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Comment parler de terrorisme et d’extrémisme à ses enfants quand on est un parent musulman (et pourquoi c’est un terrain miné)
©Reuters

Question piège

Il est parfois difficile d'aborder certaines questions avec ses enfants. Suite aux plaintes de parents musulmans américains qui n'arrivaient pas plus à parler de l'extrémisme islamique à leur enfant, un guide pratique a été édité pour leur donner des conseils de communication familiale en la matière. En France, l'exercice s'avère aussi très périlleux.

Jean-Michel  Grellet

Jean-Michel Grellet

 est pédophyschiatre, ex directeur du CMPP d'une grande banlieue parisienne.

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Philippe d'Iribarne

Philippe d'Iribarne

Directeur de recherche au CNRS, économiste et anthropologue, Philippe d'Iribarne est l'auteur de nombreux ouvrages touchant aux défis contemporains liés à la mondialisation et à la modernité (multiculturalisme, diversité du monde, immigration, etc.). Il a notamment écrit Islamophobie, intoxication idéologique (2019, Albin Michel) et Le grand déclassement (2022, Albin Michel).

D'autres ouvrages publiés : La logique de l'honneur et L'étrangeté française sont devenus des classiques. Philippe d'Iribarne a publié avec Bernard Bourdin La nation : Une ressource d'avenir chez Artège éditions (2022).

 

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Atlantico : Aux Etats-Unis, les parents musulmans se plaignent de rencontrer plus de difficultés pour parler de l'extrémisme islamique à leurs enfants que des parents chrétiens ou athées par exemple. Pensez-vous que ce soit le cas en France et si oui pourquoi ?

Philippe d'Iribarne : D'abord, n'oublions pas qu'il y a les parents musulmans français qui n'ont pas de problèmes pour évoquer les extrémistes islamiques à leurs enfants : ce sont ceux les approuvent. C'est un cas à part, où la communication familiale est alors facile à gérer, même si elle ne va pas dans le bon sens.

Mais pour la majorité des musulmans français, parler de l'extrémisme islamique à leurs enfants n'est vraiment pas un exercice évident.

Deux chose l'une. Soit ils reprennent le discours qui consiste à dire que ces terroristes qui sévissent en France non rien à voir avec l'islam et ne sont en aucun cas des vrais musulmans, et que ceux donc ceux qui pensent comme tel sont islamophobes. Dans ce cas-là, leurs enfants peuvent vite en conclure que la France et les Français ne les aiment pas, qu'ils passent leur temps à faire des amalgames en leur collant automatiquement une étiquette de terroriste sur le front du fait de leur religion, ce qui ne va pas les aider à trouver leur place au sein de la société française.

Soit les parents vont expliquer à leur enfant que le terrorisme n'est pas tout l'islam mais qu'il en est le fruit d'une dérive, et là cela risque non seulement de les couper d'une grande partie du monde musulman mais aussi parfois même de leurs propres enfants, plus radicalisés, qui vont leur expliquer qu'ils critiquent l'islam et que donc ce sont de mauvais musulmans.

En fait, la première difficulté qu'ont les parents musulmans à expliquer le terrorisme islamique à leurs enfants, c'est d'abord de se l'expliquer à eux-mêmes, et ensuite d'assumer leurs conviction.Il faut être très courageux aujourd'hui pour expliquer à ses enfants que l'islam devrait faire son examen de conscience, cela peut même vous amener à être menacé de mort, comme le sont certains intellectuels ou journalistes qui soutiennent cette thèse en public.

Finalement, beaucoup de parents ne savent pas quel discours tenir car ils sont coincés entre trois types de positions idéologiques auxquelles ils n'adhèrent pas totalement, et choisissent la facilité en n'en parlant tout simplement pas à leurs enfants, ce qui n'est pas la bonne solution non plus.

Un guide a été édité aux Etat-Unis par le CAIR pour aider ces parents musulmans à parler de l'extrémisme. Voici ce qu'il notamment ce qu'il préconise : éviter les déclarations comme "ils pensent que nous sommes tous des terroristes" ; garder son calme devant les médias lorsqu'ils parlent des musulmans en des termes qui vous semble incorrect; limiter votre propre consommation de médias si les débats sur l'islam vous affectent trop ; montrer aux enfants des statistiques qui indiquent qu'il ne s'agit quand même que d'attaques exceptionnelles ; ne pas soutenir des théories du complot; encourager les parents d'enfants d'âge élémentaire à veiller à ce que leurs enfants se sentent en sécurité à l'école ; en ce qui concerne qui concernent les adolescents, prendre le temps de discuter avec eux de la doctrine islamique et de ces différentes interprétations." Pensez-vous que se sont de bons conseils ?

Jean-Michel Grellet : Globalement oui.

En ce qui concerne les médias, c'est vrai qu'il vaut mieux qu'un enfant ou un adolescent musulman un peu perdu ou déséquilibré par des addictions comme l'alcool, la drogue ou le sexe évitent d'avoir accès à de la propagande islamiste, via les médias et sur internet notamment, car le sujet va chercher à se restructurer en s'accrochant aux interdits de sa religion, pour redevenir un "bon musulman". Mais attention, si l'enfant et l'adolescent musulman est psychologiquement bien équilibré, il pourra voir toutes les images de propagande qu'il veut, il ne dérivera pas dans des postures religieuses extrémistes. Donc il faut, avant de vérifier et de bloquer l'accès aux médias que consomment son enfant ou son adolescent, parler avec lui pour vérifier qu'il soit bien dans sa peau.

Et pour qu'un jeune musulman français se sente bien dans sa peau et arrive à se positionner par rapport aux dérives terroristes actuelles, il faut que ses parents lui raconte l'histoire de sa famille. On ne peut pas élever son enfant sans faire référence à son l'histoire familiale. Il faut qu'il comprenne pourquoi ses parents ont immigré, pourquoi ils ont choisi de vivre dans un pays qui n'est pas majoritairement musulman, et ce que cela implique en terme d'intégration. C'est d'autant plus important que parler de l'histoire familiale que cela permet aux parents de se mettre aussi en face de leurs propres contradictions. Ils peuvent avoir voulu immigrer pour des raisons économiques dans l'optique de rentrer un jour dans leur pays, et dans ce cas ne pas faire d'effort d'intégration (ce que les enfants ressentent et imitent), puis finalement se dire au bout de dix ans qu'ils préfèrent rester en France, car ils ne verront pas leur petits enfants une fois rentrés au pays. Au milieu de toutes ses ambiguités souvent non-dites, il est normal qu'un adolescent musulman français se cherche et parfois se perde dans l'extrémisme. Après, en ce qui concerne le discours sur l'extrémisme, les parents musulmans ne doivent pas paniquer non plus si leur fille se met à porter le voile alors que leur mère ne le portait pas. Cela peut juste être une manière de s'affirmer contre ses parents, ce qui constitue une crise d'adolescence comme une autre.

Concernant le sentiment d'insécurité que les enfants musulmans d'âge élémentaire peuvent ressentir à l'école, il faut effectivement rester vigilant, car cette insécurité et cette marginalisation potentielle peut être générée par des parents musulmans qui tiennent des discours qui sont en contradiction avec ceux des professeurs. J'ai par exemple souvent à traiter le cas de professeurs de primaire qui n'arrivent pas à enseigner l'Histoire de France à des enfants musulmans, parce que leurs parents leur ont expliqué que la France n'est pas leur pays et donc que ce n'est pas leur histoire. Les parents musulmans doivent donc essayer de tenir des discours en adéquation avec le discours de l'enseignant, sinon l'enfant peut être véritablement perturbé et marginalisé par ses camarades. Les enfants se sentent insécurisés par rapport à des parents qui ont une position insécurisante.

Philippe d'Iribarne : oui, ce guide explique beaucoup de choses très raisonnables, comme de ne pas soutenir les théories du complot, de limiter votre propre consommation de médias si le débat sur l'islam vous affecte trop et d'éviter toutes ces déclarations radicales qui font monter la pression dans la famille, il faut essayer au contraire de faire descendre la tension sur ces sujets là.

Concernant le point qui conseille aux parents de parler de l’islam à leur enfant, il y a quand même beaucoup de cas de figure. Pour les adolescents que se radicalisent et qui tendent de plus en plus à croire que la France ne le aime pas et plus globalement que tout ceux qui ne sont pas musulmans ne les aiment pas (notamment avec ce qui se passe en Israel), il faut essayer de les tirer vers la raison sans se disqualifier immédiatement en rentrant dans la catégorie des mauvais musulmans.

Après il y a plein d’enfants ou d’adolescents musulmans français pour qui tout se passe bien, et qui réussissent parfaitement leur intégration. Il ne faut pas généraliser.

Auriez-vous d’autres conseils à donner pour les parents musulmans français?

Philippe d'Iribarne :C'est d'essayer de faire comprendre à leurs enfants ce que c'est que la société française, dans la mesure où ils la comprennent eux-mêmes.

Il faudrait que les parents musulmans expliquent à leurs enfants comment discuter d’un sujet auquel on tient en France, que l’on peut se montrer irrévérencieux même sur des sujets très sérieux, que l’islam pose effectivement un certain nombre de problèmes dans la société française, que ce n’est pas habituel de trop revendiquer publiquement sa religion, et qu’à partir du moment où ils sont en France, ils sont français et ils doivent faire un effort pour comprendre ce qu'est la société française et comment elle fonctionne.

Il faudrait tout simplement leur expliquer aussi qu’ils ne faut pas qu’ils soient français que sur le papier, mais aussi culturellement et sociologiquement, et que si on ne veut pas faire cela, il ne faut pas s’indigner d’être mal traités.

Pensez-vous qu'un tel guide serait utile en France ?

Philippe d'Iribarne : Oui, tout à fait, à condition qu'il ne soit pas rédigé par les intellectuels modernistes mais par des musulmans français qui sont plutôt modernistes mais pas considérés comme des imposteurs.

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