral des Français était-il aussi bas pendant les précédents conflits, en particulier en 1915-16 ou 1941-1942, lors des guerres mondiales ?

Edouard Husson : Emmanuel Macron est né en 1977, une génération après la Seconde Guerre mondiale. De plus, Jacques Chirac a supprimé le service militaire. Cet homme n'a donc aucune idée de la chose militaire. Sinon, il se serait évité le ridicule de proclamer, face à une épidémie de basse intensité : "Nous sommes en guerre". Vous remarquerez d'ailleurs qu'il a progressivement relégué cette rhétorique au second plan. Il n'empêche, ce faisant, il a contribué à plomber le moral des Français. En fait, les plus âgés des Français d'aujourd'hui sont les derniers à avoir connu les années de la Seconde Guerre mondiale. Ils ont moins adhéré à la rhétorique martiale du Président qu'à la réalité d'une épidémie dangereuse au-dessus de 70 ans. La gestion de l'épidémie dans les maisons de retraite a été particulièrement désastreuse, beaucoup de personnes âgées ont été coupées de leurs familles. Pour les générations plus jeunes, il faut distinguer selon la classe sociale. Le premier confinement a été vécu comme assez agréable par tous ceux qui appartiennent à ce qu'on appelle les "possesseurs d'ordinateurs portables". Pour les autres, cela a été un moment d'enfermement et d'éloignement des collègues de travail ou, dans le cas des étudiants, des campus. Le soutien du gouvernement a permis aux commerces, aux restaurants, aux hôtels, de passer le premier confinement à peu près sans encombre. Les choses se gâtent avec la deuxième séquence, couvre-feu puis confinement. La rhétorique martiale a disparu du discours du président; ce dernier ne cherche même plus à jouer un rôle.

Je ne crois pas, au regard de ce tableau, que l'on puisse comparer cette situation à celle des conflits mondiaux. pendant la Première Guerre mondiale, l'effort tout entier du pays était tendu vers le fait de repousser l'envahisseur. Et ce serait une insulte, malgré leurs nombreuses erreurs, de comparer les généraux de 1916 aux petits bureaucrates que l'on voit régulièrement occuper nos écrans. Il faut se méfier de l'exagération rhétorique, par conséquent, du fait aussi que les élites mondialisées surjouent le risque du COVID 19, ont, un peu comme Macron et son moment guerrier, eu l'impression d'avoir leur "peste noire". On a eu une surréaction par rapport à la gravité réelle de l'épidémie; une tendance à gonfler les chiffres, ensuite, pour rester dans le récit (la plupart des victimes du COVID 19 recensées sont en fait des gens qui sont morts avec le COVID). Tout cela aura contribué à l'atmosphère très curieuse de dépossession de la décision politique et donc de dépression collective qui caractérise nos démocraties occidentales.

A-t-on, au fil du XXème siècle, perdu l’habitude des situations graves ? Se peut-il que l’on réagisse moins bien, plus fortement, individuellement et collectivement, qu’à des périodes plus graves de notre histoire ?

Je pense que les gens, spontanément, ont bien réagi. Nous avons d'ailleurs un laboratoire: la ville de Marseille, qui a eu la chance de disposer de l'IHU Méditerranée-Infection. Cela restera sans doute un modèle, quand la poussière sera retombée: maximum de tests, mortalité minimale, pédagogie vis-à-vis des patients. Si l'on avait laissé faire le corps social, les gens seraient allés naturellement vers leurs médecins de ville; diverses thérapies, à base d'antibiotiques en particulier, auraient été mises au point par tâtonnement. Les cas vraiment graves auraient pu être traités avec sérénité. Au lieu de cela, l'administration de la santé et des politiques bêtement imitateurs des mots d'ordre successifs et contradictoires de l'OMS ont voulu substituer leur organisation au fonctionnement naturel du corps social. Ils ont projeté leurs propres peurs sur la population, faisant monter le sentiment d'angoisse. La société a progressivement été plongée dans une sorte d'infantilisation permanente. Cela n'était pas écrit d'avance. Vous le voyez très bien aux USA, où nous avons eu tout au long de l'année un laboratoire: les gouverneurs démocrates se sont comportés, en gros, comme Emmanuel Macron; alors que les gouverneurs républicains ont fait confiance, dès qu'ils ont pu, à la société et à sa capacité à faire redémarrer l'économie.  Le premier problème de notre temps est celui des élites, sans doute comparables aux périodes de décadence, de ramollissement des empires décadents . Une part suffisamment importante de la société ne nage pas dans l'opulence, cependant; et sait s'adapter avec réalisme à la situation.  

Le Time a déclaré 2020 « pire année de l’histoire », si la comparaison semble difficilement tenir la route factuellement, est-il possible que cette année soit réellement ressentie comme telle, devant des périodes de guerre ?

En l'occurrence, le "Time" révèle surtout l'effondrement de ce qui fut un des fleurons médiatiques mondiaux. Ce sont les mêmes qui font d'Assa Traoré une héroïne. Ils ont perdu leur boussole. Il est beaucoup plus intéressant de suivre les réseaux sociaux, pour comprendre la perception large de ce qui se passe. Ce qui l'emportera rapidement, c'est le sentiment très marqué d'une perte de liberté sous l'effet de mesures sanitaires arbitraires... et inefficaces. Ce qui va caractériser les prochains mois, c'est le débat autour du vaccin obligatoire, de la pérennisation de l'état d'urgence, etc.  Nous sommes déjà dans l'après-COVID, dans un débat sur l'avenir de la démocratie. 

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