Hors de contrôle : pourquoi le cas grec nous en dit long sur la peur qu’avaient les Etats de la situation réelle des banques en 2008/2010<!-- --> | Atlantico.fr
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La politique contre la crise remise en cause
La politique contre la crise remise en cause
©Reuters

Jeux de dupes

Entre 2008 et 2010, les différentes solutions envisagées pour régler le problème de la dette grecque se solderont par des catastrophes. Aujourd'hui Syriza est au pouvoir et tout est à refaire. Une situation qui renvoie à l'attitude des Etats cinq ans plus tôt.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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La Grèce a rejoint l'Union européenne en 1981 et vingt ans après, elle était reconnue apte à adopter la monnaie unique par les Autorités communautaires. Des rumeurs puis des faits sont venus indiquer qu'une grande banque d'affaires nord-américaine avait épaulé la Grèce dans un travail de " window-dressing ", donc d'habillage préalable de ses comptes publics. Ce qui pose question sur le flair, sur l'aptitude de Bruxelles à démasquer les tricheries pré-Euro.

Dès la fin des années 90, tout n'était donc pas clair quant à l'état des finances publiques du pays. Ce qui est intéressant, c'est de remarquer que l'histoire monétaire et financière d'une nation fait souvent l'objet de contorsions voire d'épisodes dignes d'un roman dont les acteurs rivalisent d'imagination face à l'opinion. Prenons ainsi pour exemple, les modalités et fondements des dévaluations du franc sous la Vème République. Qui ne se souvient de l'embarras du ministre Delors en 1982 ? Donc, la limpidité et la loyauté ne sont pas nécessairement au rendez-vous des crises monétaires.

Concrètement – avec le recul - le cas grec est confondant de simplicité : ce qui n'a pas été fait en 2009 va devoir l'être d'ici un an, au maximum. Et ceci pour trois motifs. Tout d'abord, le peuple a largement voté pour tourner le dos à l'austérité et ne saurait rester inerte si un chemin au fil de l'eau devait se maintenir. Puis, la personnalité du nouveau Premier ministre est connue pour être assez entière et emplie de convictions : donc, il sera un redoutable négociateur. Enfin, au plan strictement technique, la démonstration grandeur nature est faite : si un pays est placé dans un niveau excessif d'austérité, son PIB décroche et donc son ratio de dette publique rapporté au PIB se dégrade encore plus vite.

En 2009, peu d'économistes et de décideurs ont souligné, avec démonstrations à l'appui, qu'il faudrait envisager une restructuration de la dette. Autrement dit, de changer ses conditions de remboursement en jouant sur la maturité des différentes tranches d'emprunts. Voire de procéder à l'annulation de quelques lignes de cette dette publique.

En 2009, ces voix n'ont pas été entendues et par pur dogmatisme, il a été décidé que la Grèce devait être placée sous le contrôle d'une Troïka ( incluant le FMI ) afin de co-élaborer des plans successifs d'austérité. Au plan macro-économique, le résultat est hélas connu et peu engageant. D'autant que l'évasion fiscale a été sous-estimée : en 2012, elle aurait atteint un peu plus de 8% du PIB ce qui équivaudrait, dans le cas de la France, à une évasion d'un montant de 165 milliards d'euros... Au plan micro-économique, ce qu'il convient de souligner c'est le glissement de l'identité des détenteurs de la dette grecque. En 2009, près de 85% étaient détenus par des créanciers privés. A ce jour, c'est l'inverse : la dette publique a des détenteurs publics pour près de 90%.

Ce glissement stratégique est évidemment une opportunité pour le Gouvernement d'Alexis Tsipras qui va poser en termes politiques des équations financières et qui, fort de sa légitimité populaire, risque d'user les cordes usuelles de la négociation européenne. A ce stade, l'avenir est clairement incertain mais probablement assez bien orienté pour la Grèce. Sa dette est hors de contrôle selon les canons classiques, elle est gérable si l'on pose la question de ses maillages de maturité. Plus fondamentalement, le recul de près de 5 ans nous permet de poser une question centrale : quel était le degré de peur des Etats quant à la situation réelle des banques en 2009 ?

Quatre points peuvent articuler une réponse :

Premièrement, les Etats ont instinctivement gardé en mémoire la terrible crise du marché interbancaire ( Madame Christine Lagarde avait alors parlé de " thrombose " ) en 2008 immédiatement consécutif à la faillite de Lehman Brothers. Dès lors, ils ont traité avec précaution le système bancaire. Avec d'infinies précautions.

Deuxièmement, nul ne savait vraiment ce qui figurait dans les comptes des banques grecques dont certaines grandes banques occidentales dépendaient. Songeons au cas du Crédit Agricole qui aura perdu plusieurs milliards d'euros avec les dépréciations de sa filiale Emperiki. Beaucoup ont redouté un début de risque systémique du fait de ces incertitudes et ceci a alimenté la peur des Etats.

Troisièmement, la crise grecque de 2009 est venue de difficultés budgétaires situées en amont de la question de la dette publique. Ce sont les mots de clientélisme, d'aberrations fiscales, d'emballement de certains postes de dépenses publiques, etc qui ont été les maux de la Grèce. En répondant à ces travers par une austérité non discriminante et peu sélective, la Troïka a eu recours à une pratique excessive qui n'a en rien jugulé l'endettement. Au contraire.

Quatrièmement, il serait illusoire de passer sous silence la force et le travail intense du lobby bancaire qui a su prendre d'assaut les cabinets ministériels, les décideurs publics ultimes, etc, pour souligner la gravité de la situation au regard de leurs exploitations convalescentes. Une fois encore, le procédé est commun mais il est regrettable que les Etats ne se soient pas placés dans des conditions de retour à meilleure fortune lorsque des rachats sélectifs ont eu lieu.

Pour être clair, l'actionnaire a vu ses mandataires sociaux l'aider à tirer ses marrons du feu tandis que le contribuable voyait des politiques sinon désarmés du moins peu offensifs. Le résultat a déjà été dit : c'est désormais une solution publique à la dette publique de 320 mds détenue par des acteurs publics qu'il faut élaborer. ( 175% du PIB ). D'une certaine façon, il n'est pas excessif de relever que les banques sont presque totalement sorties par la porte de derrière ou ont assuré juridiquement leurs arrières. Les Etats ont eu peur de la situation de leur appareil bancaire. Espérons que les stress tests de la BCE et des contrôles de l'ABE ( European Banking Authority ) leur permettent désormais d'y voir plus clair et de mieux décrypter le lobbying.

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