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10 propositions du Medef pour 1 million d'emplois : gage politique ou engagement économique crédible ?
©Reuters

Vers un avenir radieux

"L'idée, c'est que ces 10 mesures viennent renforcer nos réflexions sur le pacte de responsabilité du président de la République", a déclaré le patron du Medef Pierre Gattaz.

Atlantico : Le Medef a présenté "10 recommandations en faveur de l'entrepreneuriat". Ces mesures sont destinées à soutenir les créateurs d'entreprises. Pourtant elles paraissent avant tout très symboliques. Est-ce le meilleur moyen pour parvenir à la création de 1 million d'emplois ?

Thibault Lanxade : Ce ne sont pas des mesures symboliques. Elles ne sont pas jetées en l'air puisque nous ne demandons rien du gouvernement sur ces mesures. Et il ne reste pas moins que nous sommes mobilisés sur les chantiers prioritaires comme la baisse des charges, la baisse de la pression fiscale et à la simplification.

Ces mesures sont destinées à nos organisations, c'est-à-dire aux organisations professionnelles et aux Medef territoriaux. Nous mettons en place un dispositif en interne pour répondre à cette demande qui est de renforcer la dynamique entrepreneuriale. Ces mesures nécessitent des demandes extrêmement fortes. Peut-être qu'un jour elles feront partie de contreparties, si nous étions à rentrer dans une logique de pacte de responsabilités. Quand on lance une expérimentation avec la Défense pour former des militaires en phase de reconversion pour la création ou la reprise d'entreprise, nous mettons des moyens importants sur ce dispositif. Même chose quand on veut encourager les jeunes entrepreneurs à développer leur activité en mettant en place un dispositif de filières ou de marchés pour faciliter leur première commande. Quand on parle de formation professionnelle, quand on dit qu'il faut rendre éligible la formation de création ou de reprise d'entreprise, c'est un objectif extrêmement fort. Nous sommes donc bien dans un engagement de moyens. C'est ça, l'essence de ces mesures. Elles ne sont pas neutres.

Jean-Charles Simon : Les deux sujets ne me paraissent pas vraiment liés. Les 10 mesures présentées par le Medef concernent d’abord son action d’organisation professionnelle et ses relations avec ses adhérents. Il s’agit dans l’ensemble d’initiatives sympathiques et de bonne volonté pour soutenir la création d’entreprises et leur croissance, en développant les services proposés par le Medef et en les rendant plus accessibles. Ça ne peut a priori pas faire de mal, mais ça n’a pas de raison d’avoir un quelconque impact significatif sur l’activité économique et l’emploi.

Quant à la création d’un million d’emplois, j’y vois d’abord un slogan volontariste, une opération de communication plus qu’un chantier précis. Mais sa concrétisation ne dépend évidemment pas du patronat, et seulement pour partie du politique. Un million d’emplois en cinq ans, c’est d’ailleurs modeste, s’il y a une bonne conjoncture internationale (on a déjà fait beaucoup mieux, comme en 1999-2000), et c’est en revanche presque inatteignable en cas de crise internationale, même avec une politique économique très favorable et une forte baisse des charges.

On voit que, dans ces "10 recommandations en faveur de l'entrepreneuriat", il s'agit essentiellement d'actions de sensibilisation ou d'expérimentation. Quel est l'objectif concret poursuivi ? 

Thibault Lanxade : L'objectif concret consiste à faire en sorte qu'on ait plus d'entrepreneurs. 263.000 entreprises se sont créées en 2013. 90 % d'entre elles n'ont pas généré un seul emploi. Il faut donc qu'on se mette dans une logique de croissance. Il faut accompagner les entrepreneurs.

Quand le Medef dit qu'il faut lancer une cotisation à 1 euro pour un entrepreneur pendant un an dans les Medef territoriaux, on va voir arriver de jeunes entrepreneurs qui vont pouvoir réseauter, "networker", prendre des services de façon très concrète. Cela va contribuer à leur développement.

Jean-Charles Simon : J’ai le sentiment qu’il y a d’abord une volonté de promotion de l’organisation Medef vis-à-vis de ses adhérents ou de ceux qui pourraient l’être, par exemple en proposant des cotisations à un euro. Après tout, c’est bien légitime, et ça tombe plutôt bien au moment où se décident au Parlement les règles de la représentativité patronale… Donc celles qui vont définir les poids respectifs du Medef et des organisations concurrentes ! Ces annonces interviennent d’ailleurs dans le cadre du Salon des entrepreneurs, ce qui doit davantage expliquer ce timing plus qu’un lien au mieux très ténu avec les sujets du « pacte de responsabilité ».

Laquelle de ces recommandations vous semble être la plus importante et pourquoi ?

Thibault Lanxade : La mobilisation qui va être créée auprès des jeunes entrepreneurs pour leur rappeler que les fédérations professionnelle et les Medef territoriaux sont la maison des entrepreneurs est à la fois la mesure la plus symbolique et la plus pragmatique, la plus opérationnelles. C'est le "welcome pack".

Concrètement, ils vont frapper à une porte, ils vont voir un patron et ils vont lui demander ce qu'il peut leur apporter pour leur business. Si le Medef territorial n'est pas bon, si la fédération ne répond pas, le jeune entrepreneur ne restera pas. Et nous, nous aurons manqué une occasion de l'aider. 

Jean-Charles Simon : Joker… La notion d’importance n’est probablement pas la plus pertinente ici. Il s’agit d’envoyer des signaux, de communiquer, d’encourager les bons comportements. Ce qui fait partie de la panoplie des actions quotidiennes d’une organisation patronale ou de salariés. Mais au-delà, il y a quand même une problématique intéressante. Le Medef, les autres organisations patronales interprofessionnelles ou les fédérations doivent-elles développer un syndicalisme de services, pour faire l’analogie avec la stratégie de la CFDT auprès des salariés ? Je ne le crois pas. Au moins au niveau interprofessionnel, c’est une approche inadaptée dans le monde des entreprises. Car très vite – ce sera le cas par exemple en matière de crowdfunding, une des propositions -, la structure patronale se retrouve sur le terrain de services et entreprises existants. Et à mon sens, l’organisation qui défend les entreprises et les principes de l’économie de marché devrait s’interdire toute immixtion dans le champ d’activités concurrentielles. Elle peut bien sûr - ça fait même partie de ses missions premières - tout faire pour que les pouvoirs publics encouragent et facilitent ces activités, qu’ils allègent leur cadre et leurs contraintes. Mais sans jamais devenir un opérateur direct dans ces métiers. A ce titre, il faudrait plutôt que le Medef et l’ensemble des partenaires sociaux commencent par se désengager de leurs activités anachroniques dans l’assurance, le logement ou encore la formation… Là où opèrent de nombreuses entreprises privées qui ne doivent pas faire l’objet d’une concurrence d’organisations censées les représenter.

Quel est le lien intrinsèque entre ces 10 propositions formulées par le Medef ?

Thibault Lanxade : Ces 10 propositions sont orientées pour les entrepreneurs. Ce ne sont pas tous les chefs d'entreprise de France. Quand on parle du million d'emplois, c'est la contribution du milieu entrepreneurial à la création de ce million d'emplois. Ce document est également à destination des territoires et des fédérations pour leur dire que, maintenant, il faut que l'on se retrousse les manches et que l'on travaille tous ensemble.

Nous avons mis des objectifs en termes de délai pour montrer que nous étions dans une situation d'urgence. Est-ce qu'il y aura un point d'étape ? Oui, probablement.

Jean-Charles Simon : Encore une fois, je crois qu’on est surtout dans le registre de l’anecdote et du symbole, de l’incitation à quelques bonnes pratiques, de la volonté de montrer un Medef dynamique, sympathique, proche de la vie quotidienne des entreprises et notamment des plus petites. D’où le choix d’insister sur la création d’entreprise et leur développement. Je ne suis pas sûr que la création soit un vrai sujet, tout montrant au contraire qu’elle est très dynamique en France. Pour de bonnes et de mauvaises raisons, d’ailleurs, le chômage élevé y concourant largement. En revanche, le développement est problématique, et la croissance au-delà de certains seuils est sûrement l’un des grands défis de notre économie. Mais en l’espèce, le Medef a des responsabilités directes sur des sujets qui ont, eux, un véritable impact sur la santé et la croissance des entreprises. Comme les cotisations aux régimes (Agirc/Arrco et Unedic notamment) dont il est seul en charge avec les autres partenaires sociaux, qui pèsent de l’ordre de 100 milliards d’euros par an sur les entreprises et leurs salariés, et qui accumulent les déficits…

S'agit-il également d'un message politique adressé au gouvernement ? Un gage de bonne conduite au moment où est annoncé le pacte de responsabilités ?

Thibault Lanxade : Non. Il n'y a pas de message politique, parce que ces 10 mesures sont complètement orientées auprès de nos fédérations et de nos territoires. Après, si nous sommes amenés à établir un pacte de responsabilités, ces mesures pourront en faire partie. Mais soyons clairs : un pacte implique du donnant et pour l'instant je n'en vois pas. Nous engageons des actions concrètes, nous sommes dans cette logique positive d'accompagner la parole présidentielle que nous avons saluée. Maintenant il faut passer de la parole aux actes.

Jean-Charles Simon : Avec son initiative du « pacte de croissance », le Medef a hélas promu les logiques de donnant-donnant ou de contreparties. Je comprends bien sûr la volonté de mobilisation, très positive en elle-même. Et le souhait de s’engager, de ne pas apparaître sans cesse comme un quémandeur à sens unique. Mais si tout cela est louable, ça diffuse aussi une vision très mécaniste et faussée de l’économie : si on obtient ceci ou cela, alors on créera tant d’emplois. Et cela entretient surtout les préjugés sur les patrons qui refuseraient d’embaucher et seraient de mauvaise composition : puisqu’ils sont capables de s’engager sur un nombre d’emplois créés contre des baisses de charges, ça veut bien dire qu’en les poussant un peu ils pourraient déjà faire plus… D’ailleurs, c’était du pain bénit pour l'exécutif, qui a saisi cette perche avec son « pacte de responsabilité » : d’accord pour « aider » les entreprises, mais attention ! Avec plein de contreparties, qui auront même leur « observatoire », et sous le regard vigilant de la représentation nationale… Et je doute que la majorité actuelle voie l’adhésion à un euro au Medef ou des parrainages entre militaires et entrepreneurs comme  des contreparties suffisantes à son goût… Au final, c’est un bon « coup politique » pour l’exécutif : il pourra revendiquer un succès si l’emploi repart – ce qui dépend en fait largement de la conjoncture globale –, et sinon critiquer les entreprises qui n’auront pas rempli leur part du contrat. 

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