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Les start-ups à la Zoom ne résistent pas plus aux pressions de la Chine que les Apple, Google ou Facebook. Mais savent-elles résister à celles des gouvernements occidentaux ?
©KENA BETANCUR / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

La Minute Tech

Si les GAFAM semblent avoir appris à résister à certaines pressions institutionnelles propres à nuire aux libertés publiques, il n'en va pas de même pour certaines jeunes entreprises du numérique, comme Zoom.

David Fayon

David Fayon

David Fayon est responsable de projets innovation au sein d'un grand Groupe, consultant et mentor pour des possibles licornes en fécondation, membre de plusieurs think tank comme La Fabrique du Futur, Renaissance Numérique, PlayFrance.Digital. Il est l'auteur de Géopolitique d'Internet : Qui gouverne le monde ? (Economica, 2013), Made in Silicon Valley – Du numérique en Amérique (Pearson, 2017) et co-auteur de Web 2.0 15 ans déjà et après ? (Kawa, 2020). Il a publié avec Michaël Tartar La Transformation digitale pour tous ! (Pearson, 2022) et Pro en réseaux sociaux avec Christine Balagué (Vuibert, 2022). 

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Atlantico : Si le gouvernement Chinois ne semble pas avoir de difficultés à les faire plier, quelles sont les capacités des gouvernements occidentaux à interférer dans la protection des données de ces entreprises (pressions, backdoor, etc.) ?

David Fayon : Votre question est vaste. Déjà, la puissance, le pouvoir et l’insolence santé financière des GAFAM leur permet de dominer le monde sans être dépendants des pressions mais a contrario en utilisant le lobbying pour influer auprès des décideurs pour un destin favorable (absence de sanctions financières ou les minimiser, pas de démantèlement de ces acteurs oligopolistiques, etc.). Avec la crise du Covid19 qui se traduit par des milliers de faillites dans le monde, Google et Facebook peuvent se permettent de placer leurs salariés en télétravail jusqu’à la fin de l’année sans se mettre en danger et tout en continuant d’engranger des profits. Pour Apple qui est dans la culture du secret, la mise en place du télétravail a été un peu plus complexe.

S’agissant toutefois des libertés publiques, tout dépend de la législation en vigueur dans chacun des pays occidentaux. En France par exemple, la loi Avia qui a pour objectif de lutter contre des contenus jugés subjectivement « haineux » et qui entre en vigueur le 1er juillet prochain, demandera aux plateformes un retrait de ce type de contenu sous 24 heures. Ce délai très court couplé au champ d’application flou se matérialisera par des techniques de filtrage automatique des contenus. Aussi des retraits abusifs et une censure de la part des plateformes devraient se vérifier. L’enjeu pour les acteurs étant d’éviter d’écoper d’une amende pouvant aller jusqu’à 1,25 million d’euros. La logique financière peut malheureusement aller à l’encontre de celle de la liberté d’expression. Un acteur plus petit comme Zoom, qui est apparu sur la scène médiatique en France pendant le confinement, a effectivement supprimé quelques comptes d’activistes (anniversaire du massacre de la place Tiananmen ou émeutes à Hong Kong) pour répondre à une requête du gouvernement chinois. En quelque sorte, il convient de choisir son camp entre les principes de liberté d’expression et les profits mondiaux à court terme qui peuvent s’accompagner de censure. Il s’agit aussi pour les pays de diplomatie et de crainte de représailles économiques pour leurs entreprises.

Plus généralement, nous sommes entrés dans un affrontement entre les États-Unis et la Chine à travers les GAFAM d’un côté, les BATHX (Baidu Alibaba Tencent Huawei Xiaomi) de l’autre. Et dans cette bataille, la guerre de l’information fait rage, l’intelligence économique va de pair avec le numérique avec un carburant stratégique qui est la donnée. On pourrait établir une comparaison avec la voiture (les entreprises du monde numérique parmi lesquelles les licornes qui sont celles dont la capitalisation boursière dépasse le milliard de dollars sachant qu’en France on ne sait faire que des ponycorn, des licornes qui ont la taille d’un poney selon l’expression de Carlos Diaz) et le carburant (les données) avec la nécessité de les protéger : avoir un cloud souverain et des serveurs sur sol communautaire - en France nous avons par exemple l’hébergeur OVH -, possibilité d’utiliser des solutions de chiffrement et de protection de l’information, culture du secret et en même temps proposer des données ouvertes (open data) pour devenir une plateforme attractive, etc.

Les gouvernements ont pour mission de protéger les intérêts vitaux et stratégiques des pays (les secrets industriels et savoir-faire par exemple) avec des emplois à la clef. À ce titre, le lobbying, le développement de l’intelligence économique (avec l’exploitation de l’information grise, c’est-à-dire confidentielle mais librement récupérable avec des techniques adéquates) sont des sujets majeurs.

La Chine ne fait plus que copier. Elle innove depuis plusieurs années. Et les Occidentaux ont des intérêts à défendre. Nous ne sommes pas dans le pays des Bisounours. Des backdoors ou chevaux de Troie peuvent exister dans des systèmes d’information, des routeurs développés (par exemple ce fut le cas avec Huawei) et même dans les puces électroniques. Être dépendant des États-Unis ou de la Chine dans la chaîne de valeur du numérique (matériel, logiciel, données) est une fragilité d’où l’émergence un peu tardive de la souveraineté numérique avec une prise de conscience qui s’est développée pendant la crise du Covid19 : utilisation massive des outils des GAFAM et autres outils numériques américains : Teams de Microsoft et Zoom pour les visioconférences et le télétravail y compris pour les élèves et les étudiants, utilisation de WeTransfer pour les envois de fichiers volumineux, etc. Comme en sport où par manque de lobbying la France n’a pas gagné l’organisation des Jeux Olympiques revenus à Londres alors qu’elle était estimée favorite, ces principes sont transposables à l’économie. Nous devons nous inspirer de bonnes pratiques qui existent dans le traitement de l’information stratégique dans d’autres pays. Dans ce contexte, un continuum est à rechercher avec des passerelles entre industrie 4.0 (avec un programme de réindustrialisation de notre pays qui soit par ailleurs écologiquement sain), numérique et intelligence économique.

Le prétexte de la lutte antiterroriste ne représente-t-il pas un axe très fort pour justifier de telles opérations ?

Il est vrai que sous couvert de lutte contre le terrorisme, les libertés personnelles peuvent être attaquées et que les entreprises peuvent avoir à supporter des contraintes ou avoir des éléments de preuve à fournir en cas d’investigation pouvant porter atteinte à leurs secrets. On peut avoir des logiciels espions qui écoutent et récupèrent des données. Les États-Unis en maniant la communication et une certaine rhétorique ont à maintes reprises accru leur capacité de contrôle de l’information. C’est un jeu de poker menteur avec aussi l’évolution d’une législation qui leur est favorable comme le CLOUD Act, loi fédérale américaine promulguée en 2018 qui permet aux forces de l'ordre ou aux agences de renseignement américaines d’obtenir des opérateurs télécoms et des fournisseurs de services de Cloud computing des informations stockées sur leurs serveurs, que ces données soient situées aux États-Unis ou ailleurs dans le monde ! Et en France, la loi relative à la protection du secret des affaires du 30 juillet 2018 et qui vise à protéger les informations sensibles des entreprises, est encore peu connue. Pour pouvoir peser sur la scène internationale, la France et l’Europe doivent s’armer et utiliser les armes à bon escient face aux superpuissances.

Dans cette voie, identifie-t-on des points communs, mais aussi des différences méthodologiques et doctrinales, entre les diverses puissances occidentales ?

Les États membres de l’Union européenne n’abordent pas la protection des données de façon homogène, chacun ayant ses particularités propres alors que les États-Unis en font un pilier de leur défense et également pour contrer la montée de la Chine et d’autres nations. Toutefois, en matière de régulation, la Commissaire européenne à la concurrence Margrethe Vestager est assez virulente à l’égard des géants du numérique, par exemple pour les positions dominantes de Google ou d’optimisation fiscale d’Apple avec des amendes à la clé. Pour autant, la question des acteurs chinois est encore peu abordée.

Pour les États, en 2019 la France a déposé 2,5 fois moins de brevets à l’Office européen des brevets (OEB) que l’Allemagne qui reste par ailleurs une puissance industrielle sans être à la traîne dans le numérique au sens large (SAP, Deutsche Telekom, etc.). La France compte côté numérique 4 licornes contre 8 pour l’Allemagne et 17 pour le Royaume-Uni. Le Royaume-Uni après le Brexit s’est rapproché des États-Unis sur de nombreux sujets en s’éloignant du GDPR (General Data Protection Regulation) européen ou RGPD en France.

La France a aussi des entreprises stratégiques, notamment côté militaire et nucléaire, comme Photonis récemment qui pourrait être rachetée par un acteur américain. Et nous avons eu le rachat catastrophique d’Alstom par General Electric ou encore Latécoère passée sous contrôle américain.

La souveraineté aujourd’hui est dans les deux domaines, militaire et numérique. Et l’on pourrait rajouter spatiale. Et dans ces trois secteurs où la donnée est essentielle, force est de constater que l’Europe et la France décrochent face aux États-Unis et à la Chine. Il est temps d’en prendre conscience et de rebondir.

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