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+20% d’admissions aux urgences à cause de l'alcool : quand l’État paye au prix fort les dérogations à la loi Evin accordées aux sponsors de l’Euro 2016
©Reuters

Hypocrisie

L’adjoint à la maire de Paris chargé de la santé dénonce une décision hypocrite de l’État qui, par la voix de ses préfets, a autorisé le sponsoring des "fan zones", ces espaces qui permettent de suivre sur grand écran les retransmissions de match de l'Euro 2016, par une marque de bière, et la RATP à recouvrir entièrement ses arrêts de métro par de la publicité pour de l'alcool.

Bernard Jomier

Bernard Jomier

Le Dr Bernard Jomier est adjoint à la Maire de Paris Chargé de la santé, du handicap et des relations avec l’AP-HP.

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Atlantico : Vous dénoncez le sponsoring des "fan zones" de l'Euro 2016 par une marque de bière, ainsi que les publicités pour l'alcool à certaines stations de métro parisiennes. En quoi considérez-vous qu'il s'agit d'une "hypocrisie de l'Etat" ?

Bernard Jomier  : C'est plus qu'une hypocrisie d'Etat. C'est un détournement pur et simple de l'esprit de la loi Evin (1), dont le contenu avait déjà été détricoté en 2015 par les députés, de droite comme de gauche, en vue d'événements importants tels que l'Euro 2016. Même Jean-Louis Debré, qui vient de quitter le Conseil constitutionnel, s'est ému de cet étalage publicitaire, qui n'obéit pas aux intérêts de santé publique mais aux intérêts économiques des producteurs d'alcool, qui ont des lobbys très puissants.

L'Etat laisse délibérément l'UEFA détourner l'interdiction de consommation d'alcool dans les stades pour en faire la publicité et la promotion dans les "fan zones", et la RATP recouvrir entièrement ses arrêts de métro par de la publicité pour de l'alcool, qui fait quand même partie des trois premiers problèmes santé publique aujourd'hui en France, avec la pollution de l'air et le tabac.

La présidente de la RATP, que j'ai contactée pour tirer la sonnette d'alarme, m'a dit qu'elle appellerait désormais la régie Métrobus à faire preuve d'une "grande vigilance", mais on n'en voit pas la couleur. Idem pour l'UEFA, qui n'a pas daigné mettre un centime dans les spots vidéos de prévention contre l'alcool que nous avons montés en vue de l'Euro 2016.

Pensez-vous que ces publicités incitent vraiment les supporters de football à consommer plus d'alcool lors de la diffusion des matchs, et augmentent donc les risques de débordements ? Ont-elles d'autres conséquences dommageables, et si oui lesquelles ?

Bien sûr que ces publicités poussent les supporters à la consommation d'alcool, sinon les producteurs n'investiraient pas autant sur ce marché.

Depuis le début de l'Euro 2016, on constate une hausse de 15 à 20% des passages aux urgences liés à l'alcool. Et ce ne sont ni les brasseurs, ni l'UEFA qui vont payer la facture, mais bien l'Etat.

Ce genre de campagne publicitaire renforce par ailleurs le lien inscrit dans les mentalités entre alcool, événement sportif et jeunesse. Or, le but initial de la loi Evin était justement de briser ces associations d'idées.

Faudrait-il selon vous retirer toute publicité pour l'alcool à l'occasion de ce genre d'événement sportif ? Pourquoi ?

Je ne suis pas prohibitionniste, car la prohibition ne marche pas en ce qui concerne les politiques de santé publique, mais pour le respect de l'esprit de la loi Evin, dont la lettre, rendue sciemment plus floue par les députés en 2015, permet de dire aux alcooliers qu'ils sont dans la légalité, alors qu'ils ont mis en place une promotion pure et simple de la consommation d'alcool à l'occasion de l'Euro 2016, ce qui est un retour en arrière inédit depuis 1990.

Le grand gagnant de l'Euro 2016 ne sera ni l'Allemagne, ni la France ou le Portugal, mais bien les producteurs d'alcool. Cette compétition aura au moins eu le mérite de mettre en évidence qu'une fois encore, la santé publique n'est qu'une variable d'ajustement aux yeux de députés français totalement irresponsables.

(1) La loi Evin encadre la publicité en faveur des boissons alcoolisées mais ne l'interdit pas. La publicité n'est autorisée que sur certains supports prévus à l’article L 3323-2 du Code de la santé publique ; par ailleurs le contenu lui-même doit se conformer à certaines règles données à l'article L3323-4 du code de la santé publique et doit comporter un message rappelant les dangers de l'abus d'alcool. L'article 13 de la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016, instaurant l'article L 3323-3-1 du code de la santé publique, instaure un assouplissement concernant la promotion de l'alcool. Cet article garantit que les références à des régions de production, à des indications géographiques ou au patrimoine culturel liés à des boissons alcooliques protégées au titre de l’article L. 665-6 du code rural et de la pêche maritime ne sont pas considérées comme des publicités.

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