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10 règles d'orthographe et de grammaire que vos enfants n'ont pas du tout apprises comme vous (voire pas du tout...)
©Pixabay

Si vous avez plus de 30 ans

En 1990, la grande réforme de l'orthographe a été mise en marche, et depuis le souci de simplification de la langue française a complètement modifié l'enseignement des règles de grammaire et de conjugaison.

Julien Soulié

Julien Soulié

Julien Soulié est enseignant certifié de lettres classiques, verbicruciste pour la revue "7 étoiles", collaborateur du Projet Voltaire, auteur de dictées pour des concours d’orthographe et des Cahier de jeux orthographiques ainsi que du Petit Cahier de jeux orthographiques (Ed. Ellipses).

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Atlantico : Depuis 1990, une grande réforme de l'orthographe a eu lieu, dans un souci de simplification de règles jugées trop complexes et responsables de trop d'erreurs. Quelles sont les 10 règles emblématiques de l'orthographe qui ont été modifiées ?

Julien Soulié : La réforme dite "Rocard" de 1990 (avec la caution de l’Académie française, via son secrétaire perpétuel d’alors, Maurice Druon) constitua une espèce de déflagration linguistique, pourtant loin d’être à la mesure des modifications proposées : en effet, seuls 4% du lexique courant étaient concernés (2 383 mots), autant dire une goutte d’eau… Mais ces 4% cristallisèrent toutes les passions – la querelle des Anciens et des Modernes, version XXe siècle ! – autour de symboles, de mythes, d’icônes orthographiques quasi sacrées.

N.B. : Les graphies ci-dessous présentées sont les orthographes traditionnelles.

1° Familles, je vous hais !

Les premières touchées furent les familles coupables d’anomalies : bonhomie / bonhomme ; chariot / charrette ; combattre / combatif ; imbécillité / imbécile… La réforme prévoyait évidemment de régulariser ces vilains canards boiteux qui ont fait naguère les délices des concours d’orthographe !

2° Perdons l’accent (circonflexe) !

De même, ce petit signe si emblématique de notre orthographe et de son histoire (l’accent circonflexe qui trône sur l’hôpital ne rappelle-t-il pas glorieusement l’antique filiation du s du latin hospitalem ?) était mis au rancart, hormis quand il permettait de distinguer deux homonymes : du / dû ; roder / rôder ; fut (passé simple) / fût (subjonctif imparfait)... Adieu, donc, au "chapeau de la cime tombé dans l’abîme" !

3° Des pros de la soudure

Afin de régulariser toujours plus, nombre de termes à trait d’union devaient être soudés : on songe notamment aux séries pour le moins anarchiques des composés sur contre (contresens ou contre-sens ?) ou sur entre (entr’aimer ? entre-aimer ? entraimer ?). De même certains noms composés (onomatopées, emprunts, composés savants) s’écrivaient désormais soudés : coin-coin, week-end, oto-rhino-laryngologiste…

4° Des problèmes en nombres

À rebours, le trait d’union se voyait généralisé dans l’écriture des nombres, créant parfois des "monstres" graphiques : sept-cent-vingt-et-un-mille-trois-cent-soixante-douze (orthographe traditionnelle : sept cent vingt et un mille trois cent soixante-douze) !

5° Gardons l’accent !

Certaines modifications étaient apportées aux accents afin de respecter la prononciation ou de régulariser certaines familles : avènement / événement ; règlement / réglementaire ; je révélerai ; crémerie…

6° Les suffixes –ot(t)er et –ol(l)e

Les verbes en –oter devaient tous être écrits avec une consonne simple : dansotter, frisotter, mangeotter perdaient désormais un t. Idem pour les noms en –ol(l)e : corolle,  fumerolle, girolle…

D’autres modifications concernaient des termes isolés : on songe par exemple au fameux nénuphar, dont le ph tout sauf neutre fit couler beaucoup d’encre !

La grammaire ne fut pas en reste :

7° Pluriel des noms composés

Le pluriel des noms du type Verbe + Nom se voyait régularisé, le nom s’écrivant désormais systématiquement avec un : des porte-bonheur.

De même, d’autres noms composés se voyaient accordés finalement comme des noms simples (avec un s à la fin du mot) : des après-midi.

À l’inverse, il ne fallait plus écrire un cure-dents, mais un cure-dent.

8° Régularisation des pluriels étrangers

Le pluriel des emprunts étrangers devait être systématiquement francisé : finis les scenarii, les Länder !

Il m’appelle et me harcèle !

Les verbes en -eler et -eter devaient tous suivre dorénavant le modèle de peler (je pèle) et d’acheter (j’achète)… sauf appeler et jeter (ainsi que leurs composés)… soit, finalement, une inversion totale de la règle traditionnelle !

10° L’accord participe passé, c’est du passé !

Enfin, l’accord (assez retors, il est vrai) du participe passé laissé suivi d’un infinitif était simplifié, ledit participe étant rendu systématiquement invariable : auparavant, on écrivait Elle s’est laissé avoir mais Elle s’est laissée tomber ; désormais, l’invariabilité était de rigueur dans tous les cas.

De même est-ce qu'en tant que professeur vous observez des recommandations différentes quant à l'enseignement des règles de grammaire, de syntaxe ou de conjugaison auprès des élèves ?

En tant qu’enseignement, la déontologie m’impose d’observer scrupuleusement les tolérances prônées par les réformes de l’orthographe successives, notamment la "nouvelle orthographe" de 2006. Ainsi, lors des corrections du brevet, je n’ai pas le droit de sanctionner un élève qui écrit bruler sans circonflexe.

Je continue néanmoins, dans mon enseignement, à être plus "traditionnel" : ainsi, je corrige systématiquement un accent circonflexe manquant ou un verbe en –eler mal orthographié.

Cela étant dit, il y a pis et plus important : le niveau des collégiens en orthographe et en grammaire est devenu tel que, à la fin de la classe de troisième, il est exceptionnel (pour ne pas dire impossible !) que nous voyions des règles aussi compliquées que l’accord du participe passé des verbes pronominaux ou le pluriel des noms composés. Nous devons nous battre au jour le jour contre la déliquescence permanente des apprentissages fondamentaux : comment expliquer l’accord du participe passé avec le COD placé devant, quand tant d’élèves confondent toutes les formes en [e] (chantai ? chantais ? chanter ? chanté ?) ? Où trouver le temps d’enseigner ces subtilités, quand les horaires de français fondent comme neige au soleil et qu’un élève sur deux mélange se et ce, son et sont et écrit sans ciller il a était, nous fesons  ou les élèvent, je vais les prendres ?

Les structures sous-jacentes et fondamentales de notre langue étant chez eux des plus branlantes, comment construire des savoirs plus complexes ? L’orthographe se délite, le lexique s’appauvrit, la syntaxe se simplifie jusqu’à l’outrance, voire l’agrammaticalité… Dans ces conditions, les cours au quotidien sont faits, année après année, de révisions de règles de base ressassées ad nauseam.

Enfin, en tant qu’expert en langue, est-ce que vous pensez que de telles réformes pour une simplification de la langue sont positives ? Quelle est le but recherché par la réforme de l’orthographe ? Peut-on craindre un appauvrissement de la langue française ?

Comme souvent, quand on est malade, il est plus facile de casser le thermomètre que de soigner le mal ! Ici encore, c’est bien de cela qu’il s’agit à mon sens. Je ne nie pas (qui le pourrait ?) que des simplifications puissent être apportées à certaines anomalies – même si, du point du vue ludique du candidat aux concours d’orthographe que je suis, je regrette leur disparation !). Toutefois, je crois que le mal est plus profond : toutes ces réformes ne servent qu’à masquer la déchéance d’une orthographe et d’une grammaire dont l’apprentissage n’a plus guère de sens pour les élèves. Au lieu de s’attaquer aux vrais problèmes de fond, on procède à quelques toilettages superficiels, mais qui touchent à ce qui constitue vraiment l’ADN et l’originalité de la langue française (je pense par exemple à l’accent circonflexe)… Plutôt que de voir la vérité en face et d’essayer d’élever les élèves à comprendre – et à aimer ! – certaines subtilités, on préfère niveler par le bas.

À moins que lesdites réformes ne soient qu’un cheval de Troie, avant des simplifications plus amples et plus graves (appelées par certains de leurs vœux). Ce serait alors, à mon avis, une catastrophe pour la langue française et pour tous les amoureux de ses richesses et de ses subtilités.

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