À chaque catégorie sociale son candidat : la nouvelle lutte des classes se cache dans les intentions de vote<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
 À chaque catégorie sociale son candidat : la nouvelle lutte des classes se cache dans les intentions de vote
©Reuters

Polarisation maximale

Contrairement aux précédentes élections présidentielles, celle de 2017 ne présente pas la caractéristique d'être la grande messe du rassemblement du peuple français. Au contraire, elle apparaît comme cristallisant les divisions, ainsi que le révèle la sociologie électorale des cinq principaux candidats.

Virginie Martin

Virginie Martin

Virginie Martin est Docteure en sciences politiques, habilitée à Diriger des Recherches en sciences de gestion, politiste, professeure à KEDGE Business School, co-responsable du comité scientifique de la Revue Politique et Parlementaire.

Voir la bio »
Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann est Directeur en charge des études d'opinion de l'Institut CSA.
Voir la bio »

Pour chacun des candidats suivants à la présidentielle 2017, nous avons demandé à Yves-Marie Cann, directeur des études politiques chez Elabe,  de dresser un portrait de la sociologie de son électorat, en tenant compte du niveau de revenus et du niveau d'études. Virginie Martin a ensuite commenté ces résultats.

François Fillon

Après plusieurs semaines sous le feu des soupçons d’emplois fictifs, le principal candidat de la droite et du centre a vu son socle électoral s’éroder assez sensiblement. Sa baisse semble toutefois être enrayée, révélant à cette occasion le profil sociologique de son noyau dur électoral. Plus précisément, les intentions de vote exprimées en faveur de François Fillon mettent à jour un double clivage. Le premier s’avère générationnel : il recueille plus de 40% des intentions de vote exprimées par les personnes âgées de 65 ans et plus, tandis qu’il ne parvient pas à dépasser les 20% dans les autres classes d’âge. S’ajoute à ceci un clivage socioprofessionnel au sein de la population active : si 21% des classes moyennes et supérieures ont l’intention de voter pour François Fillon, il ne recueille que 9% parmi les milieux populaires, plus exposés aux aléas économiques et davantage touchés par le précariat.

Emmanuel Macron

L’électorat potentiel d’Emmanuel Macron apparaît nettement plus hétérogène que celui des autres candidats au premier tour de l’élection présidentiel. Alors qu’il vise à dépasser les clivages politiques traditionnels, l’amplitude des scores s’avère assez faible d’une classe d’âge à l’autre, par comparaison avec les principaux candidats. Il recueille ainsi 23% des intentions de vote chez les 18-24 ans, 19% chez les 35-49 ans, et 15% à 16% chez les plus de 50 ans. De même, s’il obtient ses meilleurs scores auprès des classes moyennes et supérieures (24%), Emmanuel Macron atteint des niveaux non négligeables auprès des catégories populaires (16%) regroupant les employés et les ouvriers, devant Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon (14% chacun).

Marine Le Pen

L’électorat potentiel de Marine Le Pen est le plus typé à ce stade la campagne présidentielle, avec un double clivage : à la fois générationnel et socioprofessionnel. Toutes classes d’âge confondues, elle recueille son plus mauvais résultat auprès des personnes âgées de 65 ans et plus (16%) alors qu’elle tutoie, voire dépasse les 30% dans toutes les autres classes d’âge. Mais c’est au sein de la population active qu’apparait la fracture la plus nette : Marine Le Pen recueille jusqu’à 43% des intentions de vote chez les ouvriers, contre seulement 15% chez les cadres et les professions intellectuelles supérieures.

Benoît Hamon

L’électorat de Benoît Hamon présente, à ce stade de la campagne électorale, peu d’aspérités. Il recueille 14% d’intentions de vote dans les milieux populaires et jusqu’à 18% chez les classes moyennes et supérieures. Plus précisément, c’est auprès des professions intermédiaires (à forte proportion d’emplois publics issus des secteurs de l’éducation et de la santé) qu’il obtient son meilleur score aujourd’hui (21%). S’il séduit une proportion non négligeable d’actifs, il peine en revanche à convaincre les retraités, parmi lesquels seuls 9% expriment une intention de vote en faveur du candidat du Parti socialiste et de ses alliés de la "Belle alliance populaire".

Jean-Luc Mélenchon

Le candidat de la "France insoumise" talonne aujourd’hui Benoît Hamon dans les enquêtes d’intentions de vote, phénomène qui se vérifie en analysant de façon plus détaillée la composition de son électorat potentiel. Les segments de force et de faiblesse de Jean-Luc Mélenchon s’avèrent ainsi comparables à ceux de Benoît Hamon en termes de classes d’âge. En termes de catégories socioprofessionnelles, on notera en revanche que la personnalité et le positionnement de Jean-Luc Mélenchon séduisent une fraction non négligeable d’ouvriers (17%) alors qu’il peine à convaincre les cadres et les professions intellectuelles supérieures (9%).

Comment analysez-vous ce retour d'un vote déterminé en fonction du niveau d'études et de revenus des électeurs ? Quelles en sont les raisons, et à quand pourrait-on faire remonter le phénomène ?

Virginie Martin Au regard de ces données, on voit combien il y a une sorte de segmentation de l’électorat. C’est un peu comme si chaque candidat avait sa niche électorale, pas vraiment un grand rassemblement derrière lui. 

Les variables d’explication du vote rappellent une sorte de combat de classe surtout entre insiders et outsiders. C’est en quelque sorte ce qu’il se joue. Face à cette fracture, le FN s’en sort très bien auprès des outsiders ; comme depuis des années, le parti des Le Pen séduit fortement les plus démunis et notamment les ouvriers, autrement dit les classes populaires. Jean-Luc Mélenchon séduit aussi les ouvriers mais pas autant que Le Pen, loin s’en faut. Benoiît Hamon, au regard de cette étude, parait à la fois retrouver l’électorat classique du PS via les classes moyennes, mais plaît beaucoup aux CSP + et à la catégorie des professions intellectuelles, autrement dit il est plus du côté des insiders. Macron lui, plaît quasiment exclusivement à ces fameuses CSP favorisées et donc aux super insiders. Quant à Fillon, il séduit les retraités et pénètre parfaitement un électorat plus âgé. 

Autant dire que la segmentation est extrêmement importante : c’est comme si chaque candidat avait son segment électoral, mais qu’aucun d’entre eux n’arrivait à transcender ces variables et séduire à la fois ouvriers, cadres, professions intellectuelles… ou bien réduire l’écart entre les insiders et les outsiders

Ceci est plutôt dû à cette tendance sociale qu’à un éventuel manque d’envergure des candidats. 

Quels en sont les dangers pour la démocratie ? Plus globalement, quelles en sont les conséquences politiques, notamment pour le président qui sera élu dans les semaines à venir ?

Virginie Martin : Il y a là une fracture importante révélée par ces données dont la classe sociale et le niveau d’études peuvent être des marqueurs en effet. Mais finalement, il y a une sorte de continuum entre outsiders, insiders et super insiders si je puis dire. Autrement dit, certains semblent être capables de faire avec ce monde complexe, d’autres se sentent fragilisés. De façon grossière, on pourrait dire qu’il y a deux mondes qui n’arrivent plus à faire société. Or, la politique est de faire société. 

L’homme ou la femme politique qui pourra triompher sera celle ou celui qui sera capable de raconter une histoire politique, une vision que les classes sociales diverses pourront entendre, de même que ceux qui sont fortunés ou non. La politique étant de faire société, cette segmentation que l’on peut observer n’est pas des plus rassurantes. D’autant plus que la fragilisation de toutes les classes sociales peut nous faire poser l’hypothèse que le clan des outsiders grandit tous les jours ; car même chez les cadres, on constate des sorties de route pour burn out ou mise au chômage. Il n’empêche qu’aujourd’hui, il semble que dès qu’un candidat parle aux outsiders, les insiders n’entendent pas, et réciproquement. Cette dialectique immobilisée est un sacré défit pour les candidats. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !