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"Tout va très bien Madame la marquise". Politique ne rime pas avec numérique !
©Artsper - Miguel Chevalier

Les entrepreneurs parlent aux Français

L’ubérisation des esprits, c’est-à-dire la prise de pouvoir des consommateurs de la plupart des champs de l’activité humaine via des disruptions technologiques, est désormais massive et irréversible. Elle englobe toutes les réalités.

Didier Long

Didier Long

Didier Long, 50 ans, est président d’Euclyd et essayiste. Ancien consultant McKinsey, ancien moine bénédictin, théologien devenu juif, il fait partie de l’Observatoire de l’Ubérisation.

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A la veille de la Révolution Louis XVI demanda au duc de La Rochefoucauld : « C'est une révolte ? - Non, sire, répondit le duc, c'est une grande révolution ».

Pour toute personne un peu attentive à ce qui se passe autour d’elle, la consommation quotidienne par chacun d’entre nous de Google, Amazon, Facebook, Linkedin, Apple, Wikipedia, Airbnb, Uber… est un phénomène de masse. L’ubérisation des esprits, c’est-à-dire la prise de pouvoir des consommateurs de la plupart des champs de l’activité humaine via des disruptions technologiques, est désormais massive et irréversible.

Elle englobe toutes les réalités. Du commerce : les market places sont arrivées comme des ailes de papillon bouleversant des secteurs entiers, qu’on pense au livre ou au jouet et maintenant le  BtoB et le fresh… ; des relations sociales : Facebook ; de la santé : via le deep learning Google devient un acteur du système de santé ;  de la logistique globale : Amazon Flex ubérise le fameux last mile qui faisait une partie la valeur ajoutée de la distribution : vous portiez jusque-là vous-même vos packs d’eau couteux à transporter pour une marge faible…, des transports : Uber et les taxis ;  de la religion : Facebook né en 1995 (en même temps que les émeutes en banlieue !) a permis l’accélération des réseaux religieux en ligne dont les salafistes mais aussi les évangéliques (1/2 milliard de personnes dans le monde), de la monnaie avec le bitcoin qui uberise la monnaie en la rendant aux citoyens du monde, du renseignement avec Palantir, de l’encyclopédie avec Wikipédia…

Et ce qui frappe, en même temps que cette révolution massive touche tous les secteurs de nos vies, c’est l’incapacité des Etats, dont la France et des grandes organisations et entreprises à simplement l’anticiper. A y accorder l’importance qu’un objet de rebond économique aussi important devrait requérir.

Des dirigeants des très grandes entreprises, aux banquiers en passant par nos dirigeants politiques, tous entonnent l’antienne du « Tout va très bien Madame la marquise » … Les candidats à l’élection présidentielle reprennent le mantra du plein emploi ou de la courbe c’est selon… en même temps que nous savons désormais que l’homme va inéluctablement partager son activité avec la machine. Comment anticiper le nouveau sens donné au travail qui a peu changé depuis l’émergence du capitalisme médiéval et des « nouvelles technologies » de l’époque avec cette nouvelle donne? Le sens de l’activité, de la création de valeur pour la société ? La place de l’homme dans la cité ? L’intégration sociale par le travail ? Faudra-t-il créer un revenu universel et ainsi déporter la valeur perçue vers des valeurs de l’esprit : l’étude, la recherche, les arts, le care ? Après tout le Grand Homme gréco-romain n’était pas un capitaliste mais un évergète, l’homme libre justement ne travaillait pas comme un esclave, il vaquait à l’otium qui s’oppose au negocium… Laurent de Médicis à Florence à la Renaissance était qualifié de Magnifique (généreux) car il finançait les arts et les lettres et les sciences. L’histoire nous rappelle que ce sont les croyances en réseaux qui la dirigent hier comme aujourd’hui.

On continue donc de chanter le même air au moment où l’orchestre a changé de partition. On parle de démocratie et d’Etat quand les partis politiques et les syndicats représentent une très faible part de la population française et que pour la plupart, en dehors d’une élection tous les 5 ans, ce système est devenu, via l’impôt… le meilleur moyen pour se désintéresser de l’intérêt général et ne pas se préoccuper du malheur de son voisin.  Comment rétablir de la démocratie participative en dehors des débats, de forums, de votations en ligne qui l’ubérisent justement ?

Mille autres questions naissent : que sera la santé de demain avec le deep learning de Google (qui accèderait aux données de santé de 1,6 million de patients londoniens via DeepMind, sa filiale spécialisée dans l’intelligence artificielle et le machine learning) ? Qui sera au centre ? Le patient, le médecin ? Le dossier médical ? Google devenu le champion de transhumanisme ?  Que deviendront les systèmes d’assurance nés au Moyen-Age pour mutualiser les risques des armateurs vénitiens quand le peer to peer permet désormais de créer des compagnies d’assurance en s’appuyant uniquement sur la bonne volonté partagée (voir Heyguevara.com) ? Cette mutualisation des risques en pair à pair, d’où les fraternelles… n’est-elle d’ailleurs pas l’origine des sociétés de secours mutuel qui ont donné les Mutuelles auxquelles les français sont si farouchement attachés ? Que signifie la « politique de la ville » à l’heure des smartcities, alors que ses immenses quantités de données en open-data sont autant d’opportunités de nouveaux services qui reconfigureront le commerce et son aménagement, les déplacements et jusqu’à l’urbanisme ? ... que vont devenir toutes ces réalités que les Etats Nations prétendent organiser sinon contrôler depuis la Renaissance dans la Mutation digitale ?

A ces questions la plupart des dirigeants sont muets et jugent urgent d’attendre. Au lieu d’anticiper ce qui est largement prévisible comme dans le cas Uber, on préfère laisser les chauffeurs de VTC se battre avec les taxis sur des barricades puis étouffer l’affaire en créant une commission jusqu’à la prochaine élection, promettre le plein emploi, l’inversion de la courbe… avant la révolte ou la révolution ?…

Méfions-nous, le bashing des élites fait aussi partie de la contre-culture qu’a engendré Internet. Les djihadistes et la « fachosphère » sont d’accord sur un même constat complotiste : « On nous cache tout ! »… pour des solutions différentes. La politique de la France ne se fera pas plus à la Corbeille de la bourse  que sur Youtube, Facebook ou au café du commerce. Soyons lucides : la Révolution digitale ne fait pas partie du marketing de nos hommes politiques. Ils ne veulent pas se risquer à des promesses angoissantes. Mais surtout ils considèrent que ce sujet est une mode, une forme évoluée et technologique de « jeunisme », qui ne parle et ne concerne que les jeunes. Alors pourquoi s’occuper des jeunes puisqu’ils ne votent pas ?

N’est-il pas l’heure pour nous tous, dirigeants et les citoyens de bonne volonté de nous réapproprier ce débat trop important pour être laissé à quelques professionnels de la politique, aux dirigeants salariés et grands commis de l’Etat qui partagent d’abord les quartiers où ils sont nés, les crèches et les grandes écoles qu’ils ont fréquenté bien avant le service de l’Etat, l’esprit d’aventure face aux marchés, et simplement notre humanité commune ? N’est-il pas temps d’ubériser ce qui relève de l’intérêt général de l’humanité ?

Face à cet inéluctable, nous avons désormais le choix entre inventer une nouvelle société ou finir comme des personnages pathétiques du film Ridicule. Il s’agit donc non pas d’une jacquerie mais d’une révolution. Et face à ce nouvel âge de l’humanité, alors que la noosphère, ce film protecteur de la connaissance humaine qui enveloppe la planète, semble accélérer ses échanges et muter radicalement vers un horizon inconnu, nous devons désormais, tous ensemble trouver une nouvelle forme de spiritualité capitalisant sur le savoir, l’intelligence et les échanges et créant une valeur sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Une spiritualité qui sera fraternelle, sécurisera les oubliés des banlieues de la globalisation digitale… au risque de l’insurrection. C’est la raison pour laquelle l’Observatoire de l’Ubérisation a été créé et pourquoi son travail est tant attendu. Pour une vision nouvelle du monde, une vision inclusive, car il faut éviter de remplacer une fracture par une autre, une exclusion par une autre, un projet basé sur des valeurs capables de donner à nouveau aux Français l’envie d’y croire et d’y envisager leur place.

Si nous guidons et maîtrisons cette mutation, nous pourrons alors, en paraphrasant la citation de départ, dire d’un ton enjoué et serein : Une révolte ? Non, juste une grande révolution »

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