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"Voter, c'est tweeter en vrai" : pourquoi la campagne du gouvernement à l’intention des jeunes est complètement à côté de la plaque
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"Vous aimez liker ? Votez"

Tweeter et voter, bonnet blanc et blanc bonnet. C'est l'éclairage proposé par le gouvernement pour lutter contre l'abstention (de gauche) prévue aux prochaines municipales. Un slogan qui vise avant tout les jeunes, lesquels sont sans doute moins intéressés par la nécessité que représente le vote.

Christian Delporte

Christian Delporte

Christian Delporte est professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Versailles Saint-Quentin et directeur du Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines. Il dirige également la revue Le Temps des médias.

Son dernier livre est intitulé Les grands débats politiques : ces émissions qui on fait l'opinion (Flammarion, 2012).

Il est par ailleurs Président de la Société pour l’histoire des médias et directeur de la revue Le Temps des médias. A son actif plusieurs ouvrages, dont Une histoire de la langue de bois (Flammarion, 2009), Dictionnaire d’histoire culturelle de la France contemporaine (avec Jean-François Sirinelli et Jean-Yves Mollier, PUF, 2010), et Les grands débats politiques : ces émissions qui ont fait l'opinion (Flammarion, 2012).

 

Son dernier livre est intitulé "Come back, ou l'art de revenir en politique" (Flammarion, 2014).

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Atlantico : Jean-Marc Ayrault lance une campagne contre l'abstention, notamment à gauche et auprès des jeunes, à l'aide des réseaux sociaux. Quelles sont les chances de réussite de cette campagne ?

Christian Delporte : Le gouvernement espère que les slogans et les visuels circuleront mieux sur les réseaux sociaux s’ils visent leurs utilisateurs et reprennent leurs codes comme leurs modes d’expression. Indéniablement, les injonctions sur le thème « votez, c’est un devoir ! » ou les mots d’ordre classiques et culpabilisateurs pour lutter contre l’abstention ont fait leur temps. On sait que twitter ou facebook sont des médias jeunes. On sait aussi que l’abstention est plus forte chez les jeunes que parmi les autres catégories de Français (aux municipales de 2008 : 41,2% pour les 18-24 ans contre 33,5% pour l’ensemble des citoyens). Mais ces deux données ne se recoupent pas tout à fait. Globalement, et cela vaut pour les plus jeunes, les réseaux sociaux sont utilisés par des Français appartenant à des catégories plus diplômées, plus aisées, socialement mieux intégrées que la moyenne, celles, précisément, qui votent plus que la moyenne. Pour atteindre leur cible, il faudrait que les slogans touchent les catégories les plus précaires, les moins intégrées, vivant dans les zones urbaines abandonnées, et qui s’expriment sur les réseaux sociaux. Rien ne prouve qu’il en sera ainsi, d’autant que les réseaux virtuels sont comme le monde réel, socialement très cloisonnés. Le principal intérêt de la campagne, c’est de faire parler de l’abstention et de ses risques. Au-delà, les slogans seront repris par les convaincus pour les convaincus, en gros par les socialistes pour les socialistes. Le revers du buzz, ce sont les détournements humoristiques des slogans dont ne se priveront sans doute pas quelques twittos…

Peut-on confondre activité politique et loisir ? Quand Jean-Marc Ayrault annonce que "voter c'est comme tweeter", est-ce que cela sous-entend que le vote est vécu, par les jeunes, comme une corvée ?

Le slogan s’appuie sur une réalité qui dépasse twitter, la banalisation du vote. Aujourd’hui, on « vote » quotidiennement pour tout et n’importe quoi, des émissions de téléréalité où vous devez éliminer un concurrent aux « sondages » des lecteurs sur les sites d’information. Tapez 1, tapez 2, tapez 3…On aime, on n’aime pas… Ici, c’est une façon de dire : le suffrage universel, c’est du sérieux. Mais, au-delà de la pratique, c’est la question du fondement de l’abstention qui compte. La motivation de l’abstention est multiple : l’indifférence, le désintérêt, le rejet… C’est vrai pour les jeunes comme pour les plus âgés. On vote si on mesure l’enjeu, si on est entraîné dans un mouvement, si on croit que son bulletin peut changer les choses. On s’aperçoit ainsi que la participation est souvent plus forte à 18 ou 19 ans qu’à 23 ou 24. Pourquoi ? Parce qu’on vote pour la première fois, qu’on s’initie au rite de passage à l’âge adulte qui est aussi celui de la citoyenneté. Si on veut que les jeunes rejoignent les urnes, il ne faut pas simplement dire que l’élection change les choses mais le démontrer. Or, pour les jeunes comme pour beaucoup d’autres, la politique est marquée par l’impuissance, le discrédit de la parole, le non-respect des engagements. Ils s’éveillent à la citoyenneté avec la désillusion. Les enquêtes montrent que les plus jeunes considèrent le vote d’abord comme un droit, tandis que les plus vieux le perçoivent d’abord comme un devoir. Pour que le droit se transforme en devoir chez les jeunes générations, il faut démontrer, par l’action, que la politique change vraiment les choses.

Peut-on trouver des précédentes campagnes correspondant au modèle que représente celle-ci, en France ou ailleurs ? Ont-elles été couronnées de succès ?

Nous n’avons aucun instrument de mesure pour évaluer l’efficacité d’une campagne contre l’abstention. Mais il est de tradition pour l’Etat sous la République, et singulièrement depuis 1958, d’inciter le citoyen à voter, d’accomplir son « devoir civique ». Dans ce cadre, les réseaux sociaux ont vraiment été mobilisés, pour la première fois, à l’occasion de la campagne présidentielle de 2012. L’initiative en était due à une quarantaine d’agences conseils en communication, groupées au sein des Agences de communication contre l’abstention (ACCA). Dans cette campagne conçue spécifiquement pour le Net, elles avaient conçu des visuels et des vidéos destinées à circuler notamment sur facebook, twitter ou youtube. Sur le mode publicitaire, elles avaient souvent joué sur l’humour, comme ce bulletin de vote où on pouvait lire « Offrez un CDD de 5 ans à la personne de votre choix » ou un petit film intitulé « L’entretien d’embauche ». La campagne a-t-elle été efficace ? Nul ne le sait. Mais l’essentiel était qu’on en avait parlé.

Enfin, s'il avait fallu mener autrement cette campagne, qu'elles auraient été les solutions pour qu'elle ait une véritable portée ?

D’abord, la campagne arrive bien tardivement, à un moment où la cristallisation des attitudes électorales est faite, pour l’essentiel. Ensuite, d’une manière générale, on peut s’interroger sur l’efficacité d’une campagne qui vise toutes les catégories de population à la fois ou une catégorie en particulier, mais mal identifiée. Les « jeunes », tous les sociologues le savent, cela n’existe pas ! Que l’Etat incite au civisme, c’est naturel et même un devoir en République. Mais les campagnes doivent s’appuyer sur les réalités de la sociologie de l’abstention que l’on connaît, grâce à de nombreuses enquêtes de terrain. Pour espérer être efficaces, elles doivent donc être sociologiquement mieux ciblées, plus proches des citoyens et établies avec le concours de ceux qui les côtoient chaque jour (collectivités locales, associations…) et qui en connaissent les pratiques, ce qui vaut notamment pour les réseaux sociaux.

Propos recueillis par Vincent Nahan

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