"Strange Fruit", cette chanson de Billie Holiday qui dénonçait les crimes raciaux et les pendaisons<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Culture
"Strange Fruit", cette chanson de Billie Holiday qui dénonçait les crimes raciaux et les pendaisons
©UPI / AFP

Textes engagés

Le rappeur Nick Conrad qui appelle à « pendre les blancs » ne connait sûrement pas le magnifique réquisitoire que la chanteuse de jazz américaine a enregistré pour dénoncer les pendaisons du Ku Klux Klan.

Pierre Guyot

Pierre Guyot

Pierre Guyot est journaliste, producteur et réalisateur de documentaires. Il est l’un des fondateurs et actionnaires d’Atlantico.

 

Voir la bio »

Pour briller en société, il fallait autrefois faire preuve d’esprit, avoir le courage physique de ceux qui revenaient du champ de bataille auréolés de succès, posséder le don rare de faire communier la foule dans un même frisson par un accord de guitare ou un geste sportif de génie. Ou encore, plus modestement, bénéficier du charisme qui permettait au héros du soir de séduire indistinctement hommes et femmes autour de la table du diner en ville. Désormais, plus besoin de talent ni de bravoure pour sortir du lot, la provocation crasse et l’expression de la haine y pourvoient. Et si les réseaux sociaux sont devenus les salons mondains d’aujourd’hui, nulle nécessité d’y faire des étincelles pour attirer l’attention. Il suffit de chier sur le tapis.

La chanson « Pends les blancs », du prétendu rappeur Nick Conrad, en est une nième et sinistre illustration. Ce total inconnu n’est certes pas le premier à s’offrir à peu de frais et sur internet le quart d’heure de gloire que prédisait Andy Warhol. Mais la violence des images du clip qui montre un homme blanc à moitié nu rampant à terre, aux pieds de ses deux agresseurs noirs qui lui brisent les dents à coups de pieds avant de le pendre - et celle des paroles de la chanson - franchit un cap. 
Les hypocrites justifications à postériori des partisans de cet appel au meurtre qui revendiquent la création artistique pour « renvoyer aux blancs leur propre racisme » ne valent pas lourd quand on songe aux drames que la propagande et les phénomènes de meute sur internet ont déjà provoqué. Surtout, il est difficile en écoutant les couplets de la chanson qui expliquent « J’rentre dans des crèches de bébés blancs. Attrapez-les vite et pendez leurs parents. Ecartelez les pour passer le temps » de ne pas se souvenir des victimes que Mohamed Mera est allé assassiner, il y a à peine six ans, en entrant dans une école juive pour y abattre des enfants à bout portant. 
Etonnante coïncidence, l’un des chantres de l’antisémitisme en France, Dieudonné M’Bala M’Bala, a sitôt la chanson mise en ligne exprimé son admiration pour cette « jeunesse bouillonnante et pleine de talents » (hommage immédiatement salué et revendiqué par le « jeune et bouillonnant » Nick Conrad).
Pour ce qui est de l’art engagé qui dénonce les crimes raciaux, c’est pourtant vers le passé qu’il convient de se tourner. Probablement Nick Conrad et Dieudonné ne connaissent-ils pas « Strange Fruit », une chanson que Billie Holiday a enregistré à la fin des années 30. Dans ce qui fut l’un de ses plus grands succès, la chanteuse de jazz américaine y menait un véritable réquisitoire contre les lynchages des Afro-Américains par le Ku Klux Klan, particulièrement nombreux à l’époque.
Le courage artistique était alors d’une autre trempe. Billie Holiday a risqué rien moins que sa carrière en dénonçant l’Amérique ségrégationniste de l’époque avec ce « Strange Fruit » dont le texte était signé par Abel Meeropol… un poète juif new yorkais.
Réécoutez donc les couplets qui valurent à Billie Holiday d’être menacée et chassée par la foule de plusieurs villes du Sud des Etats-Unis où elle devait chanter « Les arbres du Sud portent un fruit étrange / Du sang sur leurs feuilles et du sang sur leurs racines / Des corps noirs qui se balancent dans la brise du Sud / Un fruit étrange suspendu aux peupliers ». 
En comparaison, Nick Conrad n’a pas chié sur le tapis ; il est lui-même une peu ragoûtante virgule sur un mur de WC publics.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !