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2016, l’explosion des fake news… qui ne doit pas nous faire oublier les informations biaisées présentes dans tous les médias "sérieux"
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On est tous le propagandiste de quelqu'un...

Même si les fake news sont omniprésentes à l'ère de l'information sur les réseaux sociaux, il ne faut pas pour autant oublier les travers des médias traditionnels. Ces derniers se révèlent ainsi souvent dans l'incapacité de penser contre eux-même et sont régulièrement les inconscientes victimes d'idéologies sous-jacentes.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Romain Mielcarek

Romain Mielcarek

Romain Mielcarek est journaliste indépendant, spécialiste des questions de défense et de relations internationales. Docteur en sciences de l'information et de la communication, il étudie les stratégies d'influence militaires dans les conflits.

 

Il anime le site Guerres et Influences (http://www.guerres-influences.com). Il est l'auteur de "Marchands d'armes, Enquête sur un business français", publié aux éditions Tallandier.

 
 
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Atlantico : Plusieurs articles de la presse américaine ont attribué aux services russes un rôle-clé dans la dissémination de fausses informations sur les réseaux sociaux pendant l'élection présidentielle américaine (lire ici en anglais). En guise de réponse, un membre du parti démocrate allemand a récemment proposé une loi qui, si elle était adoptée, obligerait les entreprises comme Facebook à mieux les identifier. Pour autant, beaucoup de choses qu'on lit ou entend dans les médias traditionnels adoptent parfois des points de vue biaisés de la réalité. Comment selon vous cette propagande inconsciente des médias se matérialise-t-elle en France ?

Romain Mielcarek :La "propagande inconsciente", ça n'existe pas. La propagande est un acte politique volontaire et réfléchi. On peut y participer parce qu'on croit à ces idées. Des individus ou des organismes peuvent aussi se retrouver à relayer cette propagande de bonne foi et sont alors eux aussi des victimes de la manipulation que représente la propagande. Vous évoquez ici deux situations bien différentes. Si les services de renseignement russes ont disséminé des informations pour influencer l'élection américaine, il s'agit de ce que l'on appelle une "opération d'information" ou une "opération psychologique". Il s'agit de pousser une audience cible, grâce à une information ou un message, à adopter un comportement ou une attitude spécifique. Par exemple, si l'on souhaite faire élire Trump contre Clinton, on va chercher à pousser la population américaine à se méfier de Clinton. Pour cela, on va pouvoir révéler des informations sur les relations entre l'une de ses conseillères et le pouvoir saoudien. Si cette information est fausse, c'est une action de "désinformation". Si cette information est vraie, c'est une action de "propagande". Si le message vient des médias publics russes et sort de la bouche d'un diplomate, par exemple, il s'agit de propagande ou de désinformation "blanche" : on connaît l'émetteur. Si le message vient d'une source inconnue, à travers les réseaux sociaux par exemple, on parlera de propagande ou de désinformation "noire" : on ne connaît pas l'émetteur.

Les accusations concernant une influence russe dans l'élection américaine sont elles vraies ? Moi, je ne sais pas. Ce que je sais, c'est que les services de renseignement américains le disent. Je sais également que l'Union européenne et plusieurs services de renseignement européens, dont les Français, ont exprimé des inquiétudes similaires ces derniers mois.

L'autre sujet que vous évoquez est celui d'un éventuel biais dans les médias. Je ne sais pas ce que sont les "médias traditionnels" et je ne vois pas ce qui permet d'affirmer que leurs points de vue sont plus "biaisés" que ceux des autres. Entre Arte, BFMTV, France 2, Libération, Le Monde Diplomatique, France Inter, RMC, Mediapart... Il me semble qu'il y a suffisamment de diversité d'opinion et d'information pour que l'on puisse avoir un panorama assez large. Il y a bien souvent des points de vue caricaturaux infligés par des personnes, journalistes ou citoyens, pour réduire la pensée et le contenu informationnel. Prenons un exemple : les insurgés syriens sont-ils des terroristes djihadistes ou des rebelles démocrates ? On trouve facilement tout un tas de débats vides de sens entre des partisans de l'une ou l'autre thèse. Pourtant, en cherchant un tout petit peu, on trouve un monceau d'enquêtes, d'études, de reportages précis sur le sujet. Il n'est pas difficile de découvrir qu'il existe une multitude de groupes armés combattant en Syrie, certains étant djihadistes, d'autres non, certains étant ouverts à la démocratie, d'autres non. Dire que les rebelles syriens sont des terroristes ou qu'ils sont des démocrates n'est pas un fait. C'est une opinion. Des médias défendent les deux hypothèses. Sont-ils biaisés ? Peut-être. Ils sont en tout cas convaincus. Ils croient à cette hypothèse. Qui est en réalité indémontrable : les faits montrent bien qu'il n'y a pas de réponse manichéenne à cette question et que la multitude d'acteurs présents dans cette guerre a des motivations, des convictions et des méthodes très différentes.

Qu'en est-il des sujets d'ordre économique, notamment sur le libre-échange ? Sur quelles idéologies se basent-elles le plus souvent ?

Christophe Bouillaud :Il n’est pas très difficile de constater que l’immense majorité des journalistes qui traitent des sujets économiques en France et ailleurs en Europe adoptent une vision platement néo-libérale des sujets économiques. Cette tendance se nourrit d’abord de la formation reçue dans les universités et parfois dans les écoles de journalisme, et ensuite d’un certain conformisme institutionnel des journalistes. Ces derniers tendent à répéter ce que leur affirment les autorités auprès desquels ils s’informent. Le correspondant permanent de France Inter auprès des institutions européennes quand il parle d’économie européenne constitue un bon exemple de ce conformisme au demeurant sans doute bien intentionné. Il ne s’agit donc pas tant d’idéologie – au sens d’un choix conscient et affirmé pour une option politique – que d’une suite de mécanismes de pensée induits par un environnement où les mêmes banalités sont répétées jusqu’à devenir des évidences. Par exemple, la confusion entre le budget d’un ménage et celui d’un Etat – qu’on retrouve aussi chez de nombreux politiciens de droite comme de gauche – finit par être devenue une évidence à force d’être répétée. Ces visions erronées sont cependant moins présentes dans les pages des meilleurs journaux économiques du continent, comme le Financial Times par exemple. L'une des vraies difficultés pour avoir une information correcte en la matière réside sans doute dans la disparition des journalistes formés par la pratique sur un sujet particulier et réfléchissant par eux-mêmes. La mort du "rubricard" à l’ancienne formé sur le tas constitue sans doute l’un des drames inaperçus de l’information contemporaine.

Sur le libre-échange, les médias les plus diffusés ont eu tendance dans leurs rubriques économiques à ne souligner que les aspects positifs de ce dernier. L’oubli des aspects négatifs a été lié à une vision optimiste des choses inspirée par une vision tout à fait classique de l’échange international : les gains sont censés être tels que de toute façon il y aura toujours de quoi indemniser les perdants éventuels de ces échanges accrus qui font beaucoup d’heureux et peu de malheureux. C’est exactement le discours de justification du CETA, le traité de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne. Cette vision classique s’avère largement fausse : il y a plus de perdants que prévu, et des gains moindres que prévu.

A propos du multiculturalisme, mais aussi de l'Europe et de l'immigration, certaines idées peuvent-elles être qualifiées de propagande inconsciente ?

Guylain Chevrier : Absolument. C’est le cas, par exemple, lorsque l’on défend le respect des différences comme principe premier des droits des individus, convaincu ainsi de promouvoir un grand principe humaniste unificateur. On en voit bien le résultat inverse à travers la montée des affirmations identitaires chez une partie des musulmans de France, refusant le mélange au-delà de la communauté de croyance, avec des groupes de pression qui ne cessent de demander des aménagements de la règle commune selon leur religion, en poussant dans le sens d’une séparation. Ce qui gagne, c’est la division, le retour des tribus avec le communautarisme qui enferme les individus dans une logique d’emprise, les privant de leurs droits et libertés individuels au nom de l’intérêt de la communauté. Faire société dépend avant tout de ce que l’on met en commun pour vivre ensemble, des droits et des devoirs interchangeables entre les citoyens, de la garantie de leur autonomie de choix. Une fois cela acquis, les différences peuvent librement fructifier et coexister.

On voit quelque chose de similaire derrière l’idée que les migrants, en raison des motifs qui les poussent vers l’Europe à fuir des conflits, des guerres et la misère, chercheraient une liberté qui les ferait trouver leur place naturellement dans les sociétés démocratiques, ce qui devrait justifier d’ouvrir en grand les frontières. Il n’y a rien de plus faux. Car en réalité, ces migrants viennent souvent de pays qui ne connaissent ni la démocratie ni la liberté, et sont ancrés dans des traditions très conservatrices et la domination religieuse, ce qui n’est pas sans conséquence sur les valeurs qu’ils ont intériorisées, très éloignées des nôtres. Il ne sera donc pas si facile pour eux de s’intégrer socialement, ce qui nécessite de penser une politique d’intégration, de préserver des équilibres dans les populations susceptibles de les accueillir et donc, de contrôler et limiter leur venue. Il en va aussi de la prise en compte du risque de radicalisation.

Si l'implication des réseaux sociaux dans cette lutte contre les fausses informations relève d'une solution de court terme, en quoi pourrait-il être utile de mieux armer les citoyens, notamment par l'éducation et l'esprit critique ?

Romain Mielcarek : Cette solution relève effectivement de la police de la pensée et de la censure. Elle ne peut jouer qu'à court terme et risque vite de s'avérer assez négative. Les entreprises gérant les réseaux sociaux vont désigner quels médias sont fiables ou non ? En fonction de quels critères ? Il existe aujourd'hui de nombreux guides et tutoriaux pour se sensibiliser à une meilleure consommation de l'information. Je crois qu'un bon point de départ, ce serait de faire un peu plus preuve de modestie. Je travaille 15 heures par jour et je passe mon temps à dire que je ne sais pas grand-chose. Et je suis toujours sidéré de croiser un peu partout des tas de gens assénant leurs opinions et leurs croyances comme si elles avaient été démontrées par le simple fait de les affirmer avec autorité. Certaines écoles ont commencé à sensibiliser les enfants aux bonnes techniques de recherche d'information. Tout est  en réalité juste là, à disposition. La France est pleine de bibliothèques. Il y a sur la Toile de nombreux blogs, journalistes, chercheurs, qui partagent une information de qualité, avec beaucoup de modestie. Il y a des tas de conférences dans les grandes villes, souvent filmées et retransmises en ligne. Il est toujours étonnant de voir le nombre de gens qui se plaignent de l'information que leur propose BFM. N'ont ils pas compris comment utiliser leur zappette pour aller sur Arte, France 24 ou ailleurs ? La vraie question est : sommes-nous prêts à douter de nos propre convictions ? Souhaitons-nous avoir raison... ou savoir ? Il est urgent d'apprendre à s'écouter et à dialoguer, sans juger en permanence les avis d'autrui en brandissant de gros mots comme propagande ou manipulation, souvent dans des cas et des situations qui n'ont pas grand-chose à voir avec ces notions.

Christophe Bouillaud : Cette idée d’accroître l’éducation et l’esprit critique est aussi vieille que celle de la montée en puissance du suffrage universel et des masses dans la vie politique des nations européennes. Le compromis républicain des années 1880, c’est déjà l’idée de lier l’exercice libre du suffrage universel (masculin) à l’instruction généralisée du citoyen via l’école primaire. La presse libre de toute censure préalable était censée être lue par des lecteurs plus éduqués, donc plus rationnels, qu’à la fin du XVIIIème siècle. Comme l’histoire des passions françaises l’a montré par la suite, il n’est pas sûr que ce modèle de modération par l’éducation ait toujours bien fonctionné. Malgré l’élévation globale du niveau d’éducation des citoyens depuis un siècle, il est de fait frappant de retrouver les mêmes capacités de manipulation de l’opinion. J’ai bien peur que la plupart de nos concitoyens n’aient guère de temps à consacrer à rendre leur vision du monde plus rationnelle – bien moins en tout cas que celui que peuvent leur consacrer les manipulateurs de tout acabit.

Du coup, je suggérerais plutôt que l’on essaye de développer des forums où la vérité puisse être mise en discussion avec des preuves. Le plus important de ces forums devrait être à mon sens la justice. Face à toutes ces fausses informations, ceux qui en sont victimes – ou qui se disent l’être – devraient agir à chaque fois en justice. Toute personne publique diffamée qui n’agit pas en justice – ou se contente d’annoncer qu’elle va le faire sans aller jusqu’à porter plainte vraiment - accrédite en effet la vérité de l’accusation portée contre elle. Le procès en diffamation me parait un bon moyen d’éclaircir les choses. Il faudrait aussi que celui qui perd un tel procès soit vu ensuite comme quelqu’un de peu fiable en général. Le célèbre procès Kravtchenko de 1949, qui constitua en France un grand moment de délégitimation de la parole communiste, me paraît un exemple à suivre. C’est d’ailleurs la vieille idée de Machiavel que la cité libre se régule par des accusations publiques jugées tout aussi publiquement dans des formes réglées par le droit. 

Guylain Chevrier : Les réseaux sociaux sont des spécialistes pour faire d’une idée fausse un fait vrai, en la diffusant massivement à travers de nombreux relais qui lui procurent son statut d’information vraie. Ce qui alimente, entre autres, la théorie du complot. Nous sommes passés avec Internet du journal intime à Facebook, avec un sentiment plus ou moins illusoire d’appropriation commune, et par déduction, une confiance parfois aveugle dans tout ce que l’on y trouve. C’est un véritable changement de culture. La facilité d’accès à des connaissances formatées, à un prêt-à-porter des idées, tend à remplacer une nécessaire problématisation des savoirs. C’est le travers d’une encyclopédie en ligne comme Wikipédia qui, si elle peut rendre des services, laisse penser donner réponse à tout à travers une seule source, ce qui est à terme dangereux pour le libre arbitre de chacun, avec un recul de la pensée spéculative et scientifique.

La seule façon de remédier à cette tendance, c’est de proposer pour un même sujet différents points de vue, en développant ainsi l’esprit critique par le contradictoire. Les grands médias ne donnent pas l’exemple, jouant sur l’émotion bien plus que la restitution des faits, sous l’injonction de l’audimat mais aussi des idées dominantes. Regardez le cas de la Syrie, on oppose à l’armée de Bachar el-Assad et à son allié, la Russie, l’image d’une "opposition démocratique" qui serait victime d’une violence aveugle à Alep, sous la dénomination de "rebelles". Pourtant, les choses sont bien plus complexes, tout journaliste digne de ce nom sachant parfaitement qu’il s’agit derrière cette appellation à connotation positive, essentiellement de djihadistes patentés du Font Al-Nostra lié à Al-Qaïda, rebaptisé depuis peu le "Front Fath al-Sham" pour donner le change. Pourquoi ? Parce qu’ils sont des alliés de circonstance des Occidentaux contre l’autre camp. On voit là toute la confusion entretenue à travers cette orientation à dessein de l’opinion. Une situation qui participe de la crise profonde de notre démocratie.

Dans quelle mesure le traitement très rapide de l'actualité est-il susceptible de modifier la perception des messages sous-jacents inhérents à tout type de traitement d'information ? Peut-on croire qu'il permet plus facilement de faire passer des propos devenus difficiles à démentir ?

Pascal Engel : Tout traitement d'information - même quand il ne s'agit que de pommes, de poires et de patates - dépend de principes simples : dire le vrai, véhiculer le maximum d'information, être pertinent (ne pas en dire trop, s'adapter au contexte : trop de paroles tue l'information, trop peu la rend douteuse). Il y a aussi un autre principe : toute information comprend du bruit, elle ne passe jamais telle quelle. Il y a mille manières d'en dévier, et de faire passer des messages, explicites ou implicites, dont certains visent à influencer les récepteurs. Cela demande de la part de ceux qui informent beaucoup de sens de l'économie et de l'efficacité du message, et de la part de ceux qui l'entendent ou la lisent une grande vigilance. En contexte médiatique, il faut aller très vite, et le risque est grand de donner trop d'importance à ce qui n'en a pas, et surtout  de céder aux rumeurs. Nous sommes bombardés d'informations, et faire le tri est difficile. Encore plus difficile d'avoir des filtres, des moyens de juger et de critiquer. Bref, tout est fait pour que nous croyions n'importe quoi. Il y a des limites, du moins en principe. Mais la puissance de répétition médiatique est presque irrésistible. Dans le journalisme, la règle est simple : donner des informations fiables, que le public est supposé être capable d'évaluer. Mais à l'un ou l'autre bout de la chaîne, les choses peuvent aller mal, tout simplement parce que les systèmes cognitifs humains ne peuvent plus traiter de grands nombres de flux. Mais dans l'information pratiquée la plupart du temps, le problème est celui des biais de croyance : nous tendons à croire ce qui renforce nos opinions plutôt que ce qui les affaiblit ou les infirme, et nous tendons aussi à croire ce qui renforce notre opinion partagée au sein de nos communautés sociales. Une véritable réception de l'information suppose au contraire la capacité à former son opinion éventuellement contre celle des autres, à critiquer et à juger par nous-mêmes. Cela demande toute une éducation. Ni l'école ni les médias ne la donnent. Nous courrons donc de grands risques.

Le concept de post-vérité a beaucoup été abordé en 2016 et dénonce notamment l'emprise de l'émotion sur le factuel. Comment influence-t-il la perception et le traitement de l'information ? Quels sont les moyens éventuels pour s'en protéger et garder une certaine dose de pragmatisme ?

Pascal Engel : Le concept de post-vérité ne date pas d'hier. Il a été forgé dans le cadre du post-modernisme depuis les années 1970, qui jette le discrédit sur des notions comme celles de vérité, de preuve et de raison. Ce sont des philosophes et des intellectuels qui ont forgé ce concept, mettant en doute les valeurs et les normes de la rationalité. Mais ces constructions intellectuelles ont été rejointes par la réalité : l'univers d'Internet a décuplé la possibilité de mentir de manière éhontée, de raconter n'importe quoi sans que l'on puisse contrôler les sources. Cette dérégulation de l'information et des procédure usuelles de vérification des faits a rendu les manipulations de plus en plus aisées. Le discours politique, qui vise traditionnellement à persuader plus qu'à convaincre, à séduire plus qu'à permettre la critique, en a tiré profit. La notion de "post-vérité" recouvre bien des phénomènes qu'il faut analyser plus avant, mais elle correspond bien à une perception juste d'un déni de plus en plus grand des faits, d'une capacité à produire de l'information sans contrôle. La nouveauté, c'est que les menteurs non seulement tiennent le haut du pavé mais ne s'en cachent plus et se revendiquent menteurs, comme Hugo Chavez il y a quelques années, et Donald Trump à présent. Ces phénomènes ne sont pas de simples cas de mensonge ou de tromperie. Ce sont des situations de mensonge systématique, avoué et applaudi. L'affaire Dreyfus, les propagandes de Mussolini, de Goebbels, de Staline, produisaient du mensonge d'Etat, et ont été analysées admirablement par George Orwell, Victor Klempener et d'autres. Il nous faut à présent reprendre le flambeau de ces critiques puissantes des langages fascistes et nazis, et adapter nos critiques à celui de l'âge des médias de masse, qui peuvent faire bien plus que ce que Goebbels avait imaginé, et produire une sorte de quintessence du fascisme : aveuglement de masse et autoritarisme. L'information dans le monde d'Internet est comme la vache qui mit le feu à tout Chicago en 1905 : la moindre étincelle peut, comme jadis, mettre le feu au poudres, mais de très habiles propagandistes peuvent faire des millions de fois mieux que cet animal.

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