UDI : les leçons des Européennes sur le potentiel électoral du centre-droit<!-- --> | Atlantico.fr
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Hervé Morin, en lice pour la présidence de l'UDI.
Hervé Morin, en lice pour la présidence de l'UDI.
©Reuters

Quelles forces ?

Dans une note exclusive pour la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol), Jérôme Fourquet, de l'Ifop, effectue l'autopsie du séisme politique qu'ont constitué les élections européennes de mai 2014. Focus sur ce que le centre-droit peut espérer pour la suite, alors qu'Alain Juppé, notamment, a montré qu'il entendait s'appuyer sur cette base électorale.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Si le centrisme a été marqué, notamment ces dernières années par une grande instabilité partidaire (avec l’éclatement de l’UDF et la création du Modem et du Nouveau Centre en 2007, puis de l’UDI avec le renfort de cadres venus de l’UDF et ayant transité par l’UMP en 2012 et enfin le rapprochement de l’UDI avec le Modem à l’occasion de ce scrutin), la carte du vote centriste apparaît comme figée. Même si les catholiques pratiquants ne constituent plus, contrairement à l’époque du MRP, les gros bataillons de l’électorat centriste[1], on voit ainsi réapparaître, élection après élection, la carte du vote pour la démocratie-chrétienne. De fait, le vote en faveur des listes Modem/UDI, au positionnement clairement pro-européen, a une nouvelle fois d’abord émané des terres de tradition catholique : le grand Ouest, les Pyrénées-Atlantiques et les Hautes-Pyrénées, l’Aveyron, le Cantal, la Haute-Loire et le Rhône, la Haute-Savoie et les départements concordataires (Alsace et Moselle)[2].

Vote pour les listes UDI-MoDem aux élections européennes 2014

(en pourcentage des suffrages exprimés)

Dans ces départements, où comme ailleurs, la pratique du catholicisme a beaucoup décliné[3], l’influence de cette religion a profondément marqué les mentalités et fait encore sentir ses effets dans de nombreux domaines, qu’il s’agisse par exemple du statut de la femme, des choix éducatifs ou de la fécondité, sur des populations locales plus forcément pratiquantes. Manifestement, l’ombre portée du catholicisme (le « catholicisme zombie » de Todd et Lebras) influe toujours sur le vote notamment lorsqu’il est question d’Europe et derrière cela du rapport à l’Etat-Nation. Toutes ces zones catholiques sont soit situées en périphérie soit relativement isolées du fait du relief. Elles correspondent pour la plupart aux anciens Pays d’Etat, qui disposaient d’une autonomie fiscale et réglementaire par rapport au pouvoir royal. Cette situation particulière a contribué à la persistance d’une présence significative du catholicisme mais aussi au développement d’un rapport particulier à l’Etat. Toutes ces régions sont volontiers girondines et disposent d’une identité affirmée, ce qui fait que les populations locales sont moins attachées que dans d’autres territoires à l’Etat-Nation jacobin. De ce fait, depuis les premières consultations sur l’Europe (référendum sur l’entrée de la Grande-Bretagne dans l’Europe en 1972 et premières élections européennes en 1979), elles ont toujours manifesté une orientation assez nettement pro-européenne alors que dans d’autres régions, déchristianisées de longue date et à faible identité locale, la construction européenne a toujours été davantage perçue comme une menace remettant en cause un modèle d’Etat-Nation jacobin auquel on était beaucoup plus attaché qu’en Bretagne, au Pays basque, en Alsace ou en Savoie.

Dans un climat d’opinion de plus en plus eurosceptique, les dirigeants centristes ont fait le choix d’assumer leurs conceptions clairement pro-européennes. Comme le montre le graphique suivant, la part de marché visé allait plutôt en se rétrécissant au fil du temps et notamment dans la dernière période.

* Sondage Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès réalisé du 7 au 14 janvier 2014 auprès d’un échantillon de 804 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.

Mais par-delà la fidélité à leurs valeurs, les leaders de l’UDI et du Modem avaient également fait le constat qu’ils seraient quasiment les seuls sur ce créneau, le PS et l’UMP, dans leur volonté de parler à la « France du oui et à la France du non » optant pour un discours européen relativement timoré. Au final, les listes UDI/Modem obtinrent 9,9% et devancèrent les Verts eux aussi positionnés sur une ligne pro-européenne. Dans un contexte, encore une fois très eurosceptique, le score des centristes est assez honorable. Néanmoins, il ne se situe qu’1,4 point au-dessus de celui de 2009, quand le Modem de François Bayrou concourait seul (les futures composantes de l’UDI à savoir le Nouveau Centre et les Radicaux étant alliées ou membres de l’UMP lors de l’élection de 2009), alors que cette année l’UDI a noué une alliance avec le Modem. Les esprits grinçants en déduiront que l’apport de l’UDI n’est donc pas décisif sur le plan de l’arithmétique électorale…

Si la plus-value est effectivement modeste au plan national, on observe en revanche au niveau local toute une série de progressions par rapport à 2009. Ces gains, souvent très conséquents (de l’ordre de 10 points voire davantage) se manifestent sur des territoires plus ou moins vastes correspondant aux zones d’élection ou d’influence de différentes figures centristes. Si la « prime au notable » est un phénomène bien connu, l’ampleur qu’elle a prise ici s’explique selon nous, par deux facteurs. La faible participation d’une part qui fait que, même avec un nombre de voix assez limité drainées par un candidat sur son nom dans les électorats concurrents, la traduction en pourcentage de la variation des scores par rapport à l’élection précédente est mécaniquement très significative. La porosité de la frontière entre l’électorat centriste et une partie de l’électorat UMP sur la question européenne d’autre part, a abouti au fait que la frange pro-européenne de l’électorat oscillant entre UMP et UDI, qui avait pu voter pour les listes UMP/Nouveau Centre en 2009, ait choisi cette année de suivre sans trop de difficultés les cadres de l’UDI alliés, cette fois, au Modem.

D’après notre sondage Jour du Vote, au plan national 13% des personnes qui avaient voté pour l’union UMP/NC ont basculé en 2014 vers les listes UDI/Modem. Cette proportion est sans doute bien supérieure dans toute une série de territoires où des élus centristes ont pesé de tout leur poids pour amplifier ce mouvement. Le cas le plus emblématique est celui de Jean Arthuis, tête de liste dans la circonscription Ouest, et dont la liste arrive en tête dans son département de la Mayenne avec une progression de 22,6 points par rapport à 2009 (de 9,6% à 32,2% !) et un score impressionnant de 45% dans son fief de Château-Gontier. Signe de sa puissance, « l’effet Arthuis » déborde des limites de son département et se fait nettement sentir dans les cantons voisins : +13,9 points dans le canton de Pouancé et +13,4 dans celui de Segré dans le Maine-et-Loire, +10,8 dans celui de La Guerche-de-Bretagne, +9,8 dans celui de Fougères et +9,1 dans celui d’Argentré-du-Plessis en Ille-et-Vilaine par exemple.

Sans qu’il ne soit tête de liste, on retrouve un phénomène similaire (mais à une moindre échelle) dans le fief nordiste de Jean-Louis Borloo. Par rapport à 2009, la liste centriste enregistre une progression de 16,2 points dans l’ensemble des cantons valenciennois, de 10,6 dans celui d’Anzin ou de respectivement 8,5 et 8 points dans ceux de Condé-sur-Escaut et du Quesnoy. Tout comme pour Jean-Louis Borloo, le passage de Louis Giscard d’Estaing de l’UMP à l’UDI, a eu des conséquences électorales dans la zone du Puy-de-Dôme où il est implanté. Par rapport à 2009, la liste centriste progresse ainsi de 11,1 points dans le canton de Chamalières (fief historique de la famille), de 9,2 dans celui de Veyre-Monton et de 5,8 dans celui de Cournon-d’Auvergne. On enregistre également, mais sur un périmètre plus restreint, l’impact du passage d’Yves Jego de l’UMP à l’UDI, avec un gain de 14 points par rapport au score du Modem en 2009 dans son canton de Montereau-Fault-Yonne en Seine-et-Marne.

D’autres élus de l’UDI ne sont pas des transfuges de l’UMP mais en tant que membres du Nouveau Centre, ils avaient soutenu localement les listes d’union UMP/NC en 2009. Ils ont fait cette année campagne non plus pour l’UMP mais pour la liste UDI/Modem. Du fait de ce soutien, cette dernière progresse significativement chez Maurice Leroy dans la troisième circonscription du Loir-et-Cher (+11,3 points dans le canton de Droué, +10,7 dans celui de Vendôme et +7,3 dans celui de Savigny-sur-Braye) mais aussi dans le fief de Philippe Vigier dans l’Eure-et-Loir voisine : +12,2 points dans le canton de Cloyes-sur-le-Loir, +6,7 dans celui d’Orgères-en-Beauce et +6,2 dans celui de Janville. Même constat chez Jean-Christophe Lagarde (+12,1 points dans le canton de Drancy et +8,5 dans celui voisin du Bourget) ou pour Franck Reynier, maire de Montélimar (+11 points dans son canton et +5,6 dans celui voisin de Marsanne)[4].   

D’autres territoires ont également vu le score de la liste centriste progresser par rapport à 2009 mais pas principalement sous l’effet d’un changement de pied de notables locaux. Ainsi, dans toute la Vendée, et principalement dans le bocage, cœur du fief villiériste, les scores centristes grimpent significativement : +10,8 points dans le canton des Herbiers, +8,7 points dans celui de Mortagne-sur-Sèvre, +8,2 dans celui de Saint-Fulgent ou bien encore +6,9 dans celui de Pouzauges. Est-ce à dire que la Vendée serait passée du souverainisme au fédéralisme du fait du retrait de Philippe de Villiers de la vie politique ? La réalité est en fait différente. Comme les départements voisins de Loire-Atlantique et du Maine-et-Loire, la Vendée partage la même matrice démocrate-chrétienne et si elle a accordé des suffrages élevés au président du MPF, ce n’était pas en signe de sa conversion aux thèses souverainistes mais une reconnaissance du travail et du bilan accomplis par le président du conseil général. Philippe de Villiers n’étant plus candidat aux européennes, toute une partie de l’électorat vendéen a retrouvé son orientation traditionnelle en faveur d’un centre-droit modéré et pro-européen[5].

Les communes bourgeoises de l’ouest parisien constituent l’autre type de territoires où le centre-droit a significativement progressé sans que ce phénomène ne puisse s’expliquer par l’influence locale de leaders centristes, qui du fait de leurs parcours politiques et/ou du changement d’alliance intervenu entre ces deux scrutins seraient passés d’un soutien de l’UMP à un soutien en faveur de la liste centriste. Les 10 points de gagnés à Neuilly et les 6,6 points engrangés à Issy-les-Moulineaux par rapport à 2009 peuvent certes être mis au crédit de Jean-Christophe Fromentin et d’André Santini mais le mouvement de hausse est bien plus large et touche trop de communes pour être seulement imputable à un « effet notables ». On constate ainsi les hausses suivantes : +8,6 points dans le canton de Saint-Nom-la Bretèche, +8,4 dans celui de Maisons-Laffitte ou +7,8 dans celui du Pecq dans les Yvelines, et +8,8 dans le canton de Sèvres, +8,4 dans ceux de Sceaux et de Saint-Cloud et +7,8 dans ceux de Boulogne-Billancourt dans les Hauts-de-Seine par exemple.

Sans doute faut-il y voir plutôt la traduction d’un basculement vers le centre-droit pro-européen d’une partie de la composante aisée de l’électorat de droite francilien qui ne s’est pas retrouvée dans le discours en partie eurosceptique adoptée par l’UMP bien qu’Alain Lamassoure ait été tête de liste en Ile-de-France. Les données de sondage dont nous disposons confirment partiellement cette hypothèse puisqu’elles montrent que les CSP+ et les retraités étaient surreprésentés parmi l’électorat de droite ayant quitté l’UMP pour l’union UDI/Modem.

Note de lecture : les retraités représentent 56% des électeurs UMP de 2009 ayant voté cette année pour les listes UDI/Modem.

Les milieux populaires sont, à l’inverse, nettement plus représentés parmi l’électorat de droite ayant basculé vers le FN. Sans leader ni ligne clairement identifiés, l’UMP a donc été soumise à de violentes forces centrifuges l’ayant dépossédée de pans entiers de son électorat.

Si l’on ne s’intéresse plus au profil sociologique des segments ayant fait défection à l’UMP mais à leur poids électoral, on constate que les fuites vers la droite de la droite ont représenté 18% de l’électorat de Nicolas Sarkozy au premier tour de la présidentielle (14% vers le FN et 4% vers les listes de Nicolas Dupont-Aignan) contre 12% en direction du centre. Sans que cet élément ne puisse à lui seul répondre à la question lancinante sur la stratégie électorale à adopter pour l’UMP (rapprochement avec le centre ou ligne de droite décomplexée), ces données méritent, selon nous, d’être prises en considération.


[1] Les Listes UDI/Modem ont obtenu 14% parmi les catholiques pratiquants (qui pèsent assez peu dans la population totale), 11% parmi les non pratiquants et 7% parmi les sans religion

[2] A l’inverse, les zones déchristianisées de longue date apparaissent comme de véritables terres de mission avec des scores faibles dans le Centre-Bretagne, en Picardie, dans le Limousin, dans l’Est intérieur mais aussi et surtout sur toute la façade méditerranéenne (Ariège incluse).

[3] Pour des données actualisées sur l’état de la pratique religieuse en France, on pourra notamment se reporter à « La religion dévoilée. Nouvelle géographie du catholicisme ». Jérôme Fourquet et Hervé Le Bras. Editions de la Fondation Jean Jaurès. Avril 2014

[4] On ne note pas de phénomène similaire dans les fiefs respectifs d’Hervé Morin (progression de seulement 4,7 points dans son canton de Cormeilles, et faibles progressions voire légers reculs dans les autres cantons de sa circonscription de l’Eure) et de François Sauvadet : seulement +0,6 point dans son canton de Vitteaux et des reculs assez fréquents dans les autres cantons de sa 4ème circonscription de Côte-d’Or.

[5] De ce point de vue, le référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen avait constitué un signe avant-coureur. En dépit de sa très forte implication dans la campagne du « non », c’est le « oui » qui l’emporta, certes de justesse, avec 50,2% des voix en Vendée contre seulement 45% au plan national. Plus grave encore pour le vicomte, le « oui » arrivait très largement en tête dans le bocage avec 64% aux Herbiers, 62% à Pouzauges ou 59% à la Chataigneraie quand le « non » l’emportait dans le sud du département, historiquement de gauche et non acquis à Philippe de Villiers : 60% pour le « non » à Chaillé-les-Marais, 58% à Saint-Hilaire-des-Loges ou bien encore 54% à Maillezais par exemple.

Pour consulter la note Ifop pour la Fondapol dans son intégralité, cliquer ici :

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