11 Septembre 2001 : comment des Sioux et des Navajos ont traqué les talibans et les chefs d’Al-Qaïda<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Razavi publie « Les guerriers oubliés L’histoire ignorée des Indiens dans l’armée américaine » aux éditions de L’Artilleur.
Emmanuel Razavi publie « Les guerriers oubliés L’histoire ignorée des Indiens dans l’armée américaine » aux éditions de L’Artilleur.
©DAVID FURST / AFP

Bonnes feuilles

Emmanuel Razavi publie « Les guerriers oubliés L’histoire ignorée des Indiens dans l’armée américaine » aux éditions de L’Artilleur. Ce livre explore le rôle des Amérindiens dans le « corps expéditionnaire américain» puis dans les contingents qui ont servi lors de la Seconde Guerre mondiale, en Corée, au Vietnam, en Afghanistan et en Irak. Leurs faits d’armes sont longtemps demeurés confidentiels. Extrait 2/2.

Emmanuel Razavi

Emmanuel Razavi est Grand reporter, spécialiste du Moyen-Orient. Diplômé de sciences Politiques, il collabore avec les rédactions de Paris Match, Politique Internationale, Le Spectacle du Monde, Franc-Tireur et a réalisé plusieurs Grands reportages et documentaires d’actualités pour Arte, France 3, M6, Planète...  Il a notamment vécu et travaillé en tant que journaliste en Afghanistan, dans le Golfe persique, en Espagne …

Il s’est fait remarquer pour ses grands reportages sur les Talibans (Paris Match), les Jihadistes d’Al Qaida (M6), l’organisation égyptienne des Frères Musulmans (Le Figaro Magazine, Arte).

Depuis le mois de septembre 2022, il a réalisé plusieurs reportages sur la vague de contestation qui traverse l’Iran. Il est notamment l'auteur d'un scoop sur l’or caché des Gardiens de la révolution publié par Paris Match, ainsi que d’un grand reportage sur les Kurdes Iraniennes qui font la guerre aux Mollahs, également publié Paris Match. Auteur de plusieurs documentaires et livres sur le Moyen-Orient, il a publié le 15 juin 2023 un nouveau roman avec Chems Akrouf, « Les coalitions de l’ombre » (éditions Sixièmes), qui traite de la guerre secrète menée par le Corps des Gardiens de la Révolution contre les grandes démocraties. Il aussi publié en 2023 « les guerriers oubliés, histoire des Indiens dans l’armée américaine » (L’Artilleur).

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Ainsi, lorsque les attentats du 11 septembre 2001 perpétrés par Al-Qaida – lesquels font 2 977 morts – surviennent sur le sol américain, le monde entier est sous le choc.

En représailles, les États-Unis décident d’en finir avec le régime des Talibans afghans qui protègent Oussama ben Laden, cerveau de l’organisation terroriste qui a planifié les attaques. Dès le mois d’octobre, ils entrainent dans leur sillage une coalition de près de cinquante pays et implantent des bases de combat dans tout l’Afghanistan.

Des milliers d’Amérindiens se portent volontaires. À l’instar du peuple américain tout entier, ils sont touchés au plus profond de leur âme. Ils veulent venger les morts des tours jumelles, mais aussi libérer le peuple afghan du joug de leurs tortionnaires et des terroristes islamistes qui menacent le monde.

Une source du ministère de la Défense américain estime que « près de 31 000 autochtones ont servi en Afghanistan et en Irak», certains ayant participé aux deux conflits.

En 2004, j’ai couvert les combats qui opposaient la 101e Airborne aux talibans dans le sud-est de l’Afghanistan. Basée dans une «firebase» appelée Salerno faite de tentes, de sacs de sables et de quelques contreplaqués, la mythique unité est alors la cible quasi-quotidienne des Talibans ou des milices islamistes de Gulbudin Hekmatyar, un seigneur de guerre célèbre pour ses exactions. Généralement, celles-ci se produisent la nuit. Depuis les montagnes où ils sont embusqués, les insurgés tirent quelques roquettes sur le camp américain puis disparaissent dans la pénombre tels des fantômes, abandonnant leurs mortiers artisanaux une fois leur mortelle besogne accomplie. Les tirs de riposte des canons américains n’ont quant à eux pour effet que de fracturer la rocaille montagneuse et déserte.

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Les patrouilles qui partent à la recherche des jihadistes au petit matin ne ramènent d’ailleurs que très rarement des prisonniers.

Je peux témoigner – pour l’avoir vécue – que la situation, angoissante, a raison du moral des soldats « qui sont pour presque tous sous anxiolytiques», de l’aveu même du médecin chef du camp.

Quelques combattants d’origine amérindienne se trouvent cantonnés à Salerno. À l’instar de leurs camarades, leur quotidien est fait de patrouilles dans des zones arides et escarpées. Dans cet environnement hostile, il leur est difficile de différencier, au sein de la population locale établie dans des petits villages faits de maisons en terre, leurs alliés de leurs ennemis.

Je me souviens avoir parlé avec l’un d’entre eux, un jeune type d’une vingtaine d’années avec qui j’avais partagé une cigarette un soir sous sa tente. Il avait du sang cherokee et sioux. Il m’avait interpellé car il m’avait entendu parler français avec le collègue qui m’accompagnait alors.

Au-dessus de sa couchette pendait un piège à rêve.

Il avait le corps sec, des yeux noirs fatigués, sa mâchoire semblant toujours en tension. Il portait toujours son fusil d’assaut en bandoulière, canon tourné vers le sol. Il parlait posément, mais aussi très sèchement. Il semblait très sûr de lui.

Il m’avait expliqué avoir tout lâché au lendemain des attentats du World Trade Center et s’être porté volontaire pour l’Afghanistan. Il m’avait également confié ne pas comprendre pourquoi la France ne s’était pas jointe aux Américains en Irak, lors de l’invasion de 2003.

– J’aime la France, me dit-il. Je rêve d’y aller un jour. Mais elle a lâché l’Amérique. Alors que notre peuple est venu la sauver à deux reprises, je trouve désolant que les Français n’aillent pas se battre en Irak. Saddam est pareil que Ben Laden.

Cela n’a rien à voir, lui répondis-je. Saddam Hussein est un dictateur et un tortionnaire, mais il n’a rien à voir avec al Qaida. Mais toi, qu’est-ce qui t’a vraiment motivé à te battre en Afghanistan? Les Amérindiens n’ont rien à voir avec ce conflit. Pourquoi servir un pays qui a persécuté ton peuple?

Pour nous, cette guerre concerne le monde entier. Je n’ai donc eu aucune hésitation. Ici, je sais que je défends la liberté. Ma mère était fière de moi quand je suis parti. Elle sait que nous devons nous battre pour nos valeurs qui sont d’abord des valeurs humaines. Et puis je ne me sens pas si différent des Afghans. Comme nous, ils ont aussi leurs tribus et leurs coutumes. Pour moi, il n’y a aucune question qui se pose. Les défendre contre les terroristes, c’est aussi nous protéger. Dans ma famille, nous nous sommes toujours battus pour la liberté. Le jour des attentats, j’ai compris que nous étions tous des Américains […]. La guerre ne me fait pas peur. Si je dois mourir, je suis prêt. Ma famille et ma mère le savent […]. Tu as vu le totem qu’il y a, à l’entrée de notre camp, avec les photos des victimes des attentats qui sont accrochées dessus? Ce sont toutes des membres des familles ou des amis de soldats qui sont ici. Le matin, je vais me recueillir devant ce totem. Et alors je me dis que je suis là pour une bonne raison.

Durant mon séjour à Salerno, j’ai revu ce jeune soldat d’origine amérindienne à deux reprises. À chaque fois, nous avons partagé une cigarette et parlé quelques minutes. Et il me répétait toujours la même chose: – Il n’y a pas de question à se poser. Nous nous battons pour une bonne raison!

Dès l’arrivée de la coalition internationale, la traque des chefs d’al Qaida et des anciens seigneurs talibans qui se cachent dans les zones tribales, entre Afghanistan et Pakistan, est une priorité.

Ce que peu de gens savent, c’est qu’à partir de 2007, celle-ci va être également confiée à un groupe de combattants amérindiens appelés «les loups de l’ombre». Cette petite unité composée de quinze à vingt membres et créée au début des années 70 est notamment composée de Sioux, de Navajos et de Yaquis. Ils se sont baptisés ainsi en raison de leur façon de se déplacer «en meute».

Dépendant initialement du ministère de l’Intérieur américain, son objectif originel consistait à traquer les trafiquants de drogue le long de la frontière entre les États-Unis et le Mexique.

Pourquoi est-elle déployée en Afghanistan? La réponse est simple: malgré la débauche de technologie déployée par l’armée américaine au « pays des cavaliers» depuis 2001, la capture des leaders talibans et des chefs jihadistes s’avère une tâche ardue.

L’Afghanistan est un pays composé de montagnes, de déserts et de roches aiguisées au milieu desquels les insurgés n’ont aucune peine à se dissimuler. Profitant d’un terrain qui leur est favorable, ils traversent de plus la frontière pakistanaise aisément, les autorités locales fermant les yeux sur leurs déplacements, quand elles ne les aident pas.

Le plus souvent équipés de leurs seules kalachnikovs et d’une simple couverture, ils n’utilisent que très rarement des téléphones portables, de peur d’être repérés par les satellites de la coalition et pris ensuite pour cibles par des drones de combat. Pour communiquer, ils dépêchent des messagers qui mettent parfois plusieurs jours, voire plusieurs semaines à délivrer une missive à son destinataire.

«Les loups de l’ombre» qui se déplacent comme les talibans, n’ont presqu’aucun recours à la technologie. Comme leurs ancêtres, ils suivent des pistes en «lisant» les traces d’empreintes. Ils savent observer et décrypter la nature, trouver au milieu de la caillasse des restes de nourriture, des douilles de Kalachnikovs, des bouts de tissus provenant de vêtements et même des excréments humains ou des cendres qui leur permettent de dater le passage de l’ennemi.

Ils se meuvent en silence, évitant d’être repérés et peuvent vivre au cœur de la montagne de façon aussi «rustique» que leurs ennemis, débusquant parfois les fugitifs dans des cachettes naturelles. Au besoin, ils se déplacent à cheval. Quand la nuit vient, ils savent se passer de feu pour demeurer invisibles. Plus qu’une unité d’élite, ils sont devenus un mythe. À tel point qu’à cette époque, il est impossible de leur parler. Les seules informations les concernant proviennent des porte-paroles de l’US Army, qui restent toutefois peu loquaces sur l’objet de leur mission.

«Les loups de l’ombre» ont notamment pour tâche de former des soldats de l’armée afghane – ainsi que des unités d’autres pays frontaliers de l’Afghanistan – à leurs techniques de pistage, largement éprouvées. Pourtant, dans une contrée où règne la confusion la plus absolue et où les désertions sont monnaie courante, leur intervention ne suffira pas à mettre un terme aux agissements des talibans qui finiront par chasser les forces américaines en août 2021.

Extrait du livre d’Emmanuel Razavi, « Les guerriers oubliés L’histoire ignorée des Indiens dans l’armée américaine », publié aux éditions de L’Artilleur

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