“Je suis Charlie” contre “Bien fait” : le choc vécu sur Facebook et les réseaux sociaux <!-- --> | Atlantico.fr
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Le mot-dièse #JeSuisCharlie a rapidement envahi les réseaux sociaux.
Le mot-dièse #JeSuisCharlie a rapidement envahi les réseaux sociaux.
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Solidarité 2.0

Ce mercredi 7 janvier 2015, à la suite de l'attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo, le mot-dièse #JeSuisCharlie a rapidement envahi les réseaux sociaux. Un signe de solidarité numérique massif. Puis est venu le temps du rassemblement dans plusieurs villes de France et même à l'étranger.

Jérémie Mani

Jérémie Mani

Jérémie Mani est entrepreneur dans le web français depuis 2000, il est un grand spécialiste des réseaux sociaux et des buzz engendrés par eux. Il est aujourd'hui président de Netino, une société spécialisée dans la e-Modération.

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Guilhem Fouetillou

Guilhem Fouetillou

Guilhem Fouetillou est professeur associé à Sciences Po et fondateur de linkfluence, institut d'analyse des conversations sur le Web.

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Atlantico : Ce mercredi 7 janvier 2015, à la suite l'attentat qui a visé la rédaction de Charlie-Hebdo, le mot-dièse #JeSuisCharlie a rapidement envahi les réseaux sociaux en signe de solidarité. Quelles sont les différentes initiatives mises en place sur Internet pour condamner les attentats d'aujourd'hui ? Tous les réseaux réagissent-ils de la même manière ?

Jérémie Mani : Au début les choses sont parties un petit peu "dans tous les sens" sur les réseaux sociaux, avec beaucoup de manifestations d’émoi, pour assez vite se regrouper derrière l’initiative "Je suis Charlie." On ne sait pas bien qui est à l’origine, si ce n’est qu’il s’agit d’un groupe de jeunes. Nous observons beaucoup d’avatars qui reprennent le fond noir "Je suis Charlie", et beaucoup d’appels pour rejoindre cette page afin d’être tenu au courant des différents lieux de rassemblement en France. C’est cette page-là qui fait désormais référence. Nos observations portent essentiellement sur Twitter et Facebook. Google et Instagram ont une ampleur moindre. Twitter présentant l’inconvénient de n’être modéré par personne, le moindre propos provocateur insinuant que Charlie Hebdo l’avait bien mérité déclenche une volée de réactions. Le fait est minoritaire, mais on en dénombre quelques uns.

Guilhem Fouetillou : On est encore trop "à chaud" pour recenser la multitude des initiatives. Nous sommes face à une mosaïque extrêmement complexe avec des mouvements locaux, globaux, certains sont suivis, d'autres moins. En termes de volume de réactions, nous sommes face à un événement hors du commun. Même à l'international, très peu d'événement ont pris de telles dimensions. Les réseaux sociaux ont commencé à s'animer vers 12h15 et à 18h nous étions déjà à plus de 2 millions de Tweets ayant cité Charlie-Hebdo. La quantité de Tweets est supérieure à celle qui avait été générée par le match Brésil-Allemagne lors de la coupe du monde. Bien-sûr, on ne peut pas comparer ces deux événements dont l'un est extrêmement tragique. Mais ce chiffre montre que le phénomène est global et qu'il dépasse la France. Nous sommes face à un événement médiatique global, relayé par les médias du monde entier. Peu de temps après l'événement, l'attentat faisait la une du New York Times. En termes médiatique, on retrouve des schémas de diffusion et des types de contenus habituels sur des événements de ce genre. Le gros de la volumétrie est un travail de relais d'articles de journaux. Et avec le journalisme citoyen les vidéos non sourcées viennent s'ajouter à ce flux que les médias traditionnels utilisent eux-mêmes. C'est principalement un travail de médiation, pour que l'information se diffuse globalement.

Observe-t-on une unité nationale sur les réseaux ? Y a-t-il des formes de soutien à l'attentat ?

Jérémie Mani : Les réactions de gens offusqués font tout de même écho aux tweets outranciers, tandis que sur Facebook la communauté a tendance à s’autocensurer, à tempérer les débats. Les commentaires complotistes ou critiques envers les  musulmans écrits en-dessous des articles des grands médias sont nombreux, mais très rapidement modérés par les community managers, qui empêchent ainsi le feu de partir. L’indignation porte surtout sur la mort des caricaturistes de Charlie Hebdo, qui étaient très connus et attiraient une certaine sympathie.

Comment ont évolué et vont encore évoluer les réactions sur les réseaux sociaux ? Quelles sont les transpositions concrètes sur le terrain de ces initiatives ?

Jérémie Mani : Aujourd’hui cela se traduit principalement par l’appel à manifester dans toute la France, et même à Londres. Un grand média aura quelques difficultés à recenser tous les lieux de rassemblement, contrairement aux réseaux sociaux. Au-delà, l’intention sera certainement de cumuler le plus de "like" possible. Peut-être verra-t-on un certain nombre de personnes publier les caricatures de Charlie Hebdo sur leur page perso, comme un signe de défiance visant à dire aux terroristes qu’ils n’ont pas atteint leur résultat

Guilhem Fouetillou : Après le travail de relais, vient le temps du commentaire qui ici a été quasiment simultané. Les médias diffusent des faits qui sont ensuite commentés. Nous sommes en présence d'un maelström d'indignations et de réactions épidermiques. Le troisième temps correspond au moment du rassemblement, on sort de l'épidermique pur, du choc et les groupes de pensée se rassemblent et se rassurent. En quelque sorte, ils font communauté. Et le web social qui auparavant pouvait donner une impression de chaos devient en un temps record le lieu ou les rassemblements et les solidarités s'organisent. Dans le cas des attaques contre Charlie Hebdo, nous sommes déjà dans le 3e temps.  Les choses se sont déroulées très rapidement. Plus l'événement est fort, plus ce phénomène de cristallisation est rapide. Aujourd'hui plus que jamais les réseaux sociaux font réagir l'humanité entière comme un seul organisme, la douleur, l'émotion s'y diffusent instantanément augmentant notre proximité et notre empathie.

Qu'est-ce que cela dit de l'opinion ?

Guilhem Fouetillou : On ne peut pas effectuer un traitement dans le détail en un temps si court. L'expression des réseaux sociaux ne représente pas directement l'opinion, c'en est un miroir mais déformant. De nombreux biais sont à prendre en compte dus entre autre à l'anonymat et à la surreprésentation des extrêmes. Les multitudes modérées et spectatrices y prennent quantitativement moins position. Un risque important consisterait à se focaliser sur tel ou tel contenu quantitativement infime pour en tirer des généralités, il faut avancer prudemment dans l'interprétation faite de ce flot ininterrompu et extrêmement hétérogène. Cependant le suivi en temps réel des volumétries de publications et des phénomènes viraux lorsqu'ils sont comparés à d'autres événements d'envergure ayant précédé sont un indicateur précieux de l'impact de l'événement sur l'opinion publique.

D’autres événements ont-ils eu le même effet ?

Jérémie Mani : A ma connaissance, jamais. Il y a un mois, le viol de Créteil avait provoqué beaucoup d’indignation, principalement chez les femmes, et chez les personnes de confession juive. L’ampleur n’était pas la même, mais sur la forme cela est comparable. Sur la page "Je suis Charlie", on commence à distinguer quelques "fissures" dans les fils de commentaires. Souvenez-vous de l’affaire du bijoutier de Nice : très vite l’indignation a laissé la place aux propos racistes et ultra sécuritaires.

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