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"Bordel", on ne parle plus du Grand Plan d’Investissement 2018-2022
©JOEL SAGET

Le plan qui valait des milliards

Pendant que les commentateurs et les politiques s’écharpent sur le mot « bordel » prononcé par Emmanuel Macron, le Grand Plan d’Investissement 2018-2022 présenté par Jean Pisani-Ferry au Premier ministre risque de passer à la trappe.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Un gros mot peut cacher un grand projet, celui d’investir différemment dans la durée, et pour 57 milliards d’euros. Voilà le risque. Pendant que les commentateurs et les politiques s’écharpent sur le mot « bordel » prononcé par Emmanuel Macron, le Grand Plan d’Investissement 2018-2022 présenté par Jean Pisani-Ferry au Premier ministre risque de passer à la trappe. C’est vrai qu’un engagement stratégique de cette importance, c’est moins fun que critiquer le relâchement verbal présidentiel. C’est vrai aussi que porter un diagnostic courageux, et surtout moderne, sur notre situation, en critiquant les solutions traditionnelles comme : relancer le bâtiment (à droite) ou augmenter les salaires (à gauche), nous force à changer. Et pourtant…

« La France de 2017 accuse un déficit de quatre millions d’emplois… le taux d’emploi est à peine supérieur à 50 % pour les non-bacheliers, contre 85 % pour les diplômés du supérieur » nous dit Jean Pisani-Ferry. Comme nous ne formons pas assez bien les diplômés et surtout les non ou peu diplômés, nous ne leur donnons pas les moyens d’entrer dans la vie active, d’y progresser, d’y rester même. Outre le chômage de masse, nous nous habituons au sous-emploi, que nous ne voyons de moins en moins. Ainsi, « la France ne souffre pas d’une insuffisance marquée de l’investissement public ». Ce n’est pas l’investissement physique qui fait défaut, mais l’investissement immatériel. L’un permet, seul, l’efficacité de l’autre. 

Inutile alors de soutenir, par des déductions fiscales, l'étanchéité thermique des bâtiments, si on ne forme pas, avant, les artisans et les ouvriers du bâtiment. Inutile de vouloir réduire la dépense publique, si l’on ne travaille pas à la digitalisation des documents publics, et auparavant à leur simplification, et auparavant encore à la formation des personnels aux nouvelles technologies.

Investir, c'est de moins en moins acheter des machines et des équipements, mais de plus en plus former à leur utilisation. L'investissement immatériel devient la précondition de l'investissement matériel. Partout, c’est l'investissement immatériel est décisif. Il est la condition du succès de l'investissement matériel, et celle de notre vrai changement.

Nous passons à côté de cette vérité. Surtout, ce n’est pas parce la croissance va aujourd’hui vers 1,8% qu’il faut oublier la (mauvaise) passe dans laquelle nous sommes, et qui peut avoir une issue dramatique à moyen et long terme. Les travaux les plus récents du Trésor calculent en effet que la croissance potentielle française vient un peu de monter… vers 1,25%, après la crise de 2008. Nous ne sommes plus à 2%, comme avant cette crise, ou à 2,5%, comme de 1975 à 2000. Les raisons s’ajoutent pour expliquer cette évolution, notamment le poids de la crise financière de 2008 et, pour certains, une tendance générale au ralentissement du progrès technique.

Sommes-nous donc condamnés à 1,25% de croissance jusqu’à 2020 ? N’y a-t-il rien à faire ? Le regain que nous voyons cette année à 1,8 % et l’an prochain à 1,7%, est-il un rattrapage de la sous-croissance des années précédentes, le temps que le couvercle de la croissance potentielle se referme ? Poussera-t-il alors à des réductions drastiques des dépenses publiques et sociales, sauf à voir exploser le déficit et la dette publics, ou bien la société ? Les discussions sur l’ISF et les yachts, l’APL et la construction, les ordonnances ou l’écologie… sont-elles des passe-temps, des jeux idéologiques ou politiques ? Allons-nous regretter le temps perdu, comme toujours, ou pire le diagnostic qui n’aura pas été mis en œuvre ?

De fait, si nous n’augmentons pas la croissance potentielle, nous sommes condamnés à une crise financière, économique et sociale. Il ne peut pas s’agir de réduire les dépenses publiques, avec les effectifs, ce qui empire la situation. Il s’agit de produire plus et mieux dans la durée, autrement dit d’avoir une stratégie d’offre dans ce monde plus ouvert, en pleine révolution technologique. Il ne s’agit pas d’être moins cher, mais d’être meilleur et en avance, autrement dit, à la fois, innovants et excellents. On ne réussira pas dans cette économie de l’information et de la compétence sans révolution de l’intelligence et de la formation. Evidemment, c’est plus compliqué !

Car il y a là un triple problème :

-      d'abord, cet investissement immatériel ne se récupère pas (et même il ne se calcule pas : c’est une charge). Il devient la propriété de celui qui est formé. Il faut donc faire en sorte de le garder dans l’entreprise, d’où le lien entre « former » et « dialoguer » (dans les Ordonnances),

-      ensuite, les effets attendus ne peuvent pas être immédiats,

-      enfin, rien n'est possible sans marges bénéficiaires croissantes dans l'entreprise. Elles permettront de financer ces formations, de prendre des risques, de voir plus loin.

C'est là toute la logique du rapport Pisani-Ferry et des propositions qu'il fait d’investir pour 57 milliards d'euros jusqu'en 2022, en reliant chaque fois investissement physique à immatériel. Le rapport commence, de manière pédagogique, et sans doute aussi politique, par des préoccupations écologiques. Il s'agit ainsi de « diviser par deux le nombre de passoires thermiques occupées par des ménages modestes propriétaires ou locataires du parc social », de « réduire l’empreinte énergétique des bâtiments publics » et d’ « accompagner le remplacement de 500 000 véhicules polluants ». Partout, on retrouve ce lien formation-application, dans la recherche de nouveaux modèles urbains, plus inclusifs et respectueux de l’environnement, ou encore dans un plan de lutte contre le gaspillage dans les PME. 

Cette même préoccupation concerne la formation de chômeurs faiblement qualifiés, l’accompagnement vers l’emploi des « jeunes décrocheurs », en formant aussi les maîtres et les professeurs par des appels à projets sur des pratiques pédagogiques nouvelles. Il ne s’agit pas d’imposer, ni aux jeunes, ni aux enseignants, mais de proposer, d’innover, de tester  - pour surtout ne pas bloquer. Ceci sans oublier le soutien aux universités et centres mondiaux d’excellence. C’est dans ce contexte qu’interviennent la nécessaire refonte-digitalisation des services publics, et aussi des services de santé, doté de 4,9 milliards d’euros. Avec les économies de dépenses publiques à la clef.

Au total, le rapport Pisani-Ferry n’est pas tant « un rapport de plus » qu’un passage à l’acte, un guide pour l’action, afin d’augmenter la croissance française à moyen terme. Il s’agit de prendre appui sur la révolution technologique actuelle, qui bouleverse tout (et vient de commencer), pour l’assimiler, par la formation, l’expérimentation et les appels à projets. En même temps,  ce projet permet d’intégrer dans un tout cohérent les différentes politiques en cours : écologie, éducation, alimentation et agriculture, modernisation publique, villes, santé…

Rien ne sera possible sans plus de croissance, bien sûr. Surtout, il n’y aura pas plus de croissance sans plus d’innovation, de formation, et de coopération, pour qu’elle soit durable et inclusive. Ce « Grand Plan d’Investissement » est plutôt celui d’un nouveau genre, qui épouse le monde qui change, avec des objectifs précis, à mesurer. On peut toujours ne pas aimer, critiquer, ajouter… mais il serait tragique de passer à côté de sa logique.

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