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20 mois après l'élection : le match des débuts de quinquennat Hollande/Sarkozy
©Reuters

KO

En cette fin d'année, l'heure est au bilan et aux comparaisons. Comment s'en sort l'actuel président de la République par rapport à son prédécesseur ?

# Politique intérieure

Eric Verhaeghe : Nicolas Sarkozy s’est assez vite positionné en libéral conservateur. Entre la loi sur l’autonomie des universités ou la loi TEPA, qui ancrait un discours libéral dès l’été 2007, et la création du ministère de l’Identité nationale, le ton global était donné. D’un côté, une volonté d’ouvrir les fenêtres économiques, d’un autre côté une volonté de fermer les frontières politiques. Cette politique très résolue a conduit à une impopularité rapide, mais elle avait le mérite de la clarté. De façon assez étonnante, François Hollande a passé ses premiers mois à défaire l’héritage sans proposer d’alternative claire. Il a probablement vécu dans l’illusion qu’il suffisait de gouverner au centre et de prendre le contre-pied de son prédécesseur pour être populaire. Sa seule véritable réforme politique est celle du mariage pour tous, qui a finalement beaucoup clivé et manifesté un affaiblissement du pouvoir. Pour le reste, on a du mal à discerner la ligne directrice. On pourrait la qualifier de centre gauche, quelque chose assez proche du radical socialisme des années 1920. Le résultat est pire que pour Nicolas Sarkozy : son impopularité a été fulgurante et cataclysmique. 

Christophe de Voogd :Tout d’abord je voudrais féliciter Atlantico pour poser enfin la question du bilan comparé Sarkozy/Hollande. Personne curieusement ne le fait (il est frappant de voir ainsi toutes les statistiques du chômage ces derniers jours commencer « opportunément » en mai 2012). Pas même les leaders de la droite, car ils sont confrontés à un choix cornélien : s’ils jugent le bilan Sarkozy bon, ils légitiment son retour ; s’ils le jugent mauvais, ils s’attirent ses foudres ! Pis encore : le principal intéressé recule devant l’exercice, convaincu qu’il a été par Patrick Buisson que là était son point faible…

Ceci dit, les deux périodes que vous nous proposez de comparer (début Sarkozy/ début Hollande) risquent fort de tourner au réquisitoire pour l’actuel président : il n’y a pas de match ! Car le contexte était très différent en 2007/2008 : croissance, recul constant du chômage jusqu’en septembre 2008. Ensuite, la grande crise certes, bien plus grave que l’actuelle ; mais en même temps l’hyper-réactivité du précédent Président (sauvetage des banques etc.) qui entraîne une nette reprise de popularité fin 2008 : et c’est là qu’est la première grande différence en politique intérieure : Après 20 mois de pouvoir Nicolas Sarkozy est à 17 points d’opinions favorables au-dessus de François Hollande qui a décroché très vite, très fort et sans rebondir.

Sans doute tout n’était pas rose pour Nicolas Sarkozy alors : les mécontents (59%) l’emportaient nettement sur les satisfaits (39%) et les élections municipales de 2008 se sont très mal passées. Le style du président est évidemment en cause et surtout l’enracinement de son image de « président des riches » par les médias et par la phase libérale de son quinquennat (loi TEPA, loi de modernisation de l’économie, RGPP), très mal expliquée et très mal appliquée : on se souvient du désastre des « chèques de l’Etat aux riches »...

# Politique économique

Eric Verhaeghe : Économiquement, Sarkozy a très vite imposé des mesures libérales. La loi TEPA de l’été 2007 défiscalise les heures supplémentaires, réduit la fiscalité sur les successions, met en place le RSA, qui se veut un encouragement au travail pour les bénéficiaires du RMI. Face à la crise qui fait trembler les murs à l’automne 2008, il impose un volontarisme économique fort, avec un plan de relance de près de 30 milliards, et une ligne au final satisfaisante sur les banques : elles seront recapitalisées par une avance remboursable qui a épargné le contribuable, au contraire de ce qui se passe en Espagne ou Irlande. Sur le plan économique, on peine à voir la cohérence et le volontarisme de François Hollande. Tout se passe comme si le pouvoir était en permanence occupé à faire la synthèse entre deux lignes opposées : celle des libéraux socialistes qui misent sur une politique de l’offre, et celle des socialistes étatistes qui veulent de la réglementation partout, et surtout dans la vie des entreprises. Sur ce point, François Hollande n’impose pas de vision, et fédère tout ce petit monde autour d’un réflexe unique : on ne touche pas à l’administration, qui est aujourd’hui épargnée par les réformes. Pour le reste, on improvise et on arbitre.

Christophe de Voogd : Je crois que Nicolas Sarkozy après sa « phase libérale » peu populaire, on a vu pourquoi,  et en raison de la crise, a cru que le retour au volontarisme et à l’étatisme, incarné par le discours de Toulon, était la bonne voie à en juger par sa remontée dans les sondages. Erreur d’interprétation capitale selon moi car non expliquée à l’opinion et rendant sa politique clairement opportuniste, d’autant qu’elle a été encombrée d’erreurs de timing : il fallait soit maintenir jusqu’au bout le bouclier fiscal soit – la bonne solution selon moi - l’abandonner dès le début de la crise : il l’a fait au pire moment, forcé et contraint par l’opinion, sans engranger l’avantage de cet abandon.

François Hollande marie, lui, simultanément les paradigmes opposés – étatisme et compétitivité - créant encore plus de trouble dans l’opinion et chez les agents économiques. Son attentisme économique (Ah ! vivement que la croissance revienne !) et surtout son retard à baisser la dépense publique dont dépend nombre de ses électeurs condamnent sa politique à l’échec comme le démontrent les chiffres du chômage.

Là encore on s’étonne que personne ou presque ne relève la forte accélération de la hausse du chômage depuis mai 2012 (+30% en moyenne mensuelle) et le fait que les destructions nettes d’emplois en France se sont produites après cette date. Ce qui disqualifie totalement le leitmotiv de l’héritage en matière de chômage. Et l’on sourit en voyant ministres et (certains) médias s’extasier devant la décélération (et non l’inversion !) actuelle : qui rappelle qu’en avril 2012 le dernier chiffre du chômage « sarkozien » était de + 4000, soit 4 fois moins que le chiffre de novembre 2013? Et si l’on revient à votre comparaison entre les débuts des deux quinquennats, le jugement est sans appel (mais encore une fois pas très juste) : -70.000 pour Nicolas Sarkozy ; +400 000 pour François Hollande…

# Niveau de la dette

Eric Verhaeghe : On a, à juste titre, ironisé sur les 600 milliards d’augmentation de la dette durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. La critique est factuellement justifiée, mais la France n’a pas fait pire que ses voisins dans cette affaire, et s’en est même plutôt bien sortie. La crise de 2008 a plongé les finances publiques des pays industrialisés dans des sables mouvants. Il a fallu gérer par la dette une situation d’urgence dans le secteur privé. Ce faisant, on a reporté les échéances de quelques années. Les pays les mieux gouvernés en ont profité pour améliorer la situation primaire de leurs dépenses publiques, c’est-à-dire l’équilibre budgétaire hors remboursement de la dette. Sarkozy lui-même s’y est employé, de façon à mon avis maladroite ou mal adaptée avec la RGPP. Mais il peut se targuer d’être le seul président de la République depuis 1958 qui a fait reculer la masse salariale de l’Etat. Depuis son arrivée au pouvoir, François Hollande a fait abstraction des efforts consentis par son prédecesseur pour rétablir l’équilibre primaire du budget (qui demeurait un objectif éloigné, cependant). Il a abandonné la RGPP, qui avait des objectifs contestables mais chiffrés, au profit d’une modernisation de l’action publique, qui est un leurre sans objectif financier imposé par l’énarchie et conduit par l’énarchie au bénéfice de l’énarchie. Le résultat est éminemment prévisible : la dette ne cesse d’augmenter, et la France ne cesse de négocier des délais dans la tenue des engagements communautaires sur la réduction des déficits publics. Et tout le problème est là : François Hollande espère qu’une relance de la croissance lui permettra de cacher la poussière de l’administration sous le tapis du contribuable. Et c’est une grave erreur d’analyse. Quelle que soit la conjoncture, il faudra bien réformer l’Etat.

Christophe de Voogd :A coup sûr nous touchons là à l’un des points noirs du quinquennat Sarkozy, même si la gravité de la crise de 2008/2009 en est largement responsable, comme l’a rappelé la Cour des comptes. Nul doute en tout cas que Nicolas Sarkozy a entretenu ce que j’appelle « l’illusion budgétaire » des Français. Le plus grave à mon sens est son action à contre sens : là encore une erreur de timing. Il aurait dû, comme le demandait François Fillon, serrer les boulons en début de mandat pour « relâcher » au plus fort de la crise, comme l’ont fait les Allemands ou les Néerlandais. La rigueur budgétaire en 2011-2012 est arrivée à contre-cycle économique et à contretemps politique, avec la reprise de la crise et l’approche des élections.

# Poids de la fiscalité

Eric Verhaeghe : Sur ce point, on peut mener un dossier à charge contre François Hollande. Si l’on reprend l’histoire de la pression fiscale depuis 25 ans, on s’aperçoit que le taux des prélèvements obligatoires n’a jamais atteint les 45% de PIB. Il s’en est approché à la fin de l’ère Chirac, autour de 1995. Mais il a décéléré depuis. En 2010, ce taux était de 42,5%. Cette situation résultait d’un choix politique. Nicolas Sarkozy avait défiscalisé les heures supplémentaires, créé le bouclier fiscal, diminué la fiscalité des successions. Ces choix peuvent être contestés. Ils étaient durs à soutenir. D’ailleurs, en 2011, le taux de prélèvement est remonté à près de 44%, notamment du fait des mesures nouvelles destinées à respecter les engagements communautaires. Avec Hollande, le recours à l’impôt est devenu une méthode de gouvernement prioritaire, sur fond de discours hallucinant sur "l’impôt est républicain". Selon cette idéologie discrète mais lancinante, plus on paie d’impôt, plus on vit en démocratie. On comprend bien la logique : l’impôt ne sert plus seulement à financer la gabegie de l’Etat (dont la majorité des réglementations sert à occuper les fonctionnaires), il sert à mutualiser les revenus. Sur cette trajectoire d’un autre siècle, le taux de prélèvement franchit allègrement, en 2013, les 46% de PIB. Pour un résultat ridicule : le déficit diminuera de 9 milliards seulement, sans compter la poussière sous le tapis. Ce taux devrait encore augmenter en 2014. La préparation du budget 2015 est à ce jour une véritable inconnue, à la fois économique et politique. On voit mal comment la France pourra tenir ses engagements communautaires.

Christophe de Voogd :Là, il n’y a pas de match… Les premiers temps de Nicolas Sarkozy voient une baisse sensible de la fiscalité alors que François Hollande pratique l’assommoir fiscal. Mais là encore un peu de fair play : la comparaison doit porter sur les contextes comparables c’est à dire la dernière année de Nicolas Sarkozy et le début du quinquennat Hollande. Comme je l’ai dit, le serrage budgétaire de 2011-2012 est mal tombé, surtout politiquement ; mais gare à la légende accréditée par l’actuel gouvernement et repris en chœur par tous : la soi-disant « égalité » entre les deux camps en matière de hausse de la fiscalité, le fameux « 30 milliards, eux »  « 30 milliards, nous » cher à Bernard Cazeneuve. Curieux raisonnement au demeurant qui voudrait qu’un gouvernement ait « droit » à la même augmentation d’impôts que son prédécesseur. Et qui oublie que, pour les contribuables, le calcul juste n’est pas « 30=30 mais 30+30=60 » !

Mais surtout les vrais chiffres, c'est-à-dire ceux de l’impact budgétaire réel des mesures fiscales nouvelles, sont fort différents : il faut distinguer entre l’évolution du produit fiscal global qui dépend aussi de la croissance et l’effet des seuls prélèvements nouveaux : on peut estimer ces derniers à 12 milliards pour la droite (2011/mi-2012) et 24 pour la gauche (fin 2012-2013). Soit du simple au double.  

Mais peut-être pourrait-on finir sur le rayonnement international comparé des deux hommes au même moment de leur quinquennat ? Fin 2008 Nicolas Sarkozy est le 3ème leader mondial le plus influent d’après le classement de Time Magazine. Fin 2013, François Hollande n’apparaît même pas dans ce classement…Là encore, ce n’est pas très juste vu le « dynamisme africain » de l’actuel président : mais sa politique économique nuit clairement à sa crédibilité internationale.

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