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1937, le retour : pourquoi nous ne sommes pas condamnés à revivre la douloureuse deuxième phase de la grande dépression (si les politiques se décident à comprendre ce qui se passe)
©Reuters

Spectre des années 1930

Churchill rappelait qu’"un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre". Pour Nicolas Baverez, nous ne sommes pas plus condamnés à revivre 1937 que 2008 n’a répété 1929. Mais il nous faut pour cela tirer toutes les leçons de l’histoire.

Nicolas Baverez

Nicolas Baverez

Nicolas Baverez est docteur en histoire et agrégé de sciences sociales. Un temps éditorialiste pour Les Echos et Le Monde, il analyse aujourd'hui la politique économique et internationale pour Le Point.

Il est l'auteur de Lettres béninoises et de Chroniques du déni français aux Editions Albin Michel.

 
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Atlantico : Selon deux économistes de la Banque d'investissement Morgan Stanley, la situation actuelle de l’économie américaine ressemblerait de plus en plus à celle de 1937, notamment au regard de la faible inflation et de l’atonie de l’investissement. Cette comparaison est-elle valable ? S’applique te elle également à l’Europe aujourd’hui ?

Nicolas Baverez : L’année 1937, huit ans après le jeudi noir d’octobre 1929, connut une réplique du séisme. Alors que la production, les profits et les salaires étaient revenus à leur niveau d’avant-crise aux Etats-Unis, un nouveau choc entraîna une baisse de 30 % de l’activité et une remontée du chômage de 14 à 19 % de la population active. Cette rechute fut provoquée par le resserrement prématuré de la politique monétaire de la FED, par la forte hausse des impôts décidée par Roosevelt au lendemain de sa réélection, par l’effondrement du commerce international à la suite de l’échec de la conférence de Londres en 1933, enfin par la course à la guerre lancée par les régimes totalitaires, avec pour champ d’expérimentation la guerre civile espagnole.

La configuration de la décennie 2010, placée sous le signe de la résistance de la mondialisation, diffère profondément de celle des années 1930. Mais certains traits communs émergent. La croissance mondiale semble durablement molle, fluctuant un peu en dessous de 3 % par an. Les échanges mondiaux s’étiolent sous la pression du protectionnisme. L’inflation a atteint un point bas historique à 2 %. Les risques géopolitiques remontent en flèche du fait du djihad mondialisé poursuivi par l’Etat islamique et du réveil des empires, de la poussée de Pékin en mer de Chine du sud à la destruction du système de sécurité européen de l’après-guerre froide par la Russie de Vladimir Poutine.

La différence majeure découle de ce que nous avons réussi à endiguer une nouvelle grande déflation. Et ce par trois moyens : une politique monétaire et budgétaire expansionniste, le refus du protectionnisme, la coopération internationale qui s’est établie lors du sommet du G20 de Londres en 2009. Mais ces lignes de résistance sont désormais fragilisées. Les banques centrales sont parvenues à la limite de leurs possibilités d’intervention avec les taux négatifs et l’expansion de leur bilan. La dette publique a augmenté de 40 % du PIB dans les grands pays. Le protectionnisme pointe à nouveau. Le début de reprise a réduit à néant les stratégies coopératives, chaque nation et chaque bloc privilégiant ses intérêts de court terme.  

Au sein de l’Europe, deux situations très différentes existent. Les pays qui, à l’image du Royaume-Uni, ont conduit une politique monétaire agressive dès 2009, se sont redressés. La zone euro est engagée dans une reprise très lente et progressive car il a fallu attendre le lancement de la stratégie de l’assouplissement quantitatif du crédit en janvier 2015 par Mario Draghi pour engager une politique monétaire adaptée. De 2008 à 2014, la BCE a réédité la tragique erreur de la FED en 1929, relevant ses taux en pleine déflation par la dette.

Aujourd’hui, l’économie mondiale reste en risque du fait de l’atterrissage des Trente Glorieuses chinoises, de l’arrivée à maturité de la reprise américaine et de la crise des émergents, du surendettement public et privé. Et il n’existe plus de capacité d’action conjoncturelle par la politique monétaire ou budgétaire pour contrer un nouveau choc.

Selon les auteurs, les investisseurs, apeurés par un contexte incertain, seraient amenés à rembourser leurs dettes plutôt que de dépenser et d’investir, ce qui expliquerait la faiblesse de l’économie lors de cette année 1938. Ce risque existe-t-il également aujourd’hui ?

Depuis 2008, les banques centrales ont à juste titre donné la priorité à la lutte contre la déflation en déversant des liquidités. Ceci a permis d’éviter la dépression mais aussi installé les Etats et les marchés dans l’illusion que les risques ont disparu alors qu’ils n’ont été qu’occultés. Du côté des marchés, se sont reconstituées des bulles spéculatives. Du côté des Etats, les taux négatifs constituent une redoutable incitation à prolonger le modèle insoutenable de la croissance à crédit.

La politique monétaire peut beaucoup mais elle ne peut pas tout. Elle permet de gagner du temps pour effectuer les réformes de structure. Il faut donc s’attaquer en priorité aux facteurs de risques qui raniment le spectre des années 1930 : le risque de stagnation lié au vieillissement de la population et à la stagnation de la productivité ; la désintégration des classes moyennes des pays développés ; la paralysie du système de décision des démocraties en raison de la montée des partis populistes ; la prolifération de la violence et le chaos du monde multipolaire.    

Quels ont été les moyens utilisés par les autorités américaines pour sortir de cet épisode de la grande dépression ? Quels sont les moyens dont disposent les autorités actuelles pour prévenir un tel phénomène ? 

La grande dépression des années 1930 montre l’exemple tragique d’une crise économique qui n’a pas trouvé d’autre issue qu’une guerre mondiale. La véritable sortie ne s’est effectuée qu’en 1945, avec la mise en place de la régulation keynésienne dans le monde occidental dont l’objectif premier était d’interdire la réédition d’un enchaînement déflationniste du type de 1929.     

Churchill rappelait qu’ "un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre". Nous ne sommes pas plus condamnés à revivre 1937 que 2008 n’a répété 1929. Mais il nous faut pour cela tirer toutes les leçons de l’histoire.

Pour échapper à la trappe de la croissance molle et réamorcer l’économie réelle, il faut que les gouvernements traitent les problèmes de fond. Cinq priorités se dessinent. Effectuer les réformes structurelles pour améliorer tous les facteurs de production : le capital humain via l’éducation, le coût du capital par la libération du secteur financier, l’innovation y compris dans le secteur décisif de l’énergie. Stabiliser les classes moyennes des pays développés en luttant contre les inégalités, en favorisant la mobilité sociale et en luttant contre le désarroi identitaire. Refuser le protectionnisme et les dévaluations compétitives. Relancer la coopération internationale au sein du G20 comme entre les banques centrales. Gérer activement les risques du XXIème siècle et investir dans la sécurité, ce qui implique de ressouder l’unité des démocraties, tant au sein de l’Europe qu’entre l’Europe et les Etats-Unis.

La réponse aux krachs est économique et monétaire. Mais la sortie des grandes crises ne peut être que politique car elle suppose de réinventer des institutions et des règles adaptées aux transformations du capitalisme et du système stratégique.     

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