"Comment paraître intelligent", leçon n°1 : surveiller sa diction pour rester fréquentable en société<!-- --> | Atlantico.fr
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Le ton doit être toujours égal. Vous êtes un cérébral : c’est votre cerveau qui commande et non vos sentiments.
Le ton doit être toujours égal. Vous êtes un cérébral : c’est votre cerveau qui commande et non vos sentiments.
©Reuters

Bonnes feuilles

De l'importance du langage jusqu'aux attitudes corporelles, Pierre Ménard liste les 1001 façons de paraître intelligent dans un "Petit bréviaire destiné à ceux qui ne le sont pas, écrit par quelqu'un qui aurait besoin de le lire". Extrait de "Comment paraître intelligent", aux éditions du Cherche-Midi (1/2).

Pierre  Ménard

Pierre Ménard

Pierre Ménard a déjà publié, au cherche midi, Pour vivre heureux, vivons couchés (2013) et 20 bonnes raisons d'arrêter de lire (2014).

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S’il est essentiel d’avoir un vocabulaire riche, encore faut-il savoir le prononcer correctement. Une bouillie de mots est tolérable jusqu’à cinq ans ou après quatre-vingt-dix, mais autrement, elle vous fait vite passer pour le dernier des pieds-plats. Vous ne voulez pas finir comme ce pauvre homme mis en scène par Flaubert dans Bouvard et Pécuchet. "Victor distinguait ses lettres, mais n’arrivait pas à former les syllabes. Il en bredouillait, s’arrêtait tout à coup, et avait l’air idiot." Pour paraître intelligent, articulez donc de façon extrêmement distincte, quitte à friser le ridicule. Voyez comment Fabrice Luchini est passé en quelques années du statut de petit acteur sans prétention au "génie qui rend Molière et Céline accessibles au plus grand nombre" grâce à sa parfaite diction. 

De même, Proust consacre "la noblesse, l’intelligence de la diction" de la Berma, la grande tragédienne d’À la recherche du temps perdu. Remarquons au passage que l’on parle d’un discours intelligible, dont la racine latine intellegere est la même que pour intelligence. Parallèlement à l’articulation, le ton occupe une importance non négligeable dans l’affectio intelligentiae (derrière cet obscur enchaînement de mots pseudo-latins, dont la vacuité ferait se crisper de douleur n’importe quel latiniste distingué, le lecteur aura reconnu le but qui l’anime à la lecture de cet ouvrage). 

Vous l’aurez sans doute remarqué si vous avez la chance de compter quelques gros QI dans votre entourage, le meilleur moyen d’avoir l’air spirituel est de parler d’une voix monotone. Le ton doit être toujours égal. Vous êtes un cérébral : c’est votre cerveau qui commande et non vos sentiments. Que vous évoquiez un moine tibétain qui s’immole ou que vous racontiez la plaisanterie la plus amusante du monde, vos traits doivent demeurer impassibles. Tout juste pouvez-vous vous permettre un petit rictus en parlant de l’immolation. C’est en suivant ce conseil qu’Arnoux passe pour un dieu auprès de Frédéric dans L’Éducation sentimentale. "D’une voix monotone et avec un regard un peu ivre, [il] contait d’incroyables anecdotes où il avait toujours brillé, grâce à son aplomb ; et Frédéric [...] éprouvait un certain entraînement pour sa personne." Faut-il le préciser ? le rire est absolument proscrit. 

Si vous le voulez bien, laissons ce cri odieux aux guenons, aux enfants, à Satan et autres ignobles créatures. Un être intelligent est déprimé. Déprimé par la bêtise qui l’entoure et la médiocrité de l’époque dans laquelle il vit. Le philosophe Héraclite pleura de sa naissance à sa mort ; Léautaud passait son enfance dans les cimetières, et les zygomatiques de Finkielkraut font grève depuis Mai 68. Aristote fait d’ailleurs de la mélancolie la maladie des génies dans son Problème XXX ("Pourquoi tous les hommes qui se sont illustrés en philosophie, en politique, en poésie, dans les arts, étaient-ils bilieux, et bilieux à ce point de souffrir de maladies qui viennent de la bile noire ?"). 

Affirmez donc, tel Boris Vian, que "la vie est une tartine de merde dont on croque un bout tous les jours". Si vous avez le malheur d’être joyeux et de passer votre temps à sourire, forcez-vous à regarder des films déprimants (Vol au-dessus d’un nid de coucou, Royal Affair, Le Cercle des poètes disparus...), le journal télévisé, des vidéos de chiens écrasés, votre dernière déclaration d’impôts, et assistez en auditeur libre à un ou deux enterrements par semaine. Vous deviendrez vite quelqu’un de fréquentable.

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