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"Otage judiciaire" : "Un jour je viendrai prier sur ta tombe". Michel Thierry Atangana
"Otage judiciaire" : "Un jour je viendrai prier sur ta tombe".  Michel Thierry Atangana
©ALAIN JOCARD / AFP

Bonnes feuilles

Michel Thierry Atangana et Anna-Véronique El Baze publient « Otage judiciaire » aux éditions du Cherche Midi. L'histoire de Michel Thierry Atangana est glaçante. Un matin de mai 1997, ce Français est arrêté à Yaoundé, où il travaille. Les autorités camerounaises l'accusent de détourner des fonds au bénéfice d'un opposant au pouvoir. Condamné sans preuves, il passera dix-sept ans enfermé au sous-sol du secrétariat à la Défense. Extrait 2/2.

Michel Thierry Atangana

Michel Thierry Atangana

Né en 1964, Michel Thierry Atangana intervenait comme expert financier à la tête d'un consortium d'entreprises quand il a été arrêté à Yaoundé. Il vit aujourd'hui à Paris.

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Anna-Véronique El Baze

Anna-Véronique El Baze

Anna-Véronique El Baze est l'auteure de plusieurs romans et récits, dont Les Œillets jaunes (Prisma, 2011) ; Merci Papa (2014) et La fille au 22 (2016) au cherche midi ; et Je maudis le jour (Plon, 2019).

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– C’est pour toi.

Un ami camerounais qui me visite régulièrement au SED me tend son portable.

– Michel?

La voix est hésitante, inquiète.

Les souvenirs affluent, me submergent. L’océan, l’infini de l’horizon. La fraîcheur apaisante, les longs goûters dans la cuisine, le moelleux du gâteau breton, le chocolat chaud trop sucré, les cours de maths à mes petites sœurs d’adoption.

– Michel, comment vas-tu? insiste-t‑elle.

Mes larmes, impossibles à contenir.

– Ça va aller, maintenant, mon grand.

Je respire avec peine, avec force. Je veux répondre.

Ma voix s’étrangle ; j’arrive juste à respirer.

– Michel, ça va aller, parle-moi.

De gros sanglots d’enfant m’emportent. Le passé me happe, abat la digue qui contenait mes pleurs. C’est ma maman de cœur. Celle qui m’a soigné au Centre héliomarin de Perharidy. Elle m’aime ; elle me demande pardon de ne pas m’avoir recherché plus tôt. Je pleure de joie, de honte, d’impuissance. Je dois lui expliquer. Je ne suis pas un criminel!

« Non! Ça, on le sait. On te connaît, Michel. Avec René, on va remuer ciel et terre pour te faire rentrer à la maison. »

Rentrer à la maison. Ces mots me brisent le cœur.

Poursuivre le combat ou me laisser mourir?

Le pouvoir veut se débarrasser de moi. Il veut me tuer, ça ne me semble pas excessif de le dire. Me tuer sans se salir les mains. C’est juste une question de temps. Je peux choisir de me soumettre à sa volonté. Ce serait plus simple. Pour moi, pour mes proches. Ils ressentiraient ce soulagement qu’on éprouve au départ d’un grand malade, quand la mort est la seule échappatoire. Le manque serait là bien sûr, mais la souffrance s’atténuerait avec le temps. À  quoi bon me battre, cogner dans le vide. Chaque round ne fait qu’ajouter une condamnation à la précédente.

Je n’ai pas vu grandir mes enfants, je n’ai plus de famille, tout ce que je possédais m’a été arraché. Je suis emmuré vivant. La France m’a ignoré douze longues années et aujourd’hui, même si Bruno Gain me soutient, cela ne change rien à l’affaire.

Je ne suis ni Florence Cassez, ni Clotilde Reiss. Je suis Michel Atangana. Français aussi, mais d’origine africaine. Ma couleur de peau contribue-t‑elle à mon oubli?

Ironie du sort, ce sont les États-Unis qui m’ont tendu la main les premiers; eux qui m’ont reconnu le statut de prisonnier politique. Le pays le plus critiqué au monde pour la violence faite aux minorités raciales a pris la défense d’un Français d’origine africaine, d’un Français abandonné par sa patrie d’adoption!

Mon dialogue avec la Bible, le secours que je trouve en Jésus-Christ, s’éloigne dans une abstraction évidente au regard de ma réalité. Je veux voir mon innocence reconnue. Je veux être libéré. Je veux serrer mes enfants dans mes bras. Je veux rentrer à la maison, à Saint-Pol[1]de-Léon. Catherine et René m’y attendent. Personne n’imagine l’ampleur de mon sentiment d’impuissance.

Selon la loi, je dispose de quarante-huit heures pour contester cette décision inique auprès de la Cour suprême. La Cour qui doit statuer dans les six mois.

Une nouvelle période d’attente s’installe. Cependant, la donne a changé. Je ne suis plus « sorti des radars ». Le monde extérieur ne peut plus m’ignorer. La réalité de ma situation de non-droit a éclaté au grand jour pendant les trois années de ce second procès et conduit les autorités françaises à une mobilisation plus appuyée. Mon innocence est devenue flagrante, à Yaoundé comme à Paris. Et l’élection en mai 2012 de François Hollande va marquer un tournant. Jacques Chirac comme Nicolas Sarkozy n’avaient pas daigné s’intéresser à moi. Il en alla autrement de François Hollande, dès le début de son mandat.

Le non-droit dans lequel on me maintient conduit l’ambassadeur de France à Yaoundé, Bruno Gain, à dénoncer le mode de fonctionnement de la justice camerounaise. Ainsi, le 27  novembre 2012, trois mois après mon ultime condamnation, le secrétaire d’État aux Droits de l’homme, François Zimeray, atterrit au Cameroun et demande audience aux autorités du pays. Il obtient l’autorisation de me visiter. Son arrivée jusqu’à moi ne se fait pas sans heurts. On lui interdit l’accès à ma cellule. Les soldats ne vont pas hésiter à le bousculer, signe qu’ils sont prêts à franchir les limites. Mais François Zimeray ne se laisse pas intimider. Il ne partira pas sans m’avoir parlé !

Assis sous la petite véranda, il s’enquiert de ma santé. Je lui réponds que je suis ici pour mourir. Son regard me confirme qu’il me croit. Cet homme engagé dans la défense des droits de l’homme à travers le monde connaît le sens des droits fondamentaux. Il a visité nombre de cellules, connu des situations terribles. Il veut me rassurer. Ses mots sont précieux, mais je suis bien en peine de les entendre. Je ne crois pas en son pouvoir, je ne crois même plus au pouvoir de François Hollande sur un Paul Biya enferré dans un autoritarisme paranoïaque. Tour à tour, il me parle comme un ambassadeur puis comme un homme qui tente d’en soutenir un autre. Des paroles empreintes d’une grande humanité, même si lorsqu’il m’assure du soutien de la France j’entends le vide que recouvre parfois la langue officielle.

Au cours de sa visite au Cameroun, François Zimeray prononce un discours percutant à la résidence de l’ambassadeur de France. Un discours dont je reçois copie et que je relis la nuit lorsque le sommeil ne vient pas. Des mots qui consolent, des mots qui redonnent foi en la France, des mots qui sonnent comme la promesse d’une délivrance. Vacillante certes.

Cet homme-là, tu l’aurais aimé maman. Il m’a apporté un peu d’espoir, donné de la force. Oui maman, je vaincrai. Un jour j’irai m’agenouiller sur ta tombe, sans chaînes ni gardiens, avec pour seule escorte mon amour éternel.

23  janvier 2013. François Hollande m’adresse une lettre. Malgré la tournure ambiguë qui ouvre ce courrier – « Quels que soient les crimes que vous ayez commis, la peine qui vous a été infligée le 4 octobre dernier est particulièrement lourde » – et par laquelle il semble se prémunir contre toute accusation d’ingérence, il m’y assure de son soutien et se montre soucieux de faire respecter les droits de l’homme (voir l’Annexe I).

Entre-temps, dans un rapport à propos du Cameroun, et après avoir obtenu de haute lutte de me rendre visite en cellule, Amnesty International m’a reconnu le statut de prisonnier d’opinion (voir l’Annexe II). Je me souviens des mines effarées des deux représentants de l’ONG à l’ouverture de la double porte qui mène au Fourgon. Horrifiés, ils avaient peine à retenir leurs larmes. Puis ils ont mesuré les dimensions de la « pièce » et pris des photos qui allaient faire le tour du monde. Nous sommes vite remontés sous ma véranda. Et là ils ont prolongé au maximum notre entretien. Ils voulaient me donner « plus d’air » et me permettre de rester le plus longtemps possible hors du Fourgon. Avant de me quitter, eux aussi ont insisté sur l’importance de ne pas renoncer, au risque de compromettre leur action pour des dizaines de victimes à travers le monde. Au moment des adieux, ils m’ont longuement serré la main. « J’espère qu’on te reverra vivant », m’a soufflé l’un des deux hommes. Me laisser derrière eux leur était insupportable. J’avais l’habitude. Pas eux.

Mes soutiens se multiplient et moi j’attends la décision de la Cour suprême, censée statuer au plus tard début avril. Enfin, s’il lui prenait l’envie improbable de respecter les délais. Mais l’espoir est là, réactivé sous la forme d’un petit rectangle plastifié : ma pièce d’identité. Refaite par l’ambassade de France en date du 20 mars 2013. Il m’aura fallu combattre seize années pour recouvrer mon identité administrative. Ironie du sort ou anecdote sordide, l’adresse de domicile inscrite sur ma pièce d’identité française est désormais celle du secrétariat d’État à la Défense de Yaoundé !

30  janvier 2013. Paul Biya se rend à Paris pour rencontrer divers partenaires économiques. Ce sera le moment pour la présidence française de montrer qu’elle ne se paie pas de mots. L’enjeu de cette visite est économique, mais en privé un autre sujet est abordé entre Hollande, Biya et les ambassadeurs des deux pays. Au sortir de cette discussion d’une quarantaine de minutes, Paul Biya, seul dans la cour de l’Élysée, fait face à la presse pour résumer les échanges. Comble de l’ironie, il précise être venu en France pour convaincre des entreprises de venir participer à un « grand mouvement de développement », visant notamment à la construction de routes et de ponts. J’aurais aimé être là pour expliquer le sort qui attend les entreprises qui osent encore s’engager au Cameroun auprès de l’État!

Ce jour-là, Paul Biya confirme l’attachement de son pays au respect des droits de l’homme et à la liberté. Et quand un journaliste l’interroge sur mon sort, sa réponse me sidère : « Michel Thierry Atangana, que j’ai connu parmi les dossiers, que je ne connais pas personnellement  […], il ne peut pas être un ennemi politique. C’est un homme qui a été condamné par les tribunaux pour détournement de deniers publics. Son affaire est en instance, il a fait appel, il a saisi la Cour suprême, et nous attendons la décision de cette cour pour voir ce qu’il y a lieu de faire. Notre souci est qu’il y ait le maximum de gens libres, mais je ne veux pas contrarier les décisions de justice. »

Sa prise de parole durera moins de dix minutes. Sa voix éraillée me rappelle celle du chef de la mafia, Vito Corleone, le « Parrain » usé du film de Francis Ford Coppola ! L’homme est en bout de course, même s’il plaisante quand on lui demande s’il n’est pas fatigué du pouvoir après plus de trois décennies à la tête du Cameroun.

Avec un tel calendrier, le soutien de Bruno Gain, présent ce jour-là, et le rapport d’Amnesty International publié quelques jours plus tôt, je peux espérer que François Hollande a pris le temps d’évoquer mon dossier. Et c’est le cas, comme je le découvre bientôt dans les médias (voir l’Annexe  III –  L’Express du 30 janvier 2013).

Désormais, je bénéficie du droit de sortir de ma cellule entre neuf et vingt heures. Je peux marcher dans un espace bien délimité de la cour du camp militaire où mes soutiens sont autorisés à me rejoindre. Sous ma véranda, où la surveillance des gendarmes s’est nettement relâchée, ma défense s’organise. Avocats, journalistes, diplomates et appuis divers s’y relaient. Un vent d’optimisme souffle et nous galvanise.

En France, Dominique Sopo, président de l’association SOS Racisme, a créé un comité de soutien. Son énergie m’apporte une immense espérance. Entre le temps passé entouré de mes avocats et mes allées et venues au tribunal, si ma vie n’a pas retrouvé de sens, je me sens moins seul.

Mais c’est en France qu’a lieu l’essentiel de la bataille et où l’affaire est de plus en plus discutée dans les médias. Sur RFI notamment, où le journaliste Christophe Boisbouvier n’hésite pas à interpeller les personnalités concernées, ou encore dans les colonnes du Nouvel Obs (voir l’Annexe IV – Le Nouvel Obs d’avril 2013), où François Caviglioli dénonce le scandale et « le magot de 278 milliards de francs CFA, soit près de 500 millions d’euros » investis par des sociétés de BTP françaises via le Copisur et qui « embarrasse » l’État camerounais. Ce grand journaliste aujourd’hui disparu m’a apporté un soutien décisif. Il m’a peut-être même sauvé la vie, en prouvant par la force de ses mots à mes geôliers que mon pays ne m’avait pas abandonné. Et aussi Le Canard enchaîné, qui a été le premier, en juillet 2009, à rappeler dans ses pages à l’État français qu’il avait oublié l’un de ses ressortissants au Cameroun depuis douze ans (voir l’Annexe V – article du 15 juillet 2009).

Les médias participent à me faire exister, et je suis reconnaissant à chacun des journalistes qui a pris le temps de plonger dans cette affaire complexe. Je sais leur poids pour secouer la léthargie et l’indifférence des gouvernants.

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Extrait du livre de Michel Thierry Atangana et Anna-Véronique El Baze, « Otage judiciaire, 17 ans de prison pour rien », publié aux éditions du Cherche Midi

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