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L'empire français : l'Algérie, terre de colonisation à part, si chère à la France
©Reuters

Bonnes feuilles

Sous la direction de Patrice Gueniffey et Thierry Lentz, des historiens de renom racontent et analysent le déclin et la chute des grands empires qui ont fait le monde. Si les empires trépassent, l'impérialisme ne meurt jamais, comme le prouvent les métamorphoses de la Chine, l'éternel retour de la Russie, sans occulter le poids toujours majeur des Etats-Unis. Extrait de "La fin des Empires" de Patrice Gueniffey et Thierry Lentz, aux éditions Perrin 2/2

Patrice  Gueniffey

Patrice Gueniffey

Professeur à l'EHESS, Patrice Gueniffey a notamment publié Le nombre et la raison (1993), La politique de la Terreur, Essai sur la violence révolutionnaire(2000). Le 18 Brumaire, L'épilogue de la Révolution française(2008) et son Bonaparte (2013) ont été universellement salués par la critique. Il a depuis dirigé les meilleurs historiens dans l'ouvrage collectif à succès Les derniers jours des rois chez Perrin et Le Figaro (2014).

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Thierry Lentz

Thierry Lentz

Thierry Lentz est directeur de la Fondation Napoléon. Il s'est affirmé comme le meilleur connaisseur actuel de l'époque impériale, comme en témoigne sa Nouvelle histoire du Premier Empire en quatre volumes (2002-2010). Il a récemment publié chez Perrin Le Congrès de Vienne, Une refondation de l'Europe 1814-1815 et Les vingt jours de Fontainebleau, La première abdication de Napoléon 31 mars-20 avril 1814 et Waterloo, ainsi que Le Diable sur la montagne. Hitler au Berghof. Thierry Lentz est lauréat de l'Académie des sciences morales et politiques pour l'ensemble de son œuvre.

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L’Empire français au début des années 1930 représentait un ensemble de 12 millions de kilomètres carrés et 64 millions d’individus : si l’on ajoute la population de métropole, on a bien la plus grande France de « 100 millions d’habitants », si chère aux manuels scolaires. L’Algérie, commencée d’être conquise sous Charles X, un siècle plus tôt, occupait une place à part, tant sur le plan historique qu’administratif. Le nord du pays était divisé en départements, soumis au régime civil et rattaché au ministère de l’Intérieur ; les quatre territoires sahariens au sud étaient soumis au régime militaire. Mais un seul gouverneur général dirigeait les deux Algéries, assisté, pour les départements français, d’organes consultatifs où les indigènes étaient représentés. L’Algérie était une terre de colonisation ancienne, où s’était implantée progressivement une nombreuse population européenne. Opération de prestige à l’origine, la conquête d’Alger n’était sans doute pas destinée à fonder une occupation durable. Louis-Philippe n’avait poursuivi l’implantation française qu’avec réticence, et Napoléon III avait songé à mettre en oeuvre un « royaume arabe » qui prît en compte l’association des élites indigènes. C’est la Troisième République qui avait pris résolument le parti d’une implantation définitive, avec une intégration pure et simple du territoire algérien dans l’organisation politique et administrative française.

En ce sens, l’Algérie s’était très tôt dissociée des autres possessions d’Afrique du Nord, soumises au régime du protectorat : la Tunisie en 1881 ; le Maroc en 1912. Le principe du protectorat était très différent de l’administration coloniale classique : la puissance protectrice se réservait la maîtrise des affaires étrangères et militaires, mais était censée respecter l’autorité au moins nominale du sultan ou du bey. En Indochine, ce principe ne dépassa guère le stade de la théorie. Mais au Maroc, le protectorat tel qu’il fut conçu et voulu par Lyautey fut bien plus qu’une fiction : tant qu’il fut aux affaires, le maréchal s’ingénia à freiner la colonisation de masse, tout en conduisant la modernisation économique du Maroc. Mais ses successeurs s’empressèrent d’oublier ces bonnes résolutions. Dans le reste de l’empire, en Afrique-Occidentale et en Afrique-Équatoriale françaises, à Madagascar, mais aussi en Indochine, c’est bien l’administration coloniale qui avait la haute main. Là encore, les gouverneurs généraux exerçaient un pouvoir étendu, même s’ils devaient tenir compte d’organes consultatifs d’influence variable, mais souvent assez forte dans le domaine économique et financier.

Les aspirations à l’indépendance existaient, mais elles n’étaient pas suffisamment organisées et restaient peu relayées par le milieu politique en métropole. Dans l’entre-deux-guerres, seuls le parti communiste et quelques personnalités – des écrivains comme André Gide ou Albert Londres – exprimaient de front des critiques contre la colonisation. Des réformes furent mises en oeuvre juste avant la guerre, notamment en Algérie, mais aucune ne régla  véritablement la question de la représentation des populations indigènes ou de leur association à la vie publique. Toutefois, des forces étaient à l’oeuvre et n’attendaient que des circonstances favorables pour se libérer. L’influence du communisme s’exerçait, mais n’était pas seule à nourrir le nationalisme des peuples, cette identité qui se formait au contact même des populations européennes. Peu à peu, par une sorte de processus naturel, les élites indigènes, même si elles n’étaient que très imparfaitement associées à l’administration réelle, prenaient un intérêt croissant à la gestion des affaires. La conscience nationale – qui était à l’origine inexistante ou embryonnaire – naissait des effets du colonialisme lui-même. Comme l’écrirait de Gaulle dans les Mémoires d’espoir, « en leur apportant notre civilisation nous avions institué dans chacun des territoires, au lieu des divisions anarchiques d’autrefois, un système centralisé préfigurant un État national, et formé des élites pénétrées de nos principes de droits de l’homme et de liberté et avides de nous remplacer tout au long des hiérarchies ».

La guerre acheva de transformer radicalement la donne : les grandes puissances impériales, très affaiblies, durent compter sur les ressources de leurs empires pour faire face aux forces de l’Axe (Allemagne, Italie, puis Japon) – pour la France, à partir de 1943. Or les peuples colonisés avaient évolué dans leurs conditions de vie et leurs mentalités. Leurs attentes s’étaient insensiblement modifiées. Le spectacle de l’affaiblissement de la France après le désastre de 1940 puis l’impérieuse nécessité du recours à l’empire apparurent aux populations indigènes, ou du moins à leurs élites, comme les signes annonciateurs de plus grandes transformations encore. Mais les Français ne voyaient qu’une réalité : le rôle décisif joué par les colonies dans la guerre, qui ne faisait que renforcer l’obligation morale de les conduire vers leur développement et leur lointaine émancipation. Pour tous, pétainistes et gaullistes, l’outre-mer avait été dès 1940 le réservoir de l’énergie future : comment penser s’en séparer, dès lors qu’au sortir du conflit la France, à l’honneur retrouvé, qui avait terminé dans le camp des vainqueurs une guerre si mal engagée, espérait tant regagner sa force et renouer avec la puissance ?

Extrait de "La fin des Empires" sous la direction de Patrice Gueniffey et Thierry Lentz, publié aux éditions Perrin, 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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