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Ces Français qui meurent actuellement sans raison (et pas du Covid -19)
©SEBASTIEN BOZON / AFP

Suivi médical vital

Face à la crainte du coronavirus, les Français qui souffrent de maladies chroniques ou d’alertes de santé sérieuses ont cessé d’aller consulter les médecins de ville ou de se rendre à l’hôpital même dans des cas urgents. De nombreux décès auraient été enregistrés.

Patrick Pelloux

Patrick Pelloux

Patrick Pelloux est médecin urgentiste, président de l'Association des médecins urgentistes hospitaliers de France (AMUF), un syndicat qui regroupe les médecins urgentistes hospitaliers.

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Jérôme Marty

Jérôme Marty

Président de l'Union française pour une médecine libre, Jérôme Marty, est médecin généraliste et gériatre à Fronton, près de Toulouse.

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Atlantico.fr : Les consultations de médecine générale ont chuté de 44% entre janvier et avril et celles de médecine spécialisée de 71%. Les Français souffrant de maladies chroniques, d'alertes de santé sérieuses ou de violences domestiques n'osent plus se rendre chez le médecin. Pourquoi ? Est-ce la peur d'attraper le Covid-19 qui les en dissuade ou plutôt la peur de surcharger des hôpitaux déjà presque au bord du gouffre ? 

Patrick Pelloux : Ce qui nous inquiète principalement, aujourd'hui, ce sont les patients qui, souffrant d'insuffisances rénales, de maladies chroniques, de cancers... ont arrêté de se soigner. On se trouve donc face, à l'heure actuelle, à un problème de surmortalité en ville. On revoit ce que l'on ne voyait plus depuis des années, c'est-à-dire des évolutions pathologiques et physiopathologiques de maladies. Une situation qui est très inquiétante. C'est-à-dire que l'on se trouve face à des patients dont l'infarctus se déclenche dix jours après les premiers signes, face à des patients qui souffrent de péritonites effroyables parce qu'ils ne sont pas venus soigner leur appendicite... 

Les gens ne vont plus à l'hôpital car ils ont peur d'être contaminés. Et les consultations à distance ne règlent en rien le problème : c'est une solution de confort qui ne fonctionne pas pour les malades graves. Avec les consultations à distance, on assiste à une réduction de l'art médical. Au lieu d'avoir l'interrogatoire, l'inspection puis l'examen complémentaire, la consultation par téléphone réduit le rendez-vous à un simple interrogatoire et une vague phase d'inspection. Elles ne permettent donc pas de régler le problème causé par l'absence de rendez-vous médicaux et de déplacements en milieu hospitalier. 

C'est terrible, et c'est un vrai problème de santé publique qui nous affole car il peut causer autant de morts que le coronavirus. Et je pense, qu'à l'origine, nous avons été fautifs. On a poussé les gens à appeler le 15 plutôt que d'aller à l'hôpital ce qui a déstabilisé le système de santé.  

Jérôme Marty : C'est tout ça à la fois. Premièrement, il y a la peur d'être contaminé, une peur qui est amplifiée par le fait que l'on parle du virus à longueur de journée.

Deuxièmement, il y a la peur de déranger son médecin avec la sensation que celui-ci est très occupé par la prise en charge des patients contaminés par le Covid-19, alors que c'est loin d'être le cas dans la plupart des régions françaises. Troisièmement, il y a également la peur de se retrouver potentiellement hospitalisé ou dans un milieu au sein duquel on risquerait d'être contaminé par le virus. 

Les gens ont donc coupé les ponts avec les médecins et c'est dramatique. Et ce n'est pas nouveau : j'avais déjà lancé l'alerte à ce sujet au début de mois de mars. Le nombre de consultations a baissé très vite et c'est en grande partie dû à la prise de position du Conseil d'Etat et du Premier ministre, lesquels ont, dans un premier temps, demandé aux Français de ne pas aller consulter leurs médecins généralistes ou d'y aller seulement en cas d'extrême urgence. 

L'absence de consultation en face-à-face a été remplacée, dans certains cas, par des consultations au téléphone et dans des cas plus rares encore par des consultations en télé-médecine. Les télé-consultations ne sont employées que très rarement car l'état de stress, et je l'avais déjà souligné, nuit à profondément à l'utilisation de l'outil : un patient qui est susceptible de présenter des symptômes  du coronavirus est souvent si angoissé qu'il se trouve incapable de faire fonctionner les outils numériques tels que Facetime ou WhatsApp à tel point que l'on préfère souvent faire une consultation par téléphone. 

Cette absence de consultations médicales se traduit, parfois, par la mort des individus n'ayant pas osé aller voir le médecin. A-t-on une idée de l'ampleur de la situation ? Statistiquement a-t-on une idée du nombre de morts qui pourraient en découler ?

Patrick Pelloux : Il est compliqué de se prononcer sur une estimation du nombre de morts que cela pourrait entraîner. Mais en se penchant sur le nombre de patients qui ont arrêté de se soigner, on se rend compte que ces morts collatérales pourraient concerner des milliers de Français. C'est d'autant plus inquiétant qu'on ne voit pas réellement de porte de sortie puisque l'on a beau dire aux malades -nous le faisons tous les jours au SAMU- qu'ils doivent se rendre chez leur médecin et leur expliquer ce qu'ils risquent à ne plus consulter leur docteur : ils ne vont plus à l'hôpital. C'est du jamais vu ! Dans certains services, on fait face à une fréquentation aussi faible que lors des années 80 au moment de l'affaire du sang contaminé. 

Pour ce qui concerne les services de traumatologie, on comprend la baisse de fréquentation puisque les gens ne sortent plus et donc ne se cassent plus d'os mais pour les autres services : on ne comprends pas. 

Jérôme Marty : On peut le supposer, on peut le craindre et on peut effectivement redouter une deuxième vague qui serait dû à la mort de patients non-atteints du Covid-19 à cause de l'absence de surveillance et de traitement. Il y a une décompensation qui va se produire. Il risque probablement, en effet, d'y avoir un certain nombre de décès parmi les patients diabétiques, souffrant d’insuffisances cardiaques, rénales, respiratoires...et qui ne seraient plus suivis au quotidien durant cette période. Pour ce qui est par exemple de l'insuffisance cardiaque, les gens ne se rendent pas compte qu'ils sont en poussée d'insuffisance cardiaque car ils font moins d'exercice et par conséquent ne se rendent pas compte qu'ils sont essoufflés, les patients diabétiques mangent moins équilibré et souffrent donc également de décompensation... 

Sur la partie psychologique qu'il s'agisse de violences conjugales, de dépressions... les passage à l'acte sont favorisés par le confinement surtout quand il dure déjà depuis quatre semaines et qu'il devrait durer encore quatre semaines si ce n'est plus. Ces décompensations qui sont normalement réglées avec un médecin et rentrent en principe dans l'ordre rapidement sont ici bien plus inquiétantes puisque le patient a coupé les ponts avec son docteur. 

A l'heure actuelle on a très peu d'estimations quant au nombre de patients qui pourraient décéder ou qui ont déjà payé le coup de cette absence de consultation. Depuis le début de cette crise, nous avons les yeux rivés sur le monde hospitalier en oubliant la médecine de ville. On efface donc 95% des patients et on ne regarde plus que les patients atteints du Covid-19 et qui se trouveraient dans l'enceinte des hôpitaux. On oublie donc ceux qui se trouvent en dehors de l'hôpital et par extension tous ceux qui n'ont pas le Covid-19. On n'a donc aucune donnée chiffrée et comme bien souvent on s'en préoccupera plus tard, une fois que la situation sera devenue une urgence totale. On réagira donc tardivement puisqu'on ne s'appuie pas suffisamment sur tout le tissu libéral (les médecins libéraux, les infirmières libérales, les auxiliaires de vie) de la médecine française. 

Comment remédier à cette situation ? 

Patrick Pelloux : Pour pousser les Français à retourner chez leur médecins il faut une campagne de communication nationale, et c'est au ministère de la Santé de prendre les choses en main de ce point de vue-là. Il faut que toutes les structures de santé aient un parcours spécifique pour les patients qui auraient de la fièvre et présenteraient des symptômes correspondant au coronavirus et pour ceux qui souffriraient d'autres maux. 

La situation doit s'améliorer rapidement car, si les informations qui remontent actuellement sur le coronavirus sont vraies et que l'immunité après une première infection n'est pas définitive, la situation actuelle va durer et par-là même les patients souffrant d'autres maladies risquent de continuer à refuser d'aller voir leur médecin. On se retrouverait donc alors avec un taux de mortalité épouvantable. 

Jérôme Marty : En renouant les liens avec son médecin, en osant se rendre chez son médecin. Il faut répéter au gens qu'ils doivent absolument renouer les liens qu'ils entretenaient avec leur médecin et il faut leur répéter également qu'ils ne dérangeront pas leur docteur. Certains sites de rendez-vous médicaux, à l'instar de Doctolib, devraient également retirer les messages qui, sur le site, incitent les gens à appeler les 15 et non à se rendre chez leur médecin traitant. Enfin, c'est aux médecins et aux soignants d'appeler la population à ne pas avoir peur de continuer à se rendre à l'hôpital lorsque nécessaire. 

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