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"Le bruit du monde" : Au coeur d'une vie douloureuse, égarée entre deux identités : superbe
©Théâtre des Abbesses

Atlanti-Culture

 Hélène Kolsky pour culture-tops

Hélène Kolsky pour culture-tops

Hélène Kolsky est chroniqueuse pour Culture-Tops.

Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).
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LIVRE

Le bruit du monde
de Stéphanie Chaillou
Ed. Notabilia

RECOMMANDATION

EN PRIORITE

THEME

On pourrait dire chronique d'une petite vie ordinaire... En fait, Stéphanie Chaillou  nous fait partager avec une extrême sensibilité la vie  et la quête d’identité de Marilène, au sein d'une famille pauvre. En grandissant, elle prend conscience du milieu dont elle est issue. Bien que brillante durant sa scolarité, elle comprend qu’elle n’a pas les mêmes armes que ses camarades. Pas les mêmes moyens dans tous les sens du terme. Elle devient alors étrangère, une intruse. L’envie lui prend de quitter sa famille pauvre, son milieu, son hameau, de se construire une vie, sa vie. 

Cette envie acceptée, elle n’appartient déjà plus vraiment à ce monde mais n’arrive toujours pas à entrer dans celui qu’elle convoite. Elle erre comme un fantôme dans cet entre deux mondes, comme une âme arrachée à la vie, à sa terre, qui n’aurait pas eu l’autorisation d’entrer au Paradis. Comme ces âmes, il lui reste une tâche à accomplir pour pouvoir partir en paix. Cette tâche, c’est sa vie, tout simplement. Ou plutôt un but, un sens à lui donner. Marilène va tâtonner, chercher, tomber, plusieurs fois, se relever. 

Stéphanie Chaillou déroule la vie de Marilène, une vie particulière qui trouve des échos dans de nombreuses existences.

POINTS FORTS

-"Le Bruit du monde" est le récit d'une quête de liberté, une histoire de déracinement, de séparation, d'identité perdue et de luttes. Stéphanie Chaillou parvient à dire les blessures secrètes, la peur de l'échec, les doutes et les espérances vives qui façonnent une vie.

-Marilène refuse son héritage, « pas de joie dans la tête. Pas de peine non plus. Rien que de la blancheur », Dans ce milieu, Marilène et les autres  enfants grandissent et forgent leur personnalité dans un environnement sans livres, sans sorties, sans chants, la candeur disparait vite (« … il y a en elle une dureté infaillible à l’égard de ce que la pauvreté enlève aux enfants. »).  La course vers la vie est pipée à l’évidence, les gagnants sont identifiés dès le plus jeune âge... Dans la honte (« Marlène a honte de tout et d’elle-même. Elle ne sait pas pourquoi. ») et face au mépris des autres, il faut s’endurcir pour accepter de vivre à côté, dans un autre monde ; cependant elle refuse d’accepter les injustices et la pauvreté et peut-être son incapacité à vivre dans le monde, « une vie qui ne produit rien de plus que de la fatigue et du sommeil. ». La frontière est en effet immédiatement marquée et évidente, la franchir sera pour beaucoup un Everest.

- Un style épuré, des phrases courtes, directes, un narrateur qui prend du recul et de la hauteur en décrivant froidement, sans parti pris ni jugement, la lutte de Marilène, en espérant que sa quête de liberté ne reste pas vaine et que les mots et l’écriture lui ouvriront d’autres portes

-Une écriture hachée, saccadée, brève, haletante qui souligne  l’urgence de se trouver

- Stéphanie Chaillou nous offre un roman d’une justesse incroyable, bouleversant, magnifique

POINTS FAIBLES

Je n’en vois pas

EN DEUX MOTS

C’est un parcours de vie, qui témoigne de ce que les sociologues et psychologues ont décrit, à savoir la « névrose de classe » (la névrose de classe de Vincent de Gaulejac ), lorsque un changement à titre de promotion ou régression sociale, entraine des conflits personnels. Annie Ernaux en a témoigné dans son premier roman, « La Place » ; Bourdieu a réussi a brisé son plafond de verre et y vivre « sans mal » 

J’ai lu ce livre en apnée. Les pages glissent, se tournent avec impatience, fébrilité et à la fin je me suis dit  " ouf, elle y est enfin arrivée ". Elle a osé sa vie et en est devenue acteur.

Un EXTRAIT

Ou plutôt Quatre:

- Elle a dit aussi que quand elle pensait à ses parents, elle avait la boule au ventre (page 60)

- Que les choses se passaient ainsi quand on était pauvre, qu’on avait déjà honte avant même de commencer à respirer (page 73)

- Elle a ajouté qu’elle ne comprenait pas pourquoi elle était vivante. Qu’il y avait à l’intérieur d’elle, ce paradoxe d’être vivante et de n’avoir aucune partie à jouer (page 106)

- La force qu’elle a déployée pour simplement accomplir cette chose la , exister (page 155)

L’AUTEUR

Diplômée de philosophie (DEA et CAPES) à Université Panthéon Sorbonne (Paris I), Stéphanie Chaillou a été professeur de philosophie de 1995 à 2002 puis rédactrice au Centre Pompidou à Paris. Entre 2008 et 2011, elle publie aux éditions Isabelle Sauvage trois ouvrages de poésie contemporaine. En 2015, son premier roman, "L'homme incertain", est adapté au théâtre par le metteur en scène Julien Gosselin sous le titre "Le Père".

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