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Marseille, la ville qui ne voulait surtout pas d’Histoire
©Reuters

Carrière antique de la Corderie

Un site archéologique majeur, à peine mis à jour, devra céder la place à un banal ensemble de logements. Business as usual dans une ville historiquement habituée à massacrer son patrimoine.

Hugues Serraf

Hugues Serraf

Hugues Serraf est écrivain et journaliste. Son dernier roman : La vie, au fond, Intervalles, 2022

 

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Le boulevard de la Corderie, une artère du 7e arrondissement de Marseille que ses façades noircies par la pollution et ses trottoirs défoncés par le manque d’entretien ne placent pas spécialement sur le parcours des touristes, aurait pu devenir l’un des nouveaux « spots » patrimoniaux de la plus ancienne ville de France.

Et Jean-Claude Gaudin, son maire en pré-retraite officieuse, aurait pu profiter de la découverte, en juin dernier, d’une carrière grecque vieille de 26 siècles pour mettre un terme à la tradition locale de « tabula rasa » en stoppant la construction d’un banal programme immobilier sur le site.

(Méné) las, VINCI, un promoteur à raison sociale ironiquement bas-latine, pourra tranquillement achever son projet en dépit de l’opposition de tout ce que le pays compte d’archéologues et d’une intervention de Françoise Nyssen ayant au moins permis le classement partiel de la carrière (635 m² sur un total de 4 200). Une fois la résidence livrée, ses copropriétaires devront en outre autoriser l’accès public de la portion préservée mais désormais privatisée à raison de « trois fois trois jours par an » (plus une journée par mois pour les scolaires), ce qui sonne davantage comme une victoire à la Pyrrhus que comme un jugement de Salomon du point de vue des défenseurs du patrimoine…

Le manque de considération des responsables locaux pour les témoignages du passé est d’ailleurs une curiosité en soi, les visiteurs s’étonnant fréquemment de la rareté des vestiges grecs ou romains à Marseille, quand le moindre patelin de la région —Arles, Nîmes ou Orange en tête— regorge de trésors architecturaux.

La construction, au début des années 70, du « Centre Bourse », vaste complexe commercial de l'hyper-centre aux allures de bunker, sur les restes du premier port des colons débarqués de « Phocée » en l'an 600 avant notre ère, était déjà un exemple frappant de ce désintérêt, mais le développement récent de l’activité touristique, à défaut d’une volonté de conservation débarrassée d’enjeux économiques, laissait penser que le mistral avait enfin tourné.

« Jusqu'au 19e siècle, le Marseille « officiel » est en fait resté très concentré sur un minuscule périmètre autour du port historique, la fameuse calanque du « Lacydon », soit le Vieux-Port contemporain ou plus grossièrement les premier et second arrondissements administratifs, et l'on a eu tendance à construire et reconstruire sur les mêmes lots à travers l'histoire sans trop s'interroger sur la nécessité de conserver ce qui paraissait ne plus servir à rien », estime d’ailleurs Richard Carta, architecte, conférencier et spécialiste du patrimoine, pour expliquer la pauvreté relative de la ville en monuments et bâtiments marquants : « Ici, pas de temples grecs, pas d'arènes romaines, pas de théâtre antique, pas ou peu de maisons médiévales et tout juste quelques malheureux fragments du passage par la Renaissance... ».

Rien de tout ça et, désormais, encore moins que rien. Mais boulevard de la Corderie, où pelleteuses et bulldozers sont entrés lundi en action, un dernier carré de farfelus continue vainement de jouer les zadistes, en venant même aux mains avec les ouvriers. « Veni, Vedi, VINCI », se marre le promoteur...

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