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1 an après la démission de Hulot, le regard dubitatif des Français sur l’écologie politique
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Si les Français semblent de plus en plus convaincus de l'importance des enjeux environnementaux, ils le sont beaucoup moins, pour une grande majorité, par l'offre politique existante.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Atlantico : Il y a exactement un an, l'ancien ministre de la Transition écologique et solidaire Nicolas Hulot annonçait sa démission au micro de France inter. "Moment de grâce" pour Léa Salamé, l'annonce de la démission de Nicolas Hulot a-t-elle été un moment de grâce pour l'écologie politique ?

Bruno Cautrès : La nomination de Nicolas Hulot au gouvernement, dans la foulée de l’élection d’Emmanuel Macron, avait incontestablement suscité beaucoup d’espoirs. Personnalité emblématique de l’engagement pour la préservation de la planète et pour l’environnement, personnalité publique préférée des Français, médiatiquement très présent, Nicolas Hulot n’avait jamais sauté le pas de la participation à un gouvernement même si les sollicitations n’avaient pas manqué. Son départ du gouvernement n’a sans doute pas été un « moment de grâce » de l’écologie politique : beaucoup d’écologistes ont même considéré ce départ comme le mise en berne de l’écologie politique ! Les conditions de son départ en ont dit long sur les déceptions et les frustrations que Nicolas Hulot ressentait. Il faut dire que Nicolas Hulot avait placé la barre assez haut du point de vue de ses objectifs et que l’action politique dans un gouvernement passe par des arbitrages, des compromis, la prise en compte des réalités et des contradictions de la société française, en particulier sur les questions écologiques. On voit que depuis le départ de Nicolas Hulot, et son remplacement par François de Rugy (jusqu’à son départ du gouvernement au début de l’été), le gouvernement et Emmanuel Macron cherchent leur voie sur la question de l’environnement : la crise des Gilets jaunes et passée par là, l’exécutif affiche de fortes ambitions sur les questions écologiques, mais beaucoup d’écologistes ou d’électeurs préoccupés par la question climatique, celle de la biodiversité ou de la qualité de l’air, trouvent qu’il faut passer aux actes. Mais il est clair qu’Emmanuel Macron a décidé d’appuyer fortement sur la question écologique depuis la sortie du Grand débat national.

Selon un sondage Odoxa, réalisé au début du mois de juin, 71% des Français souhaitent qu’Emmanuel Macron « intègre des éléments du programme des écologistes dans son programme d’ici la fin du quinquennat ». Pourquoi, alors que le nombre de Français sensibles à l'enjeu écologique augmente, la conscience écologique ne parvient pas à se traduire politiquement ?

Il faut distinguer le court et le long terme tout d’abord. Si le court terme peut donner l’impression que l’on « patine » un peu, que l’écologie a du mal à s’imposer comme priorité des priorités, qu’à la fin cela se finit toujours mal entre l’exécutif et son ministre de la transition écologique, cette impression doit être fortement nuancée si l’on prend le recul du long terme. Au cours des vingt ou trente dernières années, la prise en compte des urgences écologiques s’est bien accentuée dans les politiques publiques. De même dans l’opinion publique : on peut parler d’une vraie prise de conscience, fortement relayée au plan médiatique, sur les grandes questions de l’avenir de la planète. Il n’en reste pas moins vrai que la transition écologique reste un sujet difficile pour les gouvernements : le fait que le thème se soit imposé parmi les plus importants sujets de préoccupation des Français ou parmi les sujets clefs de tout programme politique accentue l’écart avec les comportements ou décisions réels. Par ailleurs, en France notre « modèle » de l’énergie atomique, nos habitudes d’une société opulente et gaspilleuse, les différents intérêts économiques en jeu, entrent régulièrement en tension avec les objectifs de la transition écologique. Au plan idéologique, bien que l’on assiste à un (relatif) affaiblissement du clivage gauche-droite la question du positionnement des questions écologiques vis-à-vis des grands choix en matière de modèle de société reste une dimension complexe : peut-on penser l’écologie en dehors de la question des inégalités sociales, territoriales et de mobilité et en dehors du clivage gauche-droite ? L’articulation des questions écologiques avec les questions de la justice sociale et territoriale reste un point fondamental. La prise de conscience écologique en France est d’ailleurs fortement rentrée au résonance avec cette question du lien écologie-justice sociale. La complexité politique et idéologique pour penser ces deux dimensions à la fois explique le sentiment que nous avons d’une question écologique qui progresse sur le long terme mais passe par des hauts et des bas à court terme : si l’écologie n’est plus cantonnée à un « green washing » des partis politiques traditionnels, elle a du mal à s’imposer comme la dimension principale de l’action politique. Les inégalités sociales restent fortes, le chômage touche encore beaucoup de monde et pour les gouvernements l’urgence écologique n’est qu’une urgence parmi d’autres.

Quelles peuvent être les conséquences du fait que l'offre politique en matière d'écologie ait encore un train de retard sur la prise de conscience des citoyens ou sur leur orientation ? Quel avenir guette cette "majorité orpheline", c'est-à-dire sans personne pour représenter ses idées : la lassitude ou la récupération ?

Votre analyse est un peu trop pessimiste ! Encore une fois, il faut regarder le long terme. Reprenons l’exemple de Nicolas Hulot et regardons son parcours sur le long terme : certes, le bilan au gouvernement n’est peut-être pas spectaculaire, mais l’ensemble de son parcours d’engagement est plutôt positif quant à la prise de conscience citoyenne et la prise en compte des dimensions écologiques dans l’offre politique. Le « Grenelle de l’environnement » a peut-être déçu mais un cap symbolique important avait été franchi. Prenons un autre exemple : le score de Yannick Jadot aux européennes. Cela ne change pas la donne de manière fondamentale mais depuis Yannick Jadot propose aux Français de se rassembler autour de l’urgence écologique. Tout en revendiquant son engagement à gauche, il en appelle au dépassement du clivage gauche-droite pour répondre à cette urgence. On a vu également aux européennes la forte articulation que proposaient d'autres listes entre questions écologiques et questions sociales : Manon Aubry ou Raphaël Glucksmann par exemple. Cela fait-il un programme pour la présidentielle ou un programme de gouvernement? Nous verrons bien à la présidentielle de 2022 si l’offre de candidats écologistes/progressistes  rencontrera ou pas l’adhésion des Français.Et aussi quel bilan feront les Français de l'action d'Emmanuel Macron dans ce domaine. Rien n'est joué d’avance. Je dirais pour conclure que c’est aux hommes et femmes politiques et à leurs organisations politiques de « faire le job » pour que les Français votent pour eux, d’incarner une écologie « non punitive », réaliste, mais aussi « non démissionnaire »….Il y a bien urgence et péril en la demeure Terre…..Cela susciterait-il la vocation d'un nouveau Nicolas Hulot, aussi engagé que lui dans l'action mais plus politique ou plus stratège politique ? Ce serait intéressant, non .... ? 

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