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En dénonçant un complot, Carlos Ghosn oblige la France à demander des comptes aux Japonais
©JOEL SAGET / AFP

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Pour la première fois, Carlos Ghosn s’explique et nie toutes les malversations dont on l’accuse. Chez Renault comme à Bercy, on ne peut pas continuer de rester inactif.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Pour la première fois depuis son arrestation du 19 novembre, Carlos Ghosn s’est exprimé dans le Nikkei, grand quotidien business japonais, hier mercredi, pour expliquer que c’est un « complot et une trahison qui ont provoqué sa chute ».

Sa thèse est très claire, il considère avoir été victime des dirigeants japonais de Nissan qui ont cherché à l’écarter pour l’empêcher de procéder à l’intégration plus complète des trois constructeurs qui formaient l’Alliance : Renault, Nissan et Mitsubishi.

Carlos Ghosn affirme que son directeur général japonais était évidemment au courant de ce projet inéluctable de marier ces trois entreprises au sein d’un holding dotée d’une structure capitaliste qui lui aurait permis de normaliser le fonctionnement de cette famille recomposée et surtout de préparer le développement futur.

Carlos Ghosn insiste beaucoup sur ce projet parce qu’il considère sans doute, à juste titre, que ce projet était mal vécu par les Japonais. On aurait donc monté un dossier contre lui en l’accusant d’un certain nombre de malversations et d’abus de biens sociaux pour, ensuite, demander et justifier son arrestation.

Dans cette interview, il nie tout ce qui lui est reproché et particulièrement l’abus de confiance aggravé dans une affaire de montage financier en 2008. Il assure que les versements effectués avaient été approuvés par les cadres de Nissan responsables. Il dément aussi les violations des codes éthiques du groupe Nissan, il s’explique sur les achats de résidences de luxe à Rio de Janeiro et à Beyrouth en précisant qu’ils avaient été approuvés par la direction de Nissan et donne même le nom des cadres qui ont effectué ces opérations. Bref « c'était connu de tout le monde, dit Carlos Ghosn et personne n’a trouvé à redire jusqu'à aujourd'hui ».

En fait, ces explications de Carlos Ghosn sont très intéressantes parce que crédibles. La direction de Nissan, d’ailleurs, a immédiatement réagi en disant que sur le projet de consolidation capitalistique, elle n’était pas au courant. Ce qui est difficilement plausible. Le directeur général Saikawa l’avait déjà déclaré dans le journal "les Echos”, mais comment ne pas être au courant alors que la terre entière savait que l’Alliance ne pouvait pas tenir sans structure capitalistique ?C’était le projet de Renault, c’était une demande express de l’Etat français, actionnaire de Renault qui en avait d’ailleurs fait une condition au renouvellement du mandat de Carlos Ghosn. Tout le monde des affaires savait donc que Carlos Ghosn avait mandat de clarifier la situation, ses directeurs généraux à Tokyo avec qui il travaillait depuis 15 ans, ne pouvaient pas ne pas savoir.

Quant aux accusations de malversations, on a du mal à comprendre que dans un groupe japonais où tout est écrit en japonais, les rapports annuels comme les audits, on ait pu dissimuler des transferts financiers aussi importants et qui étaient reprochables à Carlos Ghosn.

Enfin, on a du mal à comprendre que dans un groupe aussi puissant et grand que Nissan, on ait pu, coté japonais, lancer une enquête sur des affaires aussi sensibles sans jamais en informer les actionnaires de l'entreprise qui sont quand même les vrais patrons de Nissan. De droit, les patrons de Nissan sont aussi chez Renault qui possède (45 % de Nissan) et l’Etat français, via sa participation dans Renault (15%). 

Alors que Carlos Ghosn se soit attiré beaucoup d’inimitiés, évidemment ;  que les Japonais se soient sentis très souvent humiliés, sans doute ! Que son style de vie, son gout de l’argent, ses méthodes de direction ne correspondaient pas aux codes des affaires au Japon, peut être ! Ajoutons qu’il ait pu, les dernières années, penser que Renault Nissan était sa propriété, c’est possible, mais comme dans toutes les grandes entreprises, il y avait assez de contrôles, de contrepouvoirs et d’audits internes et externes pour veiller aux dérives possibles. Ou alors ce groupe était complètement désorganisé.

Toujours est-il que les Japonais ont pu profiter de ce climat pour monter un dossier accablant, dit-on, mais que personne n’a encore vu - surtout, en s‘appuyant sur un système judiciaire japonais qui ne fait pas grand cas de la présomption d’innocence...

Alors cette interview est intéressante parce que Carlos Ghosn s’explique, mais elle est aussi intéressante parce que les autorités judiciaires ont autorisé la visite d’un journaliste japonais (et sans doute d’une batterie d’interprètes). C’est extrêmement rare et ça signifie que les autorités japonaises commencent à réfléchir à la façon dont il va falloir sortir de cette affaire si Carlos Ghosn n’est pas coupable comme il l’affirme. Sortir de cette affaire, s'il a véritablement été victime d’un complot pour éviter la consolidation financière avec Renault, sera sa principale préoccupation maintenant.

A partir de maintenant, le groupe Renault, son président et son conseil d’administration ne peuvent plus rester immobiles. Ils peuvent être discrets certes, mais Renault va devoir très vite exiger que les droits des actionnaires majoritaires soient respectés. Parce qu’il en va de l’avenir de l’Alliance.

Mais l’exécutif français ne peut pas rester sans réagir. Emmanuel Macron s’est déjà étonné des conditions extrêmement violentes de l’incarcération de Carlos Ghosn. On considère à Paris que les droits de la défense sont quand même appliqués de façon très légère. Carlos Ghosn n‘est pas un terroriste dangereux. Le gouvernement français se serait porté garant de l'ancien président de Renault pour qu'il se tienne à la disposition de la justice japonaise en cas d'assouplissement de ses conditions d’incarcération et de mise en liberté sous caution, comme c'est l'usage dans la plupart des pays civilisés... Il va falloir aussi que la France rappelle qu’il y a des conventions internationales qui garantissent l'application du droit des sociétés et particulièrement des actionnaires.

L’exécutif japonais et le monde des affaires nippon commence d’ailleurs à regretter que le traitement de cette affaire dans les grands médias internationaux hypothèque quelque peu l’image du Japon. Si le Japon ne parait pas très "safe" aux grands patrons étrangers, ils éviteront de s’arrêter à Tokyo. A un moment où le gouvernement japonais lance une campagne d’attractivité auprès des investisseurs, cette affaire fait désordre.

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